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07-05-2018

06:29

L’Ethiopie à l’avant-poste des délocalisations chinoises en Afrique : 85 millions d’emplois à gagner !

Agence Ecofin - En se positionnant en tant qu’eldorado salarial pour les entreprises chinoises obsédées par la réduction de leurs coûts, l’Ethiopie est en train de tirer parti du rééquilibrage de l’économie de l’Empire du milieu.

Mais le statut de «nouvelle usine la Chine» que l’ex-royaume d'Abyssinie est en passe d’acquérir est déjà contesté par d’autres challengers africains cherchant à capter une partie de 85 millions d’emplois industriels qui quitteront le pays le plus peuplé de la planète. Un nouveau chapitre de l’histoire de la Chinafrique s’ouvre…

Le fameux «made in China» sera-t-il bientôt remplacé par le «made in Ethiopia» ? Il est encore tôt pour répondre par l’affirmative à cette question. Mais les experts sont unanimes: l’Ethiopie est en train de se positionner en tant qu’usine low-cost de la Chine et de se faire un nom sur la carte mondiale des délocalisations des industries manufacturières.

De Kombolcha (Nord) à Hawassa (Sud) en passant par Dukem et Bole Lemi (centre), des parcs industriels et des zones économiques spéciales inspirées du modèle chinois fleurissent.

Quelque 279 entreprises industrielles originaires de l’empire du milieu ont déjà transféré une partie ou la totalité de leurs activités dans ces véritables enclaves industrielles chinoises, et plus de 100 autres entreprises sont en cours d’implantation.

Six grands parcs industriels construits par des entreprises chinoises, et majoritairement financés par l’Exim Bank of China, sont déjà opérationnels. Quelque 279 entreprises industrielles originaires de l’empire du milieu ont déjà transféré une partie ou la totalité de leurs activités dans ces véritables enclaves industrielles chinoises, générant plusieurs dizaines de milliers d’emplois, et plus de 100 autres entreprises sont en cours d’implantation dans le deuxième pays le plus peuplé du continent, selon les données de la commission éthiopienne de l’investissement (EIC).

Installé dans l’Eastern Industrial Zone à Dukem, le groupe chinois Huajian produit chaque jour plus de 6000 paires de chaussures en cuir, qu’il exporte essentiellement vers les Etats-Unis pour des marques prestigieuses telles que Guess, Toms, Naturalizer ou encore Marc Fisher.

A Hawassa, un parc industriel construit en neuf mois par la China Civil Engineering Corporation pour un investissement de 250 millions de dollars, Indochine Apparel sous-traite pour des marques occidentales de prêt-à-porter aussi célèbres que Guess et Levi’s tandis que les principaux donneurs d’ordre de Jiangsu Sunshine Group sont Giorgio Armani et Hugo Boss.

L’arrivée massive des entreprises chinoises a entraîné dans son sillage des délocalisations de plusieurs grands groupes occidentaux spécialisés dans le textile-habillement comme le géant américain PVH, détenteur des marques Calvin Klein and Tommy Hilfiger, et le groupe suédois de prêt-à-porter Hennes & Mauritz (H&M), mais aussi de grosses pointures opérant dans d’autres activités industrielles comme General Electrics, Dow Chemicals et Unilever.

Les parcs industriels éthiopiens attirent par ailleurs de plus en plus d’entreprises japonaises, indiennes, indonésiennes et turques.

Champion incontesté de la croissance en Afrique

La dynamique d’industrialisation initiée en 2010 à la faveur du plan de croissance et de transformation (Growth and Transformation Plan), lancé par l’ancien Premier ministre, feu Meles Zenawi, est loin de ralentir. Huit nouveaux parcs industriels devraient sortir de terre d’ici 2020 pour permettre au secteur industriel de représenter 20 % du PIB et 50 % du volume des exportations du pays d'ici 2025.

«Le plan de transformation de l’économie éthiopienne prévoit de créer un total de 2 millions d'emplois dans le secteur manufacturier d'ici 2025. Jusqu’ici, notre économie est essentiellement agraire, mais cela va changer rapidement», souligne le directeur de la commission éthiopienne de l’investissement, Belachew Mekuria.

