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19-02-2018

08:35

Messaoud, mon frère, ne vois-tu rien venir ?

Initiatives News - Dans la vie publique de tous les jours, il existe des hommes, comme Messaoud Ould Boulkheir, dont le destin est intimement lié à la vie de tous pour ce qu’ils donnent d’eux-mêmes en vue de ce qu’ils croient être le bien-être de tous.

Ces hommes peuvent se tromper. Ils peuvent trébucher dans le parcours qui est le leur. Ils peuvent même donner l’impression de mordre la poussière. Mais ils ne peuvent – et ne doivent – être dépassés par les évènements. Pour ce qu’ils incarnent, pour ce qu’ils inspirent de légitimité… pour le charisme qu’ils dégagent et la justesse du combat qui est le leur…

Il y a quelques mois revenait parmi nous Messaoud Ould Boulkheir, après un voyage pour raisons sanitaires. Accueilli en grande pompe par une foule qui comptait aussi ceux qui l’ont diabolisé par le passé, il se trouve à présent en convalescence dans sa modeste demeure de Tivirit (25 km à l’est de Nouakchott, sur la route de l’Espoir).

Très affecté par la douleur qui persiste et qui l’empêche de se déplacer et même de se mouvoir dans la cour, le «vieux lion» est toujours prêt à rugir et à faire entendre sa voix.

Une pacification de la rue est l’une des exigences du moment

Il croit qu’il est temps pour ses compatriotes de comprendre l’utilité pour eux de se regarder autrement, la nécessité pour eux de se parler, de s’écouter, de s’entendre et de trouver un terrain commun.

Comme lui, beaucoup de gens sont convaincus que les Mauritaniens doivent commencer par apaiser leurs rapports. Une pacification de la rue est l’une des exigences du moment. Cela doit s’exprimer à travers une « refondation » de ces rapports. Cela commence par arborer le sourire dans la rue, les uns face aux autres. C’est un appel à la résistance contre cette atmosphère lugubre qu’on nous impose. Celle qui divise la société en groupes ennemis. Vous aurez compris que la haine diffusée et entretenue dans les réseaux sociaux, sur les pages de journaux et dans les sites dits d’information, que cette haine participe justement à la culture de l’aptitude la violence. Elle prépare et excite ce qu’il y a de violent en chacun de nous.

La pacification des rapports doit aussi se manifester par le contrôle de la parole publique et de l’espace public. N’importe qui n’a pas le droit de dire n’importe quoi de n’importe quel sujet.

Il y a besoin aujourd’hui d’entendre nos personnalités nous proposer de nous retrouver pour préparer les années à venir.

La dernière fois que le comité de suivi de la mise en œuvre des résultats du dialogue a rencontré le Président de la République, ses membres ont demandé des salaires en contrepartie de ce qu’ils font comme travail. C’est dire qu’il n’y a rien à attendre de ce côté.

L’Institution de l’Opposition démocratique aurait pu être l’interface adéquate entre les différents protagonistes du jeu politique en Mauritanie. Personne n’en a voulu.

Nos Ulémas ont préféré l’engagement politique et la prise de position dans nos querelles pour le pouvoir, à leur statut de référence et d’autorité religieuse moralement au-dessus de nous.

Tout cela est le résultat d’un processus politique où le dialogue a été impossible

En juillet 2010, Ahmed Ould Daddah, chef de file de l’Opposition, sortait optimiste d’une rencontre avec le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz dont il reconnaissait pour la première fois le statut.

En octobre, Messaoud Ould Boulkheir exige du Président d’exprimer solennellement sa volonté de dialoguer avec l’Opposition qui avait commencé à établir sa plate-forme consensuelle. Le 28 novembre 2010, le Président Ould Abdel Aziz tend officiellement la main à l’Opposition et déclare être prêt à ouvrir un dialogue «sans tabou» avec elle. Moins de deux semaines après, la structure dirigeante de la COD devient l’interlocuteur en lieu et place de l’Institution de l’Opposition pourtant organe institutionnel. C’est donc le président en exercice de la COD, Me Mahfoudh Ould Bettah qui doit prendre le relais. Mais c’est le président Messaoud Ould Boulkheir qui s’impose en temps qu’interface entre la Présidence et la COD.

Le temps de la discorde

C’est à l’issue d’une de ses rencontres avec le Président qu’on lui prête des propos peu amènes que Ould Abdel Aziz aurait tenu à l’encontre de Ould Daddah. Le département de communication du RFD se fend d’une réaction d’une violence sans précédent. C’est l’escalade par communiqués interposés.

