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[Libre Expression] BP-Mauritanie réagit aux critiques des scientifiques
Maimouna Saleck - Réagissant sur ce qu’elle appelle les « commentaires tardifs » sur l’étude d’impact environnemental de son projet de production de gaz naturel liquéfié, BP-Mauritanie a organisé le lundi 29 Avril, des rencontres dans ses bureaux avec quelques scientifiques mauritaniens et des membres de la société civile.
Ce projet de production de gaz naturel, commun à la Mauritanie et au Sénégal et qui exploite le gisement gazier GTA (Grand Tortue Ahmeyim) au large de leurs côtes, a officiellement démarré le 21 Décembre 2018, après la signature des accords complémentaires et après la validation du rapport étudiant l’impact environnemental et social du projet.
Le champ gazier de GTA, dont les réserves sont estimées à environ 424,75 milliards de m3 de gaz, est piloté par BP, Kosmos Energy, la Société mauritanienne des hydrocarbures et de patrimoine minier (SMHPM) et la société nationale des Pétroles du Sénégal (Petrosen).
« Ces commentaires tardifs » objets de la réunion, ont été adressés à la société britannique en novembre dernier, sous forme de lettre par un groupe de scientifiques internationaux, reconnus par tous comme ayant une connaissance parfaite des écosystèmes mauritaniens.
(intégralité de cette lettre ici http://cridem.org/C_Info.php?article=720576)
Dans cette lettre – dont une copie a été envoyée aux autorités des deux pays - les scientifiques attestent avoir des preuves solides de la présence d’habitats écologiques vulnérables sur les sites que BP a choisi pour installer ses infrastructures. Ils ont aussi signalé à BP la dégradation avancée de cette éco-région maritime en raison d’une pêche non durable, d’un développement rampant sur la zone côtière et en raison du changement climatique.
Ils ont demandé à BP de retirer cette étude et de corriger ses insuffisances, tout en exprimant leur disponibilité à aider l’entreprise dans l’accomplissement de son engagement à mener une bonne gestion qui vise à induire un impact positif net sur la biodiversité ; surtout que la biodiversité marine en Mauritanie est parmi les plus étudiées dans le monde, permettant l’application des normes environnementales les plus strictes.
L’injonction de la lettre et une allusion – ou ce qui a été interprété par certains comme une allusion dans la lettre – à des scientifiques corrompus et une administration qui le serait également - ont été très mal perçus par les uns et les autres et ont placé le débat à un niveau polémique regrettable, selon un observateur interrogé.
« Je pense en toute sincérité que l'équipe signataire compte d'éminents scientifiques et qui connaissent bien la région pour y avoir investi un temps précieux de recherche - et je ne suis pas parmi les gens qui pensent qu'il y a une science nationale et une autre étrangère» dit-il. « Les questions posées par rapport à certains milieux sensibles et présents dans la zone sont bien légitimes. Il s'agit des risques par rapport aux systèmes de canyons de la zone du projet et des récifs coralliens. La cartographie précise de ces écosystèmes reste à faire, notamment pour les récifs. Le projet doit limiter les perturbations physiques en évitant au maximum de les traverser, ce qