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12-03-2018

13:51

Hamed Diane Séméga, Haut-commissaire de l’Omvs : « L’Omvs est une fierté en raison de ses acquis et de son rôle dans l’intégration régionale »

Le Soleil - Hier, l’Organisation pour la mise en valeur du Fleuve Sénégal a bouclé ses 46 années d’existence. Durant cette séquence temporelle, l’organisation s’est hissée à la première place des structures de gestion intégrée de ressources en eaux partagées en Afrique et dans le monde, devançant des organisations bien plus anciennes.

Le Haut-commissaire revient, dans cette interview, sur les raisons de ce succès, sur sa feuille de route qui, selon lui, a pour fil conducteur la modernisation de l’Omvs, l’adaptation aux contextes et aux récentes évolutions. Il insiste également sur la réussite de la politique énergétique, la navigation sur le fleuve Sénégal.

L’Organisation pour la Mise en valeur du fleuve Sénégal boucle, ce 11 mars 2018, ses 46 années d’existence. Que représente réellement cette organisation pour les États ?

Pour la République de Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, l’Omvs est une fierté en raison de ses acquis et de son rôle dans l’intégration régionale.

Permettez-moi de rappeler quelques acquis qui fondent cette fierté. L’Omvs, créée dans un contexte de sécheresses récurrentes, avait pour mission de permettre aux États d’atteindre la sécurité alimentaire.

Pour ce faire, la première action de grande envergure était la construction d’un barrage anti-sel à Diama (frontière Mauritanie-Sénégal) pour créer les conditions d’un développement de l’agriculture irriguée. Un potentiel d’environ 250.000 hectares est devenu directement disponible.

La Mauritanie et le Sénégal ont ainsi aménagé de grandes superficies pour booster l’irrigation. Le résultat se passe de commentaires si l’on compare la vallée et le delta avant 1982 et leur situation après la mise en eau de Diama.

Pour appuyer davantage les États dans ce secteur stratégique, l’Omvs a élaboré un plan d’actions pour l’amélioration des cultures irriguées. Sans attendre, d’importants projets ont été lancés pour appuyer les États dans cet effort de sécurité alimentaire.

Avec la Banque mondiale, un Programme de gestion intégré des ressources en eau (Pgire) s’exécute de 2007 à nos jours avec pour épine dorsale le secteur hydro-agricole.

La première phase du projet était de 110 millions de dollars américains et la seconde phase en cours d’exécution consacre plus de 40% de son budget de 240 millions de dollars au secteur hydro-agricole.

Nous mettons également à la disposition des États membres de l’énergie propre à bon marché grâce aux barrages de Manantali et de Félou. Cette énergie est transportée via le réseau interconnecté de Manantali, qui est le symbole de l’intégration réussie dans ce secteur.

Les efforts se poursuivent dans ce domaine avec la construction actuelle du barrage de Gouina et la recherche de financements pour les barrages de Koukoutamba, Gourbassi, Bouréya et Balassa. Et pour valoriser tout le potentiel, les études sont en train d’être menées pour l’aménagement des sites de microcentrales en République de Guinée.

L’Omvs est aussi source de fierté parce qu’elle procure de l’eau aux populations, aux bétails et à la biodiversité. Les prises d’Aftout Es Saheli et les usines d’eau de Keur Momar Sarr, toutes prélèvent de l’eau du fleuve et permettent d’alimenter Nouakchott à hauteur de 100 % et Dakar à hauteur de 50%.

Quid des populations riveraines du Fleuve ?

Les populations riveraines, surtout celles de la vallée et du delta, qui ont vécu les effets de l’avancée de la langue salée, connaissent les avantages de l’Omvs. Les ouvrages de Diama et Manantali ont bouleversé positivement leur vie en sécurisant l’eau pour toutes les activités économiques.

Les actions cumulées des programmes antérieurs et en cours, ont eu des impacts directs sur la vie des populations. J’en reviens au Programme de gestion intégré des ressources en eau (Pgire) que je citais à l’instant et qui est un effort sans précédent pour lutter concrètement contre la pauvreté dans le bassin.

