Cridem

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03-08-2018

16:48

Qui donc a tué Salka ? /Isselmou Ould Abdel Kader

Le Calame - J’aurais pu commencer par dire « où allons-nous ? » en plagiant le titre d’un article publié il y a quelques années par l’un de mes honorables concitoyens dans un contexte comparable, à peu de choses prés, à celui que nous vivons actuellement. Je dois tout de suite préciser qu’entre hier et aujourd’hui, il n’y a point de différence à mon humble avis.

Nous vivons toujours dans le désespoir, l’obscurité, l’absence de perspectives et la peur des lendemains. Ne pensez pas, chers lecteurs, si je vais en avoir, que j’envisage d’accuser l’un des hommes ou l’une des équipes qui ont eu le malheur d’assumer le destin de ce malheureux pays.

J’accuse tous ces hommes et toutes ces équipes, mais surtout l’Histoire qui y a donné rendez-vous à des groupes formés pour l’essentiel de Maures et de Peulhs qui, après en avoir chassé des communautés sérères sédentaires bien organisées, firent de l’anarchie et du vandalisme, souvent cruel, leur mode de vie.

Quand je regarde mes petits enfants, je ne peux m’empêcher d’avoir le cœur serré et de me demander ce qui leur arrivera lorsque leur pays reviendra aux siècles de terreur qui ont précédé la pénétration coloniale. Je revois cette image horrible qui aurait convaincu l’un de nos illustres hommes historiques, en l’occurrence Baba Ould Cheikh Sidya, paix à son âme, de la nécessité de faciliter la tâche aux colonisateurs français au début du siècle dernier.

On raconte que cet homme bien inspiré dont nous glorifions la mémoire au risque de provoquer le courroux de ceux qui se gargarisent des faits d’une résistance imaginaire à la colonisation rendit visite à un campement dévasté par une razzia.

Il y trouva, sur le point de mourir une jeune fille dont l’un des membres du groupe de pillards avait coupé les bras pour ne pas perdre le temps à lui arracher ses bracelets en or.

Cette douloureuse anecdote me revient à la mémoire chaque fois que je vois un signe d’anarchie, de décrépitude de la puissance publique, de déni de droit, d’autant plus qu’il n’y a plus de cheikhs capables de pleurer et d’appeler au secours une puissance étrangère, ni d’émirs justiciers et capables de poursuivre et de punir les razzieurs criminels.

Il n’y a plus que l’État, du moins ce que nous avons l’habitude d’appeler ainsi, et j’ai peur d’autant que, plus cette illusion perdure, plus notre pays s’installe dans une indescriptible anarchie.

Au fur et à mesure qu’il s’éloigne de son point de départ, l’État se nécrose au point que personne ne le respecte, que l’anormalité devient la règle, que l’image du Droit devient banale et que les insignes et les symboles publics sacrés se profanent et deviennent insignifiants.

Incivilité

Des automobilistes, commerçant lentement au milieu de la chaussée, empêchent une ambulance de sauver un malade, des habitants de quartiers obstruent la voie publique et privent impunément d’autres des services d’incendie, des camions semi-remorques traversent tout le pays pendant la nuit sans aucun feu de position, d’autres passent la nuit garés en pleine route sans aucune signalisation, de hauts fonctionnaires exercent les plus hautes fonctions de l’Etat alors qu’ils n’ont jamais mis pied dans une structure d’enseignement, des fusils d’assaut se trouvent aux mains de jeunes gens enivrés par la folie de l’âge, des canons sans recul et des caisses de munitions reposent paisiblement dans les arrière-boutiques.

Jusqu’à la fin des années 1970, il existait un tribunal de première instance et cinq sections judiciaires bien implantées dans le pays. Ces tribunaux jugeaient les auteurs d’infractions de simple police sur l’ensemble du territoire et procuraient au budget de l’État le produit d’amendes forfaitaires qui pouvait couvrir les charges de fonctionnement des brigades de Gendarmerie nationale assurant admirablement le respect de l’ordre et du droit dans ses moindres aspects.

Personne ne pouvait jeter des immondices sur la voie publique, refuser d’obtempérer à l’ordre d’un agent de la force publique, omettre d’afficher la liste de prix, se livrer à une rixe sur la voie publique, jeter un cadavre dans la rue, faire un tapage nocturne après vingt-deux heures, etc.

Aujourd’hui, il n’y a plus de tribunal de simple police, plus de carnets d’amendes remis aux agents de police judiciaire après avoir été cotés et paraphés par le tribunal territorialement compétent.

Peu de magistrats sont au courant de l’existence du décret prévoyant et punissant les infractions de simple police et il est à craindre que, bientôt, le code pénal ne sera plus qu’un souvenir. Comme l’inflation a fait disparaitre les pièces de monnaie de 1 à 50 ouguiyas, l’habitude fait accepter l’anarchie comme un phénomène normal.

Les agents de police judiciaire ne se fatiguent plus à relever les infractions à cause des interventions venant de tel ou tel haut gradé. Les crimes sont jugés par les djamaa qui, après un simple échanges des mots d’amabilité évoquant les liens privilégiés entre les tribus respectives de la victime et du coupable, prononcent la relaxe de se dernier.

La seule force publique qui continue à faire respecter la Loi et à la respecter elle-même est la Gendarmerie nationale qui commencera bientôt à baisser les bras pour ne pas être emportée par le torrent de la désobéissance collective.

Tous ceux qui ont participé ou participent encore à l’exercice du pouvoir exécutif dans ce pays, y compris l’auteur de ces modestes lignes, ont fait preuve d’une incroyable naïveté en confondant la tolérance et l’impunité.

Ils ont eu peur de déplaire aux citoyens en les laissant se comporter de manière à miner l’autorité de l’Etat, à saper les bases du droit garantissant à chaque citoyen de se sentir bien chez lui, à briser les barrières qu’imposent l’harmonie et la paix sociale.

A tous les échelons, ces responsables justifient paradoxalement leur complaisance par le souci de préserver la quiétude et la tranquillité, alors qu’en habituant les citoyens à violer impunément les règles élémentaires de droit, on sème les graines d’une désobéissance civile de fait et de droit qui peut déboucher facilement sur une guerre civile.

D’autres autorités prétendent qu’elles tolèrent les infractions, y compris les crimes, pour s’assurer le plus de voies possibles en cas d’élections, comme s’il était moralement permis de corrompre les électeurs en leur offrant les fruits empoisonnés de l’anarchie.

Anarchie

Il y a quelques mois, les taxis ont été obligés de s’arrêter sur le trottoir pour ne pas gêner la circulation. Cette mesure a failli provoquer une insurrection armée obligeant le Gouvernement à baisser aussitôt la culotte (excusez le terme) devant les héros d’une révolte sublime, en l’occurrence quelques centaines de conducteurs enragés pour avoir sommés de respecter les dispositions élémentaires du Code de la route.

C’était un groupe de conducteurs de taxis rebelles ne respectant aucune règle de circulation, ne portant aucune couleur spéciale comme on le fait partout ailleurs et n’ayant été enregistrés nulle part pour être identifiés en cas d’accident.

Nous organisons des élections uniquement pour nous quereller car, dans une telle situation, il ne nous sert à rien d’avoir des législateurs et de nous fatiguer à organiser des compétitions électorales.

Mais si la démocratie signifie l’anarchie, nous sommes déjà le pays le plus démocratique au monde. Tous les signes le montrent suffisamment et notre concitoyenne feue Salka l’a su malheureusement à ses dépens, puisqu’elle a été déchiquetée par une rafale d’une kalachnikov qui aurait pu être achetée n’importe où au vu et au su de tout le monde.

Nous sommes tous responsables de la mort de cette jeune fille et nous devons le reconnaitre au lieu de nous limiter à la pleurer.

D’autres Salka sont déjà mortes et mourront dans les mêmes circonstances sans que personne n’ait besoin d’en identifier le coupable réel au moment où notre pays revient doucement, mais sûrement au temps du « war-war »

J’entends déjà des voies qui chantent pour me rappeler que notre pays est sécurisé contre les groupes terroristes et que, depuis six ans, il n’y a jamais eu un attentat. J’en suis tout à fait conscient et je m’en réjouis profondément.

Mais à quoi sert-il aux groupes terroristes de troubler le sommeil des leurs quand ces derniers diffusent en permanence leur discours haineux par des haut-parleurs librement installés sur tous les toits, vendent leurs faux médicaments sans aucune entrave, apprennent le rigorisme salafiste le plus intolérant dans des structures d’enseignement dont les programmes ne sont soumis à aucun contrôle et reçoivent des appoints financiers sans passer par les circuits officiels ?

Dans la stratégie de la nébuleuse terroristes sahélienne, chaque pays de la zone joue un rôle spécifique et nous devons nous réjouir du fait que le nôtre semble probablement destiné à servir de base arrière assurant la logistique en termes de formation, d’investissement, de lieu de recel et de retraite pour le repos des combattants, etc.

C’est une excellente chose que nous ayons renforcé nos moyens de défense et de sécurité intérieure, car c’est notre ultime recours en cas de menace globale sur le pays. Mais à quoi servent ces moyens s’ils ne peuvent pas faire respecter l’ordre et instaurer la paix sociale ?

Certains parmi nous - et je crains que ceux qui nous dirigent en fassent partie-, ne pensent à l’ordre public que lorsqu’il s’agit pour eux de faire face à un mouvement de rue non autorisé.

Ils ne se rendent pas compte que l’anarchie quotidienne des comportements individuels et collectifs est autrement plus dangereuse qu’une simple manifestation, puisqu’elle érode les fondements de l’État et le conduit au bout du compte à sévir de manière excessive et arbitraire en provoquant la dislocation du pays.

Avons-nous donc le droit de perdre du temps à nous quereller pour partager les reliefs du festin empoisonné d’une démocratie forcément clonée, alors que l’essentiel est ailleurs ?

N’est-il pas plus sage de rechercher, sans tarder, un consensus pour refonder l’Etat sur des bases simples et claires dont le respect absolu par tous, y compris les dirigeants est la quintessence de l’indispensable Etat de droit ? Ou allons-nous continuer à d’observer passivement le crépuscule d’une illusion à peine naissante qui risque de nous faire revenir deux siècles en arrière à cause de l’impunité et de nos comportements délibérément anarchiques ?

Isselmou Ould Abdel Kader



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