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25-04-2018

06:30

Mauritanie : première condamnation pour usage du mot "esclave"

La Tribune Afrique - Une manière pour la justice mauritanienne de réaffirmer la rigueur d’une loi récente. Pour la première fois dans le pays, des personnes ont été condamnées à une peine ferme assortie d’amendes.

Leur tort : avoir fait subir un préjudice à leurs victimes pour les avoir traitées d’ «esclaves». Un verdict inédit pour la Mauritanie, très souvent brocardée par les ONG internationales sur la question de l’esclavage, mais qui tente tant bien que mal de faire appliquer une loi pénalisant ce crime.

La peine maximale assortie d'une amende. Le juge du Tribunal de répression des crimes d'esclavage a voulu marquer le coup en appliquant toute la rigueur d'une loi en vigueur depuis 2015. Ce lundi 23 avril 2018 à Nouakchott, trois prévenus ont été condamnés par cette Cour anti-esclavage pour avoir fait subir à leurs victimes un préjudice moral à leurs victimes en les traitant d'«esclaves».

En vertu de la même loi qui sanctionne «tout comportement consistant à dénigrer ou à traiter en traitant autrui d'esclave», les prévenus ont écopé d'une amende de 600 euros.

Résurgence après abolition et incrimination

Ce verdict inédit pour «dénigrement» a fait des vagues dans le pays et même à l'étranger où l'image de la Mauritanie est souvent écornée par des rapports d'ONG internationales, Amnesty International en tête. A contre-courant du gouvernement qui nie l'existence de l'esclavage dans le pays, l'ONG basée à Londres estime, dans son rapport de mars dernier, que la Mauritanie compterait pas moins de 43 000 «esclaves».

Officiellement pourtant, la Mauritanie a aboli toute pratique esclavagiste depuis 1980. En 2007, le pays avait rangé l'esclavage et toute pratique affiliée dans l'armoire juridique de crimes réprimés et incriminés. Une nouvelle loi en vigueur depuis 2015 avait permis de classer l'esclavage au rang de «crime contre l'humanité imprescriptible».

Face à la résurgence d'actes d'esclavagisme dans le pays, la nouvelle loi avait permis la création de trois Cours spécifiques pour le jugement des plaintes à caractère esclavagiste à Nouakchott, la capitale, à Nouadhibou (nord-ouest) et à Néma (à l'extrême est). Elles sont chargées d'appliquer la loi dans toute sa rigueur pour faire disparaître le phénomène qui motive des manifestations, parfois réprimées, et l'emprisonnement de leaders du mouvement anti-esclavagiste. Avec toute la rigueur de la loi !

Première sanction prise par ces tribunaux, cette sentence couperet du Tribunal de répression des crimes d'esclavage de Nouadhibou. En mars dernier, le juge de cette cour spéciale avait condamné à des peines allant de 10 à 20 ans de prison deux femmes reconnues coupables d'avoir réduit en esclavage des victimes. La peine des deux prévenues avait été assortie d'amendes allant de 25 000 à 500 000 ouguiyas (entre 600 et 10 000 euros).

Sans doute une réponse judiciaire aux nombreuses critiques pour son image à l'international, la Mauritanie a décidé de briser le tabou sur cette question sensible. De l'avis de plusieurs observateurs, la prochaine bataille des autorités sera sans doute celle de l'opinion. Mais pour l'heure, le signal en provenance de Nouakchott est clair : le délit d'opinion comme le crime de la pratique de l'esclavage seront punis. Avec toute la rigueur de la loi !

Par Ibrahima Bayo Jr.



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