Premier partenaire économique de l’Ethiopie, la Chine est aussi le premier investisseur étranger dans le pays. Outre son rôle de locomotive de l’industrialisation de ce vaste pays d’Afrique de l’Est, la Chine investit massivement dans les secteurs du BTP, des transports et des télécommunications. Ce sont en effet les groupes China rail engineering corporation (CREC) et China civil engineering construction corporation (CCECC) qui ont construit la voie ferrée reliant Addis-Abeba à Djibouti, pour un investissement de 4 milliards de dollars, en partie financée par l’Exim Bank of China. Mise en service en janvier dernier, cette première ligne ferroviaire électrique transfrontalière d'Afrique a permis de réduire la durée du trajet entre la capitale éthiopienne et la ville portuaire de Djibouti à 10 heures au lieu de 48 heures.

Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat est passé de 1111 dollars américains en 2010, à 2161 en 2017, tandis que le taux de pauvreté est passé dans le même temps de 45 % à 22%.

La diversification à marche forcée de l’économie éthiopienne contribue à changer, peu à peu, l’image de ce pays de près de 100 millions d’habitants. Avec un PIB en hausse de 9% en moyenne depuis douze ans, l’Ethiopie est désormais le champion incontesté de la croissance en Afrique. Certains analystes n’hésitent plus à la surnommer le «tigre de l’Afrique», par analogie aux pays émergents du sud-est asiatique. Le pays qui abrite le siège de l’Union Africaine (UA) devrait voir son PIB progresser de 8,5% en 2018, selon les prévisions du Fonds monétaire international. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat est passé de 1111 dollars américains en 2010 à 2161 en 2017, tandis que le taux de pauvreté est passé dans le même temps de 45 % à 22%. Le pays, qui ambitionne d’intégrer le club des nations à revenu intermédiaire d’ici 2025, a également réussi à multiplier par quatre son taux de scolarisation dans le primaire et à diviser par deux le taux mortalité infantile.

Des salaires dix fois moins élevés qu’en Chine

Selon les calculs de The Economist Intelligence Unit (EIU), le pays des Négus a attiré 4,2 milliards d’investissements directs étrangers durant l’exercice 2016-2017, grâce notamment aux investissements chinois dans le secteur manufacturier. Cet engagement croissant de la Chine en Ethiopie est tout sauf une affaire de charité. Il s’agit plutôt d’un marché gagnant-gagnant. L’Ethiopie y gagne une diversification inespérée de son économie et une importante réduction d’un chômage encore endémique, qui touche environ 25% de la population active. La Chine, elle, est en train de réaliser ce que l’Europe et les Etats-Unis ont fait en Asie au cours des dernières décennies : obtenir des coûts de production avantageux pour son industrie.

La Chine, elle, est en train de réaliser ce que l’Europe et les Etats-Unis ont fait en Asie au cours des dernières décennies : obtenir des coûts de production avantageux pour son industrie.

L’Ethiopie offre aux entreprises manufacturières qui plantent leurs fanions dans ses parcs industriels une ribambelle d’incitations fiscales et d’avantages douaniers. Cela va d’une exonération d’impôt durant cinq ans à une exemption de taxes sur l'importation de biens d'équipement, en passant par la possibilité de bénéficier des avantages du programme AGOA (Africa Growth and Opportunity Act), un régime de préférences commerciales accordé par les États-Unis aux pays d’Afrique subsaharienne. Les coûts énergétiques sont également bas, grâce aux nombreux barrages hydroélectriques dont dispose le pays.

L’abondance de la main-d’œuvre et son faible coût arrivent cependant en tête des avantages comparatifs de l’Ethiopie. A Addis-Abeba, le salaire moyen dans l’industrie manufacturière tourne autour de 60 dollars par mois contre plus 600 dollars en Chine.

A Addis-Abeba, le salaire moyen dans l’industrie manufacturière tourne autour de 60 dollars par mois contre plus 600 dollars en Chine.

