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21-12-2017

14:33

« L’Enfer c’est les autres » par Lehbib Ould Berdid

Lehbib Ould Berdid - En transposant volontiers cette formule célèbre, on peut dire que de tous les dirigeants mauritaniens, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz est le Chef d’Etat le plus vanté et le plus décrié à la fois.

La performance la plus remarquable

Pour les uns, c’est un homme d’Etat aspirant à la croissance et au développement durable, qui a redressé un pays à genoux et affronte avec courage, les problèmes du sous développement pour hisser la nation à la hauteur des défis, qu’annonce le IIIème millénaire.

Ils proclament publiquement que le pays a réussi, non seulement la performance la plus remarquable, de son histoire mais encore, s’est situé sur une pente de croissance exceptionnelle par rapport à son environnement régional et sous régional.

Un tour d’horizon national de l’économie fournirait d’innombrables exemples de cercles vertueux qui ont des effets positifs considérables sur la qualité de vie des citoyens.

L’Etat a centré son action sur la fourniture des biens et services publics et assuré les prestations qui ont un impact favorable, sur la vie des gens, telles que l’eau salubre, l’électricité, les routes, la santé, l’éducation.

Nous vivons au bord de l’implosion

Pour les autres, au contraire, le pire nous attend. Beaucoup d’observateurs répètent même que nous vivons au bord de l’implosion et que le sentiment diffus mais tenace, que nous pouvons basculer à court ou moyen terme dans un vrai chaos qui stigmatise la vie politique nationale, n’est plus un secret pour personne.

Il n’est pas question d’explosion qui suppose des éclats qui se projettent au dehors et peuvent se disperser plus ou moins au loin. L’idée d’implosion est plus terrible. Les déflagrations sont tournées vers l’intérieur. Il ne s’agit pas de forces extérieures. Nous allons disparaître disloqués en raison de nos dysfonctionnements internes qui vont nous défaire. Bref, le mal est dedans.

Voilà certes deux visions paradoxales et contradictoires ! et c’est pourtant dans ces paradoxes et contradictions que je tâcherai de démêler l’écheveau et l’enchevêtrement de cet imbroglio d’informations disparates pour faire la part des choses et peser le pour et le contre des différentes positions des protagonistes, dont l’attachement des uns n’a d’égal que l’opposition farouche des autres.

La crise réside dans l’essence même du pouvoir

Les professionnels clament haut et fort qu’aucun dirigeant mauritanien n’a divisé autant que Ould Abdel Aziz et qu’au lieu de rassembler les mauritaniens dans un consensus politique national qui ne requiert pas forcément l’unanimité, le Régime actuel est celui qui les a le plus séparés en différents camps diamétralement opposés et que par conséquent, l’effondrement nous guette.

Ce triste constat concerne à peu près tout : le système, la politique, l’économie, les institutions. Les énormes disparités de qualité de vie entre riches et pauvres de tous bords, faisant le maximum d’inégalités sociales et les souffrances d’une population désemparée font que le pays est en réalité prisonnier du cercle vicieux de la pauvreté, au-delà des slogans de la politique, politicienne.

Ces slogans ne sont rien d’autres que « l’art d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les regarde ». La précarité sous toutes ses formes, le dénuement le plus total, le chômage le plus élevé, l’exclusion maximale, les inégalités criantes, la cherté de la vie, la grande pauvreté, le manque d’équité et de politique active de l’emploi sont autant de facteurs qui prouvent que la crise politique, économique et sociale qui secoue notre pays, réside dans l’essence même du pouvoir.

L’Etat d’Urgences

Mais comme je ne me reconnais ni le droit de parler de problèmes politiques, ni la compétence d’aborder le domaine social, je me bornerais essentiellement a ce qui touche à mon domaine de formation : l’économie. C’est à ce titre que nous devons décréter l’Etat d’Urgence économique pour la promotion de l’emploi.

Notre Salut National

De tous les enjeux l’emploi est le bien le plus précieux. Donnez du travail aux jeunes mauritaniens et vous verrez comment les choses vont évoluer favorablement. Portons le défi du chômage en priorité dans toutes nos politiques sectorielles.

