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21-12-2017

20:30

Sahel, quand l’Arabie Saoudite finance la lutte anti-terroriste!

Mondafrique - Surréaliste…A la demande d’Emmanuel Macron, le président français, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite se sont engagés à financer à hauteur de plus de 130 millions de dollars la fameuse force G5 contre les groupes djihadistes au Sahel. Une chronique de Michel Galy.

Quand le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al-Jubeir (voir ci contre), déclare sur la chaîne France 24, que les fonds engagés en faveur de la force G5 Sahel correspondent à l'« engagement [de son pays] à combattre le terrorisme et l’extrémisme », les spécialistes du Sahel en doutent sérieusement. Sauf à y voir l’amorce d’un cours de la politique séoudienne radicalement autre…

Une révision de la doctrine française d’interventionnisme militaire?

Le président français tire sans le dire les leçons d’un militarisme interventionniste sans précédent, voire d’une recolonisation accélérée de l’Afrique francophone en général, du Sahel en particulier.

L’échec sur la durée de ses deux prédécesseurs est en effet patent : tous les géopolitologues l’affirment à qui mieux mieux, la catastrophique intervention sarkosyste en Libye a provoqué, de fil en aiguille, la déstabilisation de toute la zone.

Qu’un autre président affaibli et contesté comme François Hollande se lance lui aussi dans l’aventure militaire comme revanche extérieure est dans l’ordre des choses politiques ; mais dans un cas comme dans l’autre, la dispersion des groupes armés par delà les frontières a renouvelé une guerre nomade désormais intimement mêlée aux revendications touaregs et djihadistes, et à un arc de crise ouest/ est de grande ampleur, sorte de « ligne de fracture tectonique » qui divise nombre de pays de la région, comme le Mali, le Niger ou le Tchad.

Après l’intervention militaire Serval (janvier 2013) la « force Barkahne » nomadise à grands frais, depuis août 2014, dans cinq pays : Mauritanie, Burkina, Mali , Niger et Tchad. Et pour longtemps : 10 à 15 ans dit on dans les états-majors, quoique cette information ne parvienne guère aux oreilles des élus ou citoyens français….

Force classique de contre guérilla, elle se calque sur les tactiques de l’adversaire, faisant fi des frontières et contribuant volens nolens à affaiblir encore les fragiles Etats-nations du Sahel.

Le G5, entre tentation militariste et supplétifs africains

A tel point que même les observateurs militaires suivent maintenant les conclusions les plus critiques: il n’y aura pas de solution militaire au conflit. Et pourtant le G5- cette force « auxiliaire », qui rappelle les tirailleurs coloniaux, se trouve à mi-chemin des deux optiques : échapper à l’isolement des forces extérieures (Barkhane, Minusma), et reconstruire l’appareil militaire des États sahéliens.

Cette force nouvelle est largement virtuelle : devant la déstabilisation , plus à l’Est,de Boko Haram autour du lac Tchad , une force militaire inter-État peine à se concrétiser : dans les deux cas, l’ armée tchadienne, rodée aux conditions de combat saharo-sahéliennes, est en pratique la seule efficace.

Le projet de la force G5 suppose des financements conséquents, qui sont loin d être mis en place, d’où l’importance de la décision saoudienne- s ‘il ne s’agit pas d’un effet d ‘annonce comme tant d ‘autres.Et une mise à niveau militaire, ce qui est loin d être gagné.

Bien au contraire, le 4 octobre dernier les forces cette fois américaines et nigériennes ont subi un échec cuisant, tombés dans l’ embuscade de groupes djihadistes ayant visiblement un soutien des populations locales.

Le G5 , avec pour objectif concret 5000 soldats à former en principe avant mi- 2018, a été relancé par le mini sommet de Paris du 13 décembre dernier qui a vu autour du président français les chefs d’État concernés :le Malien Ibrahim Boubakar Keïta, le Nigérien Mahamadou Issoufou, le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, le Tchadien Idriss Déby et le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz.

Mais aussi la chancelière allemande , le président du Conseil italien et les représentants de l’Union européenne. Et, grande première, L’Arabie saoudite, les Émirats et les Etats-Unis.

250 millions d’euros seraient nécessaires dans un premier temps, 400 millions par la suite. Mais même la première somme est loin d être acquise, les pays sahéliens étant insolvables et les États sollicités réticents à financer sans contrôler une force franco -africaine, comme l’ avait affirmé très directement Angela Merkel.

Le sommet de février 2018 à Bruxelles devrait compléter ce « premier tour de table », auquel l’Arabie Saoudite a donc promis, mais évidement pas encore décaissé, ces 100 millions de dollars qui en feraient la plus importante contribution à la montée en puissance d’un G5 décidément en devenir.