Entretemps, les évènements de Tunisie se précipitent après l’immolation du jeune Bouazizi le 17 décembre 2010. En quelques semaines, le régime Ben Ali est balayé par une explosion populaire qui «contamine» la Libye, l’Egypte, la Syrie, le Yémen, le Bahreïn, le Maroc… On croit alors à un effet d’entrainement.

Les Islamistes durcissent le ton et le positionnement. Ils quittent la position de «mou’arada naaçiha» (opposition critique constructive) pour celui de «mou’arada natiha» (opposition en confrontation). C’est le processus de l’exigence du «rahil», sans les moyens nécessaires de l’imposer.

Pendant que les uns, ceux de la COD (coordination de l’opposition démocratique, ancêtre du forum national pour la démocratie et l’unité), s’enferment dans une logique radicale sans issue, Messaoud Ould Boulkheir et Bodyiel Ould Hoummoid mènent tranquillement le dialogue avec la Majorité, sur la base de la plate-forme élaborée par l’ensemble des partis d’opposition. C’est en partie pourquoi toutes les questions seront soulevées et traitées à l’issue de ce dialogue dont les lois sont approuvées une à une.

Tous les «dialoguistes» expriment leur satisfaction et déclarent leur rejet de toute ouverture d’un nouveau dialogue. Y compris le président Messaoud Ould Boulkheir qui reviendra quelques semaines plus tard pour amorcer une démarche qui aboutira quelques mois après à sa fameuse initiative.

Une fois encore, les mêmes hommes politiques se retrouvent piégés parce qu’ils auront mal apprécié la situation de départ, sous-estimé les capacités de l’adversaire, surestimé les leurs et ignoré voire méprisé le rapport de force sur le terrain. Tous leurs échecs trouvent ici leur explication.

La recherche de solutions

En 2015, le Président Messaoud Ould Boulkheir revient à la charge avec une initiative qui entend ramener tout le monde à la table de négociations. Après quelques rencontres avec le Président de la République d’une part et les leaders les plus en vue de l’opposition d’autre part, Ould Boulkheir consigne ses propositions dans un document qu’il fait parvenir aux autorités.

La proposition de Ould Boulkheir s’étale sur quatre étapes dont la première consiste en une rencontre préliminaire entre le Président de la République et les leaders de l’opposition, «à sa convenance, ensemble ou individuellement». L’objectif est de «les rassurer quant à sa volonté sincère d’échanger avec eux sur tous les problèmes majeurs du pays dans le but d’aboutir, ensemble, à des résultats qui garantiront au pays une transition consensuelle, rassurante, paisible, civilisée et démocratique». A ce stade, les rencontres «valent également déclaration solennelle d’intention et engagement des deux parties à accepter et à respecter les clauses» énumérées ensuite.

Et l’initiative Messaoud?

Engagements : ne pas recourir à la violence pour changer le pouvoir, ne pas remettre en cause la limitation des mandats présidentiels, ne pas soutenir un successeur désigné, adapter la législation et la réglementation en vigueur «pour prémunir le pays contre les dérapages et les extrémismes de toute nature susceptibles de porter atteinte à l’unité et à la sécurité du pays» (?), promouvoir une administration «au service de tous» loin des jeux politiques et «une justice pour tous, indépendante et crédible», restructurer la CENI et le Conseil Constitutionnel «sur les seuls critères de la compétence et de l’intégrité», couper les liens entre les partis soutiens du Président de la République et l’administration, reconsidérer le leadership de l’Opposition démocratique (Statut de l’Opposition), «interdire par tous les moyens légaux et réglementaires l’implication de l’Armée Nationale dans les activités politiques autres que le droit de vote universel», amender la Constitution pour «supprimer la limitation de l’âge des candidats aux présidentielles, y définir et y changer le mode de désignation des membres du Conseil Constitutionnel», pour finir par proposer «l’organisation de nouvelles élections municipales et législatives inclusives et le report des élections sénatoriales en vue d’y rendre possible la participation la plus large».

Les deux parties désignent alors leurs représentants aux négociations formelles qui devront se tenir «à l’abri des médias». Suivra ensuite l’ouverture officielle et solennelle et la dernière étape qui est celle de la mise en œuvre des termes de l’accord.

Encore une fois, les divisions au sein de la Majorité présidentielle et le radicalisme de certains pans de l’Opposition auront raison de l’initiative. La question aujourd’hui est de savoir si elle peut être remise à jour. C’est au Président Messaoud Ould Boulkheir de le dire s’il croit qu’il est encore possible de ramener toute le monde à la raison.

MFO



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