En effet, le Pgire a été formulé pour créer les conditions d’un développement à la base, en permettant aux populations les plus démunies du bassin de tirer réellement profit de la disponibilité de l’eau, et, ce faisant, augmenter sensiblement leurs revenus.

Les appuis directs aux acteurs de la pêche continentale, de la petite agriculture irriguée, la construction de routes et les unités d’électrification rurale contribuent sensiblement à améliorer les conditions de vie des populations. Nous n’avons pas négligé la santé puisque dans le projet, des millions de Moustiquaires imprégnées à longue durée d’action (Milda) et des millions de comprimés sont distribués aux populations pour soutenir les efforts nationaux de lutte contre le paludisme et les bilharzioses.

Au total, nous avons injecté 110 millions de dollars dans une 1ere phase de 7 ans et nous avons pu mobiliser 245 millions de dollars américains pour la seconde phase en cours de mise en œuvre.

L’Omvs a été sacrée, en 2015 et 2017, meilleur organisme de gestion intégrée des ressources en eaux, à l’échelle du monde. Quelle est la raison de ce rayonnement international et que comptez-vous faire, avec les quatre États membres pour conforter ce statut ?

En moins d’un demi-siècle, l’Omvs s’est hissée à la première place des structures de gestion intégrée des ressources en eaux partagées en Afrique et dans le monde, devançant des organisations bien plus anciennes. Nous le devons à notre expérience de gestion concertée et pacifique du fleuve Sénégal que nous avons réussi à mener depuis plus de 45 ans, sur la base de textes solides et consensuels.

Car le véritable ciment de cette organisation, qui fait également son originalité, c’est un socle juridique unique. Par exemple et cela est peu connu, les ouvrages réalisés à ce jour sur le fleuve Sénégal ont le statut d’ouvrages communs ; ce qui signifie qu’ils sont la propriété commune et indivisible des États membres. C’est une particularité qui n’existe nulle part ailleurs.

Ce sont justement les outils institutionnels et juridiques qu’elle a mis en place au fil des ans, les projets de grandes envergures que les États ont réalisé ensemble qui ont contribué à forger la réputation de l’Omvs et sa stature d’organisme de bassin de référence mondiale.

Nous avons présidé, pendant plusieurs années, le Réseau international des organismes de bassin, le Riob, et depuis sa création, nous assurons le Secrétariat technique permanent du Réseau africain des Organismes de Bassin.

Ajoutons que tout cela n’aurait pas été possible sans la constance des Chefs d’États qui ont toujours persévéré dans leur soutien sans faille à l’Organisation depuis sa création.

Paradoxalement, l’Organisation pour la Mise en valeur du fleuve Sénégal ne semble pas bénéficier du même rayonnement auprès des populations. Comment l’expliquez-vous et qu’est-ce que vous allez faire pour une meilleure connaissance des réalisations de l’organisation dans les quatre pays?

Pendant longtemps centrée sur ses dossiers techniques, l’Omvs n’a pas beaucoup communiqué sur ses missions ni sur ses réalisations. Cela, surtout dans les localités où elle est en contact direct avec les usagers que l’organisation est connue et que des efforts importants de communication ont été faits dans les volets information et sensibilisation de certains projets.

Cependant, cela est loin de correspondre à nos ambitions dans ce domaine et nous sommes dans une dynamique de renforcement de la communication, en l’adossant à une stratégie globale et un plan pluriannuel.

Le Projet Navigation est un volet d’un très grand projet d’infrastructures, le Système intégré de transport multimodal. Où est-ce que vous en êtes et quelles sont les actions mises en œuvre pour accélérer ce projet ?

Le système intégré de transport est au cœur des priorités de l’Organisation. Il ambitionne de faciliter la mobilité des biens et des personnes pour stimuler les économies, principalement en rendant le fleuve Sénégal de nouveau navigable entre Saint-Louis du Sénégal et Kayes au Mali.

Il s’agit donc d’enjeux considérables pour l’économie des États, notamment pour désenclaver certains territoires et évacuer les richesses minières et agricoles. Il y a eu certes des retards dans la mise en œuvre de ce volet de notre programme, mais les efforts se poursuivent pour que la navigation soit enfin une réalité.

Nous sommes en discussions avancées avec la société indienne Afcons, nous avions signé un mémorandum d’entente pour la réalisation du projet, sur financement d’Eximbank Inde. A ce jour, nous sommes en train d’analyser les offres techniques et financières soumises par Afcons, s’en suivra la négociation entre les parties prenantes, pour enfin commencer la réalisation du projet dans un bref délai.

Que fait votre institution pour être moins dépendante des ressources financières mises à sa disposition par les États membres ?

La dépendance existera toujours car l’Omvs appartient aux États. Nous allons, cependant, trouver des mécanismes permettant aux États de mieux contribuer, sans trop faire recours aux cotisations. Une étude institutionnelle axée sur la revue institutionnelle et le système d’autofinancement est en cours. Nous espérons que les conclusions de cette importante étude permettront de trouver une solution durable au financement des activités de l’Omvs.

Le Massif du Fouta Djallon, en République de Guinée, abrite les têtes de source des trois affluents qui forment le fleuve Sénégal. Que fait l’organisation pour protéger ces massifs des actions de l’homme ?

L’Omvs est préoccupée, au plus haut niveau, par la dégradation continue des écosystèmes du massif. Rappelons que les massifs du Fouta Djallon sont le berceau de grands fleuves transfrontaliers comme le Sénégal, le Niger et la Gambie. C’est une zone stratégique pour nous, mais aussi pour l’Union africaine et la Cedeao. L’Union africaine a créé un Programme aux fins de sauvegarder le massif.

Ce programme sera transféré à la Cedeao. Mais l’Omvs n’a pas attendu tout ce processus. En mars 2015, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement nous avait instruit de mettre en place un Observatoire des Massifs du Fouta Djallon. Pour l’exécution de cette résolution, une étude institutionnelle est en cours et les partenaires sont mobilisés.

L’Agence française de développement (Afd) a manifesté son intention de contribuer à la mise en place de cet Observatoire. Avec l’appui de l’Union européenne et de la Coopération italienne, un nouveau programme vient d’être lancé avec, entre autres objectifs prioritaires, l’appui à l’Observatoire.

La structure sera abritée par les locaux de l’ancienne Office des États Riverains (Oers), situés à Labé (République de Guinée). Les bâtiments sont en cours de réhabilitation avec l’appui du Royaume des Pays Bas.

Vous avez pris fonction en juin2017. Quelle est votre feuille de route dans le court, moyen et long terme ?

La feuille de route du Haut-Commissaire est celle décidée par les plus hautes autorités de l’Organisation, les présidents Alpha Condé (République de Guinée), Ibrahim Boubacar Keita (Mali), Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie) et Macky Sall (Sénégal et président de la Conférence des Chefs d’État).

Elle est exécutée sous l’impulsion et la supervision du Conseil des ministres de l’Omvs. Elle a pour fil conducteur la modernisation de l’Omvs, l’adaptation aux contextes et aux récentes évolutions. Ainsi seulement elle pourra continuer à incarner l’idéal de développement solidaire et d’intégration régionale qui l’a vu naître.

Réussir la politique énergétique et faire de l’Omvs un acteur incontournable du marché sous régional de l’énergie, concrétiser la navigation sur le fleuve Sénégal, contribuer aux efforts des États en faveur de la sécurité alimentaire et renforcer le leadership de l’Omvs sur les plans régional et international : tels sont les principaux axes programmatiques sur lesquels devront porter les efforts pour les prochaines années. Et l’ensemble de la famille Omvs est mobilisée, à mes côtés, dans cette exaltante mission, à nous confiée, par les Chefs d’État de l’Omvs.

Propos recueillis par Mamadou GUEYE



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