La longue durée de la réislamisation et du Wahabisme malien

Aqmi, c’est bien connu mais peu prouvé, a reçu des financements saoudiens et qataris ; certes par des sociétés, associations, pseudo ONG, fonds divers et variés. La bonne question serait plutôt celle de l’autonomie de ces filières financières par rapport aux autorités politiques et religieuses des deux pays mis en cause.

La décision saoudienne de financement du G5 s’inscrit bien évidemment dans un nouveau cours des relations internationales : remontrances de l’administration Trump, aggiornamento sociétal et politique du réformiste MBS- le prince héritier Mohammed Ben Salmane, forte tension et affrontement entre Arabie saoudite et Qatar.

Ce n’est pas tant dans cette géopolitique ponctuelle et complotiste , qui fait le bonheur des « services » et des militaires qu’il faut voir la déstabilisation du sahel, notamment du Mali, mais plutôt dans la longue durée des transformations socio-religieuses.
Historiquement , le Mali connaît en effet une religion de rite malékite, qui accorde une certaine place aux intercesseurs, notamment aux « Saints de l’Islam », comme disait l’anthropologue Gellner.

Ainsi la mythique Tombouctou s’enorgueillissant de plus de cent tombeaux-mausolée qui enrichissaient et l âme des pèlerins et le commerce de la cité saharienne. Tout change avec le wahhabisme qui se livre mutandis mutatis , comme le protestantisme combattant des débuts, à une chasse à l’« hérésie » , combattant représentations du Prophète, culte des saints intercesseurs, laïcité de la société et du champ politique.

Depuis une trentaine d’années, les puissances du Moyen Orient comme l’Arabie saoudite ont mené une politique d’influence en Afrique de l’Ouest, qui va bien au delà du religieux. On connaît bien l’infrastructure de la propagande wahabbite : bourses d’étude , construction de mosquées et de medersas, formation des imam-mais aussi aide aux plus démunis.

Et la vision sécuritaire des groupes djihadistes combattant au Mali est du coup radicalement fausse!Il y a une géographie et une sociologie du wahhabisme au Mali qui rend particulièrement inopérantes les théories néo-conservatrices du gouvernement français(plus que des militaires de Barkkane, paradoxalement).

Il ne suffit pas de « détruire » quelques « terroristes », comme dit François Hollande- et le chef de l’État français a effectivement fait liquider une quarantaine de djihadistes au Sahel- pour résoudre le problème, et gagner la guerre- surtout celle des « cœurs et des esprits » selon l’expression consacrée.

Si on estime à environ 15% la proportion d’habitants de Bamako se réclamant du wahhabisme, en brousse leur influence est bien réelle, et parfois enracinée. Par exemple autour de Gao-où vient d être enlevée fin décembre l’ humanitaire française Sophie Pétronin sous le nez des 1000 militaires de Barkhane- des dizaines de villages se réclament de la même doctrine.

Et on comprend que les djihadistes combattants ont bien une base sociologique. Voire ethnique, correspondant à la complexité des identités maliennes : touaregs-dans leur pluralité, plus récemment Peulh par exemple.

On assiste en fait à une « réislamisation » , si ce n est à une « arabisation » de la société malienne en profondeur. Et les enjeux sont bien différents , si ce n ‘est opposés entre Paris et Bamako .

En France, l’adoption de la charia est inconcevable, et l’intervention se pose des problèmes sécuritaires en termes militaires, certainement pas politiques et encore moins religieux. Au Mali, l’acceptation de l’islamisation est une question de degrés.

La « nouvelle donne » géopolitique se devrait d‘intégrer ces variables socio politiques. Découpler le Qatar de l’Arabie Saoudite ; former une force interafricaine, en espérant qu’à terme elle se substituerait à une intervention française, elle même peu à peu européanisée : tels sont les nouveaux axes de la supposée « lutte contre contre le terrorisme .

Réformer et reconstruire les Etats sahéliens, non seulement militairement mais socialement, de sorte qu’ils ne fonctionnent plus à la corruption et à la force, et qu’ils se préoccupent des plus démunis- comme le font les mouvements islamistes et même djihadistes, à leur manière:on en est loin.

Quant à l’Arabie Saoudite, elle réussit le tour de force de soutenir le wahhabisme le plus agressif, base des djihadistes combattants. Et à se rallier d’un autre coté à la guerre impériale pour les démanteler. Une « aide » des deux cotés, en quelque sorte…

Par La rédaction de Mondafrique





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