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09-11-2018

07:30

Gourmo Abdoul Lo :Bref aperçu de la question nationale en Mauritanie (3)

Adrar Info - La Mauritanie s’est créée au sud. Littéralement. Saint-Louis était encore sa capitale administrative lors de son accession à l’ indépendance.

Au plan politique et diplomatique, comme au plan économique et social, la densité de nos rapports avec le Mali à l’est et le Sénégal au sud n’ a d’égale que la maigreur de ces mêmes rapports avec son flanc nord. En 1960-61, l’Algérie est dans sa grande guerre de libération nationale et, envers et contre tout, le Président Mokhtar Ould Daddah soutient la lutte du peuple algérien au risque de déplaire à la France du Général de Gaulle.

Le Maroc, auréolé du prestige du Roi progressiste Mohamed V, fait de la revendication d’annexion de la Mauritanie, une grande cause nationale que reprendra et amplifiera le redoutable Hassan II.

Politiquement fermé par ces circonstances, la géographie accentue notre isolement par rapport aux frères du Nord. Le grand Sahara isole le pays et même l’enclave par rapport à un monde arabe en pleine ébullition notamment sur la question de Palestine, et qui fondamentalement, donne acte à la revendication marocaine.

Seule la voix du Combattant Suprême fait dissidence. Une voix forte, certes, une voix qui porte, une voix qui fut salutaire pour notre peuple et dont devraient toujours se souvenir les générations qui succèderont aux générations dans ce pays. Il résulte de cette double occurrence contraignante, diplomatique et géophysique, que la Mauritanie, née au sud du pays, était ouest africain, dans sa réalité géopolitique.

Les conditions même de sa survie quotidienne dictaient les orientations internationales en ces temps là, en plus de la vision diplomatique étonnamment progressiste du Premier Président de la République.

Ami presque naturel de Senghor ( même s’il l’ agaçait un peu, me confia-t-il un jour, à Nice, avant la sortie de ses Mémoires), il se sentait autrement plus proche de Ahmed Sékou Touré, Modibo Keïta ou Gamal Abdel Nasser dont il admirait leur nationalisme intransigeant.

Cependant, très vite, Mokhtar Ould Daddah entendît sortir du huis-clos ouest africain auquel pouvaient le condamner, les circonstances précitées.

Il joua donc au Chef d’orchestre d’une diplomatie tous azimuts, fortement marquée par une sensibilité de "gauche" malgré ( ou à cause de) la forte influence économique et culturelle de la France.

Il énonça sa doctrine de la Mauritanie, "pont entre le Nord et le Sud du continent" et en obtînt des résultats auxquels nul autre Chef d’État ne parviendra ( hormis la parenthèse de son ancien jeune ministre, le Président Sidi Ould Cheikh Abdallah).

Toute l’Afrique reconnaîtra très vite le leadership de la Mauritanie et même au-delà. L’Ouest par la France respecte ce pays sorti de nulle part et qui joue très tôt un rôle marquant dans un Tiers Monde en pleine offensive anti-impérialiste.

L’Est reconnaît le courage, voire le culot de ses engagements: Kim Il Sung le leader nord coréen, Chef d’ État ermite, fait une visite exceptionnelle à Nouakchott -encore dans les limbes.

Deng Xiao Ping, en pleine ascension politique peu avant la Révolution Culturelle est envoyé par Mao Tsè Toung en personne à Nouakchott pour plaider la cause de la Chine aux Nations Unies où le régime communiste tente de déloger celui de Taïpeh ( Taïwan). De telles prouesses qui portent notre diplomatie au firmament a une explication simple: la Mauritanie joue à plein régime sa partition de pays charnière, de pont, entre un monde arabe polarisé autour de la question palestinienne et une Afrique noire admirative de ce maure discret, efficace, qui réussit le tour de force de résister au Maroc, de soutenir l’Indépendance de l’Algérie, que le Général De Gaulle respecte malgré tout, sympathisant de Sékou Touré et ami, presque cousin à plaisanterie au futé Président Senghor.

Donc, jusqu’au début des années 70, la diplomatie mauritanienne est plutôt apaisante et équidistante, sur le front de la question nationale, au grand dam des nationalistes arabes radicaux de plus en plus mécontents de ce qu’ils pensent être des lenteurs dans les reformes d’arabisation tous azimuts qu’ils prônent, y compris sur le plan de l’environnement diplomatique du pays et dont ils savent l’enjeu qu’il représente dans la question de l’identité profonde de la Mauritanie.

Ces nationalistes arabes radicaux montent au créneau et passent à l’offensive à partir de 1966 et prônent ouvertement la rupture avec ce qu’ils disent être les tergiversations et l’esprit de compromis voire de capitulation du régime de Mokhtar Ould Daddah face aux "exigences nationales", c’est à dire leur propre projet de Grand chauvinisme parallèle au nationalisme arabe, soft, rampant d’un pouvoir qui se tourne de plus en plus au Nord et de moins en moins au Sud.

D’un État «ni maure ni noir, ni Nord ni sud mais mauritanien» que portait la vision identitaire officielle, le pays va basculer au début des années 70, à l’ère de la "repersonnalisation de l’homme mauritanien" vers une autre conception des rapports de l’État avec les communautés qui composent le pays, et pour lequel un nouveau venu sur la scène politique, le MND ( Mouvement National Démocratique) trouvera le qualificatif qui sied: chauvine.

( à suive)

Gourmo Abdoul Lo



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