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18-03-2019

16:00

Handicaps mentaux : Quand les parents plaident pour l'accompagnement social de leurs enfants trisomiques ou autistes

Mozaikrim - Un taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans en Mauritanie de 54 pour 1000 naissances, seul 27% en âge d’aller au secondaire sont scolarisés, 28% des enfants accusent un retard de croissance…

Quelques chiffres, parmi d'autres, de la 5ème enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS) sur la situation des enfants en Mauritanie, rendue publique par l'UNICEF il y a une semaine.

Mais rien sur les enfants vivant avec un handicap mental notamment. Un vide qui illustre l'abandon quasi-total dans lequel les familles d'enfants trisomiques ou autistes sont, et qui justifie selon les membres de l'association pour le développement holistique de l'enfant handicapé (ADHEH), la création de leur structure, pour impulser un plaidoyer au niveau national pour une meilleure prise en charge de ces enfants.

Témoignages.

"L'idée de l'association est née en constatant la situation de désœuvrement total à laquelle nos enfants étaient confrontés. De 4-5 familles, nous nous sommes rendus compte qu'entre Ryad et El Mina seulement, il y avait au moins une cinquantaine de familles directement impliquées dans la prise en charge de leurs enfants handicapés autistes ou trisomiques", affirme Djeinaba Diallo, présidente de l'ADHEH, elle-même mère de Cheikh Keïta, 16 ans, atteint de trisomie 21.

Cette prise de conscience mène à la création et la reconnaissance de l'ADHEH en 2010. "C'était compliqué de sensibiliser sur le sujet, tout en faisant des enquêtes auprès des familles des quartiers pour déceler le plus de cas de maladies possibles, d'autant plus avec de simples cotisations limitées des familles, dont la plupart sont très démunies. Tout s'est fait sur le volontariat" assure Djeinaba Diallo.

La prise en charge et l'éducation d'un enfant atteint de trisomie 21, ou autiste sont très limitées au niveau national, du coup aujourd'hui la quasi-totalité des enfants malades répertoriés par l'association, sont à la maison, suivis, éduqués, pris en charge, surveillés constamment, par leurs proches mêmes, avec les difficultés inhérentes à une telle responsabilité, sans l'aide d'aucune institution publique ou privée.

"L'état n'accompagne pas pour le moment ces enfants. Il y a bien une école pour handicapés au quartier Sixième, appuyée par l'UNICEF, mais elle ne fonctionne pas du tout bien, par manque de financement. J'ai dû en retirer mon enfant quand il s'est perdu par manque de surveillance à l'école", témoigne Alioune Diop, président d'une association de gestionnaires pour le développement, et père de Abdoul 13 ans, autiste.

L'association plaide aujourd'hui pour des programmes éducatifs adaptés aux besoins des enfants handicapés, et une sensibilisation pour une meilleure prise en charge sanitaire, économique, culturelle et sociale de l'enfant handicapé, qui ne doit plus "être vu comme une charge sociale, mais un potentiel de compétences inexploré !", argue avec force Djeinaba Diallo.



1- Marietou Koné est éducatrice de formation, et assistante sociale au ministère des affaires sociales, de l'enfance et de la famille. C'est la mère de Souleymane, 21 ans :

"Travaillant au MASEF, je pose constamment la question de la prise en charge de l'enfant handicapé, élément qui n'est pas intégré par exemple dans la formation des monitrices dans les jardins d'enfants. Ce qui a donné lieu dans mon expérience personnelle à de nombreux clash avec des monitrices et même des parents.

Ça m'a conforté dans ma conviction que le plaidoyer doit être fait par les parents d'enfants handicapés eux-mêmes, pour enclencher les prémisses de changements à leur égard" dit-elle entouré de Souleymane et de son grand-frère.

"Les trisomiques ont, comme tout individu, des prédispositions qu'il faut scruter et réveiller, en général dans la musique, les travaux manuels... Ils sont d'une sociabilité extraordinaire, d'une sensibilité extrême, qui fait qu'ils demandent plus d'attention que les autres enfants" raconte son frère, visiblement très proche de lui.



2- Djeinaba Diallo et Diawoye Keïta, parents de Cheikh Keita, trisomique 21 :

"Cheikh Keita a eu beaucoup de chances par rapport à la très grande majorité des enfants handicapés mentaux du pays. Il a pu bénéficier de structures adéquates à l'extérieur. Nous l’avons retiré de l'école pour handicapés au Sixième où t des surveillants et Enseignants n’ayant pas tous la formation requise pour mieux comprendre les besoins spécifiques des enfants ; finalement nous gardons le nôtre à la maison, où il apprend le Coran, et où il est surveillé par des membres de la famille" souligne Diawaye Keïta, instituteur.