L’Ethiopie représente à ce titre un avant-poste des délocalisations chinoises qui vont s’accélérer. Le temps où l’usine du monde faisait la loi sur le marché de la production à bas coût est révolu. Les salaires des ouvriers chinois ont pris l’ascenseur dans un contexte de rééquilibrage du modèle de croissance vers la demande intérieure et l’abandon de l’ultra-dépendance aux exportations à faible valeur ajoutée. Conséquence : les entreprises chinoises cherchent plus que jamais à transférer leurs activités les plus intensives en main d’œuvre peu qualifiée dans de nouveaux eldorados salariaux, non seulement pour préserver leurs marges, mais aussi pour rester compétitifs par rapport à des concurrents prêts à déplacer des sites industriels comme des briques de Lego.

Une multitude de concurrents africains aux aguets

Dans cette arène, qui n’obéit qu’à la loi d’airin (théorie économique selon laquelle le salaire moyen ne dépasse pas le minimum vital nécessaire à la subsistance et à la reproduction de l'ouvrier, compte tenu des habitudes et du degré de civilisation d'un pays), le faible coût du travail en Ethiopie rivalise même avec les destinations asiatiques les plus low-cost comme le Vietnam et le Bangladesh, où le salaire moyen dans le secteur manufacturier est respectivement de 122 et 68 dollars.

En Afrique, les nouveaux chemins de la délocalisation sont toutefois nombreux et encombrés. De plus en plus de pays du continent pouvant offrir des coûts logistiques plus avantageux que ceux du pays enclavé de la Corne de l’Afrique, grâce à leurs infrastructures portuaires modernes, font des appels du pied à la Chine, qui devrait délocaliser 85 millions d’emplois industriels dans les prochaines années, selon les prévisions de la Banque mondiale.

Le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya et le Nigeria accueillent depuis quelques années des entreprises industrielles chinoises grâce au coût réduit de leur main-d'œuvre, mais aussi grâce à la taille de leur marché national ou régional et à leurs bonnes performances logistiques.

En Egypte, une cinquantaine d’entreprises chinoises sont déjà implantées dans la zone économique spéciale construite par la Chine au nord du golfe de Suez. Le Maroc a, quant à lui, signé l’an dernier une convention avec le groupe chinois Haite pour l'édification d'une ville industrielle, qui accueillera quelque 200 compagnies chinoises opérant dans la construction automobile, l’industrie aéronautique ou encore le textile. Cette ville, qui sera érigée sur 2000 hectares près du port de Tanger, pour un investissement d'un milliard de dollars, devrait générer à terme100 000 emplois.

Cette ville, qui sera érigée sur 2000 hectares près du port de Tanger, pour un investissement d'un milliard de dollars, devrait générer à terme100 000 emplois.

Dans cette partie de Monopoly industriel qui se joue sur le continent, la Chine communiste fait jouer la pure et parfaite concurrence propre au libéralisme. Le géant asiatique est en train de construire pas moins de sept grandes zones économiques spéciales en Afrique: Chambishi et Lusaka en Zambie, Jinfei à Maurice, Ogun et Lekki au Nigeria, Suez en Egypte, et Eastern Industrial Zone en Ethiopie.

Les pays du continent qui capteront la majeure partie des délocalisations chinoises ne seront pas forcément les «moins-disants» salariaux, mais plutôt ceux qui investiront le plus dans les ressources humaines.

«On voit de plus en plus d’industriels chinois regarder vers l’Afrique pour y délocaliser certaines de leurs activités. L’histoire de la Chinafrique est en train de changer. On passe petit à petit d’un modèle fondé sur l’exploitation des matières premières à un modèle reposant sur l’utilisation des ressources humaines», résume l’économiste David, ex-directeur de la Banque mondiale pour la Chine et ancien représentant du Trésor américain à Pékin, dans un rapport rédigé pour le think tank américain Brookings Institution.

Selon lui, les pays du continent qui capteront la majeure partie des délocalisations chinoises ne seront pas forcément les «moins-disants» salariaux, mais plutôt ceux qui investiront le plus dans les ressources humaines. Dans ces conditions, le remplacement du «made in China» par le «made in Ethiopia» reste très hypothétique.

Walid Kéfi



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