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28-12-2017

18:16

Qatar vs quartet : l'Afrique convoitée

Le Point - Les derniers développements diplomatiques montrent combien l'Afrique est au cœur de la bataille d'influence que se livrent, d'une part, le Qatar et, d'autre part, le quartet constitué de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l'Égypte et du Bahreïn.

La crise diplomatique qui oppose le Qatar aux pays du quartet (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte et Bahreïn) est loin de se cantonner aux pays de la péninsule du Golfe. Dans le sillage, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis tentent d'entraîner les pays africains pour isoler par tous les moyens le petit émirat gazier.

Alors que l'Afrique ne fait pas partie des champs d'action traditionnels du Qatar, la récente tournée de l'émir Tamim ben Hamad al-Thani en Afrique de l'Ouest témoigne d'un changement de stratégie du pays.

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L'Arabie saoudite à l'attaque

Peu de jours après le début du blocus imposé au Qatar, l'Arabie saoudite s'est démenée pour obtenir le plus large soutien diplomatique possible, notamment auprès des pays africains. Ainsi, le Niger, le Sénégal, le Tchad rappelaient leurs ambassadeurs tandis que la Mauritanie, Les Comores et le Gabon rompaient les relations diplomatiques avec Doha.

Si des États partageaient, comme le quartet, une certaine aversion pour le Qatar à l'image de la Mauritanie, d'autres ont surtout voulu éviter de froisser Riyad. En effet, le royaume saoudien dispose de différents moyens de pression auprès des chancelleries africaines : des coupures dans les aides et subventions ou encore des complications dans l'obtention de visas pour se rendre au pèlerinage de La Mecque.

Les présidents d'États africains où la majorité de la population est de confession musulmane – dont de nombreux lieux de prières sont financés et contrôlés par des organismes saoudiens – ont été évidemment sensibles au lobbying diplomatique de Riyad.

Le Qatar réplique

À l'inverse de l'Arabie saoudite, le Qatar est historiquement peu implanté en Afrique subsaharienne. Si l'émirat a toujours estimé avoir une certaine proximité culturelle avec les pays du Maghreb ainsi que la Mauritanie et le Soudan, le Qatar n'avait jamais fait jusqu'à présent de l'Afrique subsaharienne une priorité.

Cette absence d'intérêt a entretenu les clichés et les incompréhensions vis-à-vis de l'émirat gazier, souvent perçu comme un potentiel tiroir-caisse et rarement comme un véritable investisseur ne s'intéressant qu'à des projets rentables.

Au-delà de l'aspect économique, certaines grandes puissances africaines ont développé des relations avec Doha compte tenu de la place particulière que joue le Qatar en tant que médiateur dans certaines crises africaines, notamment entre l'Érythrée et Djibouti ou encore dans la région du Darfour.

Riyad, bien que pas si bien perçu que ça...

Si Riyad possède donc de bien meilleurs relais diplomatiques en Afrique que Doha, ses actions ont tendance à cristalliser les tensions et à ne pas toujours être bien perçues par les États africains.

La visite-surprise du ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, au sommet de l'Union africaine de juillet dernier afin de rallier les chefs d'État africains a été considérée par beaucoup comme une volonté d'ingérence mal dissimulée.

Enfin, la contribution de 100 millions de dollars de l'Arabie saoudite au G5 Sahel (et de 30 millions pour les Émirats arabes unis) relance les accusations de « pompier pyromane » à son égard.

L'Algérie et le Maroc s'agacent en privé de l'immixtion de l'Arabie saoudite dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel alors que le royaume saoudien a contribué indirectement à l'essor d'une vision intégriste de l'islam dans la région.

Doha surtout sur le front économique et éducationnel

Dans le contexte d'une crise l'obligeant à diversifier ses partenariats, le Qatar a donc fini par s'intéresser au continent africain. L'émir Tamim ben Hamad al-Thani a pris le temps de visiter pendant sa tournée pas moins de six pays (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Guinée, Côte d'Ivoire, Ghana) ayant « un fort potentiel économique ».
Ainsi, ce sont près de sept accords de coopération dans les domaines économique, sportif, culturel et éducatif qui ont été signés avec la Guinée tandis que 14 millions de dollars seront consacrés à l'ouverture d'un centre de radiothérapie à Ouagadougou, au Burkina.

Surtout, près de 40 millions de dollars devraient être consacrés à l'éducation des jeunes enfants déscolarisés au Mali dans le cadre de l'initiative « Educate a child » de la fondation Education Above All lancée par l'ex-première dame du Qatar Sheika Mozza bint Nasser.

Si ces premiers gestes du Qatar à l'attention de l'Afrique depuis le début de la crise sont forts, c'est tout un processus diplomatique et économique sur le long terme que l'émirat gazier doit mettre en place pour concrétiser cette offensive diplomatique dans la région.

Si l'Arabie saoudite est déjà bien implantée, les Émirats arabes unis sont également de plus en plus actifs sur le continent pour diversifier leur partenariat. Car c'est en Afrique que se joue une importante partie du futur du monde, et aucun pays du Golfe n'a intérêt à en être

* président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE)

Par Emmanuel Dupuy*



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