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27-12-2017

18:16

Sahara occidental : «La solution dépend aussi de la France et des États-Unis !» (journaliste espagnole)

Maroc Leaks - La spécialiste du Maghreb et Sahara Occidental à « El Mundo » Rosa Meneses Aranda au « Courrier d’Algérie » : «La solution dépend aussi de la France et des États-Unis

Rosa Meneses Aranda est une habituée des dossiers liés au Maghreb et à la question du Sahara occidental ; elle a effectué plusieurs séjours en Algérie, notamment pour couvrir des événements politiques d’importance, mais a aussi fait un travail de fond sur la question sahraouie.

Elle avait notamment fait un entretien avec l’ancien président sahraoui, le défunt Mohamed Abdelaziz. C’est donc avec une journaliste qui connait son sujet que nous avons mené cet entretien, en essayant de donner un éclairage nouveau, le Sahara vu d’Espagne en quelque sorte, sur un sujet aussi épineux que celui du Sahara occidental. Rosa Meneses est journaliste au quotidien espagnol El Mundo, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient depuis une vingtaine d’années.

Le Sahara occidental est finalement un problème qui s’inscrit dans la durée…

Le Sahara occidental est le dernier territoire à se décoloniser en Afrique. Il figure sur la liste du Comité de décolonisation de l’ONU depuis 1966, quand celui-ci a recommandé à l’Espagne, le pouvoir colonial, l’autodétermination. En 1974, l’Espagne a promis de tenir un référendum sur l’autodétermination dans les premiers mois de 1975. Mais le Maroc a mis en marche tous ses rouages et s’est rendu à la Cour Internationale de La Haye. La conclusion de la Cour était que le Sahara occidental n’avait aucun lien de souveraineté avec le Maroc ou la Mauritanie. Mais Hasan II a fait taire une partie de l’opinion et en a instrumentalisé le contenu et, en novembre 1975, il a promu la Marche Verte. Francisco Franco était alors en train de mourir, donc le contexte politique était compliqué pour Madrid. L’Espagne a signé les « Accords Tripartites de Madrid » et s’est retirée du territoire. Dans ces accords, l’Espagne a cédé l’administration du territoire au Maroc et à la Mauritanie, mais pas la souveraineté, qui incombe au peuple sahraoui, et ne pouvait pas le céder.

Par la suite, les choses évoluent. Dans le mauvais sens…

La guerre entre le Front Polisario, le Maroc et la Mauritanie commence. En 1991, un cessez-le-feu a été déclaré sous les auspices de l’ONU et un référendum sur l’autodétermination a été convenu en 1992. Cependant, le conflit est bloqué depuis. Le référendum n’a jamais été tenu sur protestations et contestations du Maroc et du Front Polisario, chacun pour des motifs précis, concernant l’inscription des électeurs et la position marocaine qui veut que le processus confirme l’adhésion à sa souveraineté. Les différents envoyés spéciaux de l’ONU n’ont pas réussi à débloquer la solution.

Bon, tout cela, ce sont… disons : des rappels historiques intéressants. Mais on en est où actuellement ?

Horst Köhler a remplacé Christopher Ross comme envoyé spécial des Nations Unies. Nommé en août 2017, il a entrepris sa première tournée dans la région et, le 22 novembre, il a présenté ses conclusions devant le Conseil de sécurité. Il a dit qu’il est « optimiste » pour relancer le processus. Cependant, à l’heure actuelle, l’option d’organiser un référendum d’autodétermination où les Sahraouis décident s’ils veulent rester au Maroc ou s’ils veulent l’indépendance a perdu du poids. Le Maroc a lancé une proposition d’autonomie pour le territoire. Les pouvoirs impliqués dans la solution régionale sont plus enclins à la solution marocaine que l’indépendance sahraouie. La France et les États-Unis soutiennent clairement la position marocaine. Récemment, le président français a déclaré que le différend devait être résolu par un dialogue entre l’Algérie et le Maroc. Cette déclaration le rapproche de la thèse marocaine et rejette le statut du Front Polisario comme seul représentant des Sahraouis.