Ensuite il faut miser sur les offres d’emplois et faire de notre combat contre le chômage, notre cheval de bataille qui sera pour la société un rempart contre le creusement des inégalités sociales et les différentes formes de précarité. On doit maximiser les opportunités d’emploi sur le marché du travail.

Seule la lutte contre le chômage cause principale des problèmes de société tels que l’extrémisme, l’intolérance et la haine raciale est la voie de notre salut pour un monde meilleur, un monde de cohabitation et de cohésion nationale.

Promouvoir la politique de bon voisinage

Maintenant plus que jamais nous ne pouvons espérer, encore une fois, relever les défis qui nous assaillent sans une fructueuse coopération économique régionale fondée sur le respect mutuel de tous nos voisins, en particulier ceux qui ont les moyens de contribuer à la réussite des enjeux économiques auxquels notre pays est confronté.

La coopération économique permet en plus, à un pays de profiter de l’expérience et des compétences déjà acquises par le partenaire émergent.

Cela passe par un véritable partenariat et une politique de bon voisinage qui peut nous ouvrir de nombreuses opportunités de cercles particulièrement vertueux en matière d’emplois parmi tant d’autres.

Faire passer la pilule d’un 3ème mandat

Sur le plan du partenariat justement, d’après l’opposition la tension avec nos voisins est malheureusement devenue le domaine de prédilection de la diplomatie mauritanienne. Cela est surtout à usage interne, tribal et xénophobe. Les complexes et les préjugés nocifs font que Nouakchott ne peut pas manquer une occasion de faire monter la tension avec nos partenaires (le Qatar, le Maroc, La France, Le Sénégal).

Le Régime a besoin de prétendus ennemis extérieurs pour détourner l’attention et occuper la population par un nationalisme étroit et chauvin, tribal et régional, pour faire passer même indirectement s’il le faut, l’amère pilule d’un 3ème mandat.

La parole au citoyen

Au chapitre des récriminations, il est cependant un point que l’auteur que je suis, tient à souligner dans l’introduction, car je ne reviendrai pas là-dessus. L’Etat doit être d’avantage proche du citoyen pour que ce dernier puisse faire entendre sa voix qui a beaucoup de mal à la faire entendre dans les coulisses du pouvoir. Seuls les barons et les sbires du Régime peuvent faire entendre leur voix au sein même des instances de décision.

L’opposition, elle aussi, qui gronde dans les airs fait entendre sa voix, qu’on le veuille ou non et fait sonner le glas « aux ennemis de la patrie » rendant ainsi la pareille à ses adversaires par un discours mobilisateur.

Reste le pauvre citoyen qui lui n’a pas droit à la parole ou plutôt le droit à la parole est réparti aussi inégalement que le revenu. Une vérité pourtant simple mais souvent perdue de vue, mérite d’être rappelée ici. Les pouvoirs publics sont plus efficaces, s’ils sont à l’écoute de tous les citoyens. Comme on dit : un bon administrateur ne doit pas écouter un seul son de cloche.

Les décisions ne doivent pas être imposées seulement d’en haut. Elles risquent d’être vouées à l’échec. Elles doivent être prises de préférence dans un consensus national qui regrouperait le plus grand nombre de l’opinion. Car même le Président le mieux intentionné ne pourra répondre efficacement aux besoins collectifs si la plupart d’entre eux lui sont inconnus.

La charte du citoyen

Parmi toutes les conditions à réunir pour que les pouvoirs publics soient plus efficaces, il en existe une majeure que je tiens à traiter dès le début, pour autant que l’on veuille tenir compte des attentes de la population.

C’est l’élaboration d’une Charte du Citoyen qui sera un nouveau moyen de donner à chacun, voix au chapitre, et assurera à l’individu et à sa famille le droit de donner leur avis sur des sujets d’intérêt général, dans un état d’esprit beaucoup plus porteur qu’il ne l’est malheureusement aujourd’hui.

L’élaboration et l’application des politiques nationales donneront de meilleurs résultats, lorsqu’elles sont exécutées avec la participation de la plus grande partie de l’opinion.

Ce thème de la Charte du Citoyen, bien évidemment, dépasse la compétence et la bonne volonté d’une seule personne. Je suis néanmoins persuadé qu’un effort d’information sur les droits du citoyen doit être largement entrepris, ne serait-ce que pour permettre de donner aux mauritaniens une véritable liberté de choix, au-delà de la puissance anesthésiante de l’image et du son des médias officiels.

La présente analyse ne prétend pas pouvoir explorer tous les aspects de la problématique du consensus national. Heureusement d’ailleurs car mon vœu est simplement d’apporter une contribution à un débat public éclairé, associant la population à l’action menée.

La présente approche doit être considérée comme une pièce à verser à ce débat, longtemps négligé mais qu’il s’agit maintenant de mener à bien sur l’élaboration d’une politique d’entente et de cohésion nationale.

La recherche par voie de débat

Rien d’étonnant à ce que les intellectuels s’interrogent sur ce que doit être le rôle de l’Etat. Je ne voudrai pas manquer à la courtoisie, en exposant publiquement certaines remarques sur « nos clairvoyants dirigeants ». Je me contenterai donc d’un propos général. Le Président actuel est un homme d’actions.

La connaissance vient au second plan. Ses conseillers et son chargé de la communication par leur participation, devraient nourrir les débats d’intérêt général. Il ne s’agit pas des discussions partisanes avec les louanges des laudateurs et les abjects mensonges des exécrables racistes de tous bords, incitant à la violence et à la haine raciale, que l’on voit à la télévision et à la radio.

C’est la crédibilité et l’objectivité de ces parties prenantes qui sont mises en cause par l’opinion. L’Etat doit favoriser l’analyse et impulser l’innovation. Notre pays est en effet déficitaire en matière de recherche. Et ce n’est pas un hasard si certains pays réussissent mieux que d’autres à se développer.

C’est parce que dans ces pays (comme dans les dragons de l’Asie de l’Est, en Amérique Latine et au Moyen Orient), il y a des efforts pour stimuler une politique de recherche et de débat favorable aux aspirations de la population.

Mais peut être, ai-je tort de m’étonner ! Après tout, ce n’est pas la première fois, qu’on prend du retard avant d’adopter chez nous un exemple étranger convaincant. Alors que partout ailleurs dans le monde, les débats sur le rôle de l’Etat font salle comble, il est surprenant que chez nous, on n’éprouve pas le besoin de se concerter pour réfléchir en commun aux problèmes de l’heure et notamment le choix d’une politique de cohésion et d’entente nationale.

Il est vrai qu’il y a encore fort à faire. Même les partisans du Président qui passent leur temps à louer ses réalisations à la télévision officielle, ne cachent pas en privé leurs critiques parfois acerbes à l’égard du système.

Beaucoup pointent du doigt la mauvaise gouvernance de ces « arrivistes » et « parvenus » sans scrupule au plus haut niveau de l’Etat, qui pensent à tort que le développement se résume à un certain nombre d’apports économiques et se targuent de réalisations jamais égalées.

Mais ils oublient que si le nombre de maisons, de constructions, de voitures, de richesse, a augmenté il ne profite qu’à une minorité de privilégiés et de nantis de tous bords qui ont tout accaparé, sans le moindre état d’âme ; justifiant ainsi, l’adage populaire : « ventre plein n’a point d’oreilles ».

Le fossé de la discorde

Ensuite ces infrastructures et réalisations sont bâties sur de la haine et des rancœurs politiques et sociales qui s’avivent de plus en plus à cause de la désastreuse politique de manque de visions de nos dirigeants qui n’ont pas su prévoir, ni mettre en place une politique de consentement général et engager la bonne stratégie pour réussir le défi de la tolérance et de la cohésion nationale.

En effet, tout celui qui a vu ses effroyables destructions dans la Corne et au Centre de l’Afrique, en Libye comme jadis au Libéria, au moyen orient et dans bien d’autres pays, ne peut s’empêcher de constater avec amertume et désespoir que le fossé de la discorde entre les populations et le pouvoir ne fait que s’élargir et se creuser encore d’avantage.

Les élections en Afrique ne sont jamais libres

La soiffe inextinguible du pouvoir, que les chefs militaires ont pris par la force des coups d’Etat, malgré la tenue, après, d’élections plus que controversées risque de devenir une véritable mégalomanie au dépend de toute légalité et légitimité. Comme dans tous les pays africains, sauf peut être en Afrique du Sud ou dans quelques rares autres pays du continent, les élections ne sont jamais libres.

Les mauritaniens quant à eux , sont généralement contre la façon avec laquelle les militaires arrivent au pouvoir qu’ils ne veulent plus lâcher, d’une manière ou d’une autre, ou en tout cas de leur plein gré. Cette folie des grandeurs est à l’origine de tous nos maux.

Les maux

La liste des maux s’allonge justement. Et si je les rappelle ici, ce n’est pas pour jouer à je ne sais quel redresseur de torts, mais tout simplement par refus de toute complaisance coupable face à la réalité qui est toujours contrastée et traversée de difficultés.

De fait les mauritaniens dans leur grande majorité, toutes composantes sociales confondues, sont devenus des laissés pour compte sur les bords ingrats de la route du développement, essayant de survivre aux affres de la vie.

Les souffrances de la population, la marginalisation, l’extrémisme, le tribalisme, le régionalisme et le manque d’équité sont autant d’éléments qui peuvent entraîner la violence sociale et l’instabilité.

Ces facteurs qui empêchent le développement constituent une insulte au bon sens, à la conscience humaine et au (slogan de Président des pauvres) pour un pays qui regorge de richesses et seulement de 4.000.000 d’habitants. Mais comme dit une certaine chansonnette : « nous nous tenons tous par la barbichette ». Nous sommes tous sur la même embarcation.

Les motifs d’inquiétude ne manquent pas. L’économie patine, se grippe, l’Ouguiya a perdu toute compétitivité et la balance commerciale est chroniquement déficitaire. La politique de l’emploi, et la lutte contre l’inflation endémique (malgré les faux chiffres officiels) sont loin de figurer au cœur des priorités. En définitive le vrai problème de la Mauritanie est de déterminer l’ordre des priorités.

Le Président s’est focalisé sur la politique des grands projets. Cela peut sembler vertueux à première vue mais le fait est que cela est sans grand effet, en tout cas immédiat, sur le pauvre citoyen constamment en proie à l’exclusion, à l’atteinte de sa dignité et à la non confiance qu’il continue à nourrir dans les institutions.

La présente approche n’a pas la prétention de proposer une réforme de l’Etat, loin delà, mais elle observe que le rassemblement du plus grand nombre de mauritaniens dans un consensus national reste à faire.

Les réponses

Cette communication arrive à son terme. Et, si l’avenir reste chargé d’interrogations, elles comportent presque toutes, Dieu merci, des réponses. Pour donner la primauté au travail et à la lutte contre le chômage décrétons notre salut commun, par la promotion de l’emploi.

Faire reculer la pauvreté, la haine et l’intolérance est par conséquent réalisable. L’inflation endémique, cause principale de la cherté de la vie et de la précarité peut être jugulée. Réduire les disparités et les inégalités sociales est possible.

Faire entendre la voix du citoyen au sein même des instances de décisions et faire en sorte que l’Etat soit plus réceptif sont des besoins qui peuvent être pris en compte. Réunir et rassembler le plus grand nombre de mauritaniens autour d’un idéal dans un consensus national est envisageable.

Vaincre l’extrémisme est faisable. Les racistes de tous bords n’auront pas raison. Ils sont voués à l’échec. Enfin, je laisse aux aboyeurs de l’apologie du pouvoir d’une part et aux détracteurs du Régime d’autre part, la responsabilité de leurs propos.

J’espère seulement que les observateurs se soient trompés. Contrairement à leur prédiction apocalyptique, l’implosion n’est pas une fatalité. Avec l’aide de notre créateur, Allah le Tout Puissant, la réalité n’aura pas de bord et n’implosera pas.

Lehbib Ould Berdid
Professeur Chercheur et Analyste Stratégiste



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