Dans ses bras, Cheikh, souriant, espiègle, manifeste joie, rayonnement. Il parle plusieurs langues, est passionné de vélo "et de tablettes" s'empresse d'ajouter sa mère. "Le basketball à Ryad l'aide aussi à se canaliser" complète son père. Atteint d'une cardiopathie sévère, comme beaucoup de trisomiques 21, son traitement, auprès des ONG qui peuvent prendre en charge de tels onéreux traitement, dépend de celui des enfants dits "normaux". "Ces derniers priment dans la sélection des dossiers" s'indigne sa maman.



3- Alioune Diop, père d'Abdoul, 13 ans :

"Depuis la création de l'association, il y a plus de six ans, nous n'observons pas à notre niveau en Mauritanie, une évolution de la situation des enfants trisomiques ou autistes. Que ce soit dans la perspective des écoles, de l'état, des structures de santé, des ONG, nos enfants passent en arrière-plan. L'importance de cette association qui nous solidarise donne de l'espoir aux parents pour une évolution de cette situation dans les années à venir".



4- Zeiche Mint Aïdara, mère de Eza Mint Abdallah, 16 ans :

"Eza aussi est passée par l'école spécialisée du Sixième, mais je n'ai plus les moyens, même pour le transport, d'assumer cette charge. D'autant plus que c'est bientôt une jeune femme, je préfère aujourd'hui l'avoir constamment sous le regard, de crainte que quelqu'un n'abuse d'elle. Je ne demande pas de l'argent, seulement que le regard de la société change sur nos enfants, en changeant son regard notre société verra l'importance de structures spécialisées pour ces enfants différents, mais qui s'avèrent souvent tout aussi capables dans certains domaines, si on est patient avec eux" dit-elle longuement, timidement, en regardant Eza.

"J'espère développer bientôt une activité génératrice de revenus, pour pouvoir en pratique pouvoir la garder avec moi, tout en subvenant aux besoins alimentaires de la maison" termine-t-elle. "Dis-lui que j'adore regarder les séries égyptiennes!" crie brusquement Eza en riant, qui a suivi la discussion, illuminant la pièce.



5- Fatimata Diagana, mère d'Abdoulaye 37 ans :

"Abdoulaye a été formé à la confection de grillages il y a quelques années; c'est un menuisier correct. L'école d'apprentissage des métiers, pour les enfants handicapés mentaux, lui a donné des bases techniques; il a une volonté forte de s'émanciper, un métier stable le lui permettrait. Mais bon, c'est la volonté d'Allah, on ne peut que s'y plier, les accompagner du mieux que nous pouvons, même si cette société les rejette".



6- Halima Ndongo – Accompagnée d'Abderrahmane (lui-même handicapé moteur), petit frère d'Aminata Sall, 25 ans, épileptique :

"Elle n'a pas pu être présente; notre famille survit en grande partie grâce à son apport (elle est mendiante au carrefour de l'hôpital national -ndlr). Nous n'avons pas les moyens de nous occuper constamment d'elle, de la garder à la maison. Grâce à ce qu'elle ramène, elle paie ses médicaments elle-même, et paie une part non négligeable des rations. Malgré ses problèmes, c'est la plus enthousiaste et responsable de la maison".



7- Ramatoulaye Diop, mère de Bocar Sarr, 6 ans, atteint de trisomie 21 :

"Nous avons détecté très tôt sa maladie sur laquelle était plaquée sa cardiopathie, dès sa première semaine. Les médecins nous ont convaincu de ne pas l'opérer, que les médicaments suffiraient. Son père est décédé à ses 2 ans. Il adore surtout les documentaires animaliers, qui ont un effet apaisant sur lui. Comme toutes les familles présentes ici, je souhaite surtout pour mon enfant une structure spécialisée qui l'aiderait à s'accomplir en tant qu'être humain".

8- Maïmouna Diallo, 34 ans, formatrice au centre de formation professionnelle à Basra, trisomique:

"J'ai été élève dans le cursus public classique jusqu'à mes 6 ans. Par la suite, j'ai eu un blanc dans mon éducation pendant quasiment 20 ans. Le décès de mon père pendant les événements de 1989 ont rendu les choses encore plus difficiles pour ma mère, et ma soeur, Yacine, qui a le même problème que moi. Quand je débute une formation en 2008 à l'école où je suis formatrice actuellement, je dois abandonner pas longtemps après, car le transport est bien trop difficile à supporter pour ma mère".

Qu'est-ce que la trisomie 21 ?

La trisomie 21 ou syndrome de Down n'est pas une maladie mais une malformation congénitale. Elle est due à la présence d'un chromosome surnuméraire sur la 21ème paire de chromosomes c'est à dire qu'au lieu d'avoir au total 46 chromosomes, l'individu trisomique en possède 47.

Les enfants trisomiques souffrent, de façon plus ou moins prononcée, de troubles du langage, de l’apprentissage et moteurs. Par ailleurs, ils mûrissent plus lentement, que ce soit sur les plans affectif, relationnel ou intellectuel.

Mamoudou Lamine Kane





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