Le contexte du Maghreb arabe a-t-il changé pour autant ?

Macron a affirmé récemment que le conflit au Sahara occidental est la « principale cause de la non-intégration du Maghreb» et du «blocus économique de la région». C’était vrai dans les années 1980 et 90. Mais, après les changements politiques et sociaux au Maghreb après les révolutions arabes, le paysage régional a changé radicalement.

Les régimes de Ben Ali en Tunisie et de Kadhafi en Libye ont disparu. Le régime algérien et la monarchie marocaine s’efforcent à maintenir les choses en équilibre. Dans les territoires occupés sahraouis, la flamme de la révolte sociale s’est embrasée depuis les événements de Gdeim Izik en 2010, et maintenant les Sahraouis au Maroc sont mieux organisés, malgré la forte répression marocaine. Par conséquent, l’intégration du Maghreb arabe n’est plus un projet viable ou désirable, car il faut d’abord consolider la transition en Tunisie, garantir la stabilité de la Libye, qui souffre encore de conflits internes. Les conflits et l’insécurité sont les principales causes du blocus économique dans la région.

Beaucoup d’États engagés avec le Polisario, en dehors de l’Algérie, font du sur place, quand ils ne font pas carrément machine arrière…

Le Front Polisario perd de plus en plus des soutiens à l’Union africaine. L’Algérie et la Libye, leurs partisans classiques s’occupent de problèmes chez eux. Les autres soutiens rétrécissent. De ce fait, le Front Polisario s’accroche au cadre établi par l’ONU, «basé sur le respect de l’autodétermination et la fin de la colonisation». L’Espagne ne définit pas sa position et la question n’est pas à l’ordre du jour politique. Le gouvernement espagnol insiste sur le fait qu’il a une position de neutralité et de soutien pour une solution « juste et durable » pour le Sahara. Cependant, l’Espagne maintient un grand intérêt à avoir de bonnes relations avec le Maroc, un pays clé pour les intérêts économiques (accords de pêche), pour s’attaquer à l’immigration et à la sécurité face au défi djihadiste qui touche toute l’Europe.

Quelle solution pointe aujourd’hui et s’impose d’elle-même au milieu de ces imbroglios ?

Les options de négociation envisagent un plan dans lequel, après une période transitoire, les Sahraouis pourraient voter par référendum. Le modèle espagnol d’autogestion régionale est évoqué. Mais l’option de l’autonomie au Maroc ne génère pas d’espoirs car il n’y a pas d’expérience des autogouvernements régionaux dans le pays. Et le Maroc a montré qu’il préfère continuer avec le centralisme Makhzen, comme l’illustre le cas du Rif.

Une autonomie présenterait de graves problèmes internes dans le royaume, ouvrant la porte à d’autres régions pour réclamer plus d’indépendance régionale. D’un autre côté, le Maroc devrait donner des garanties sûres et suffisantes aux Sahraouis en termes de protection de leurs droits, ce qui est une question épineuse aujourd’hui vu le peu de respect pour les droits et vu les abus qui sont commis contre les populations locales. Pour le Front Polisario, il serait difficile d’accepter une large autonomie au Maroc, après 42 ans de lutte. La population ne le pardonnerait pas. Et il semble peu probable que cela se produise.

Et où se place aujourd’hui l’Onu par rapport à toutes ces voies obstruées ?

Par conséquent, la solution doit venir de l’ONU, recueillir les principes-cadres convenus par les parties dans les plans successifs de règlement et garantir les droits du peuple sahraoui et ses aspirations à l’autogestion de son territoire et de ses ressources. La communauté internationale, avec l’Espagne en tête, devrait aider dans ce processus sans tomber dans le soutien d’un parti uniquement. Sinon la solution restera bloquée à long terme.

Entretien réalisé par F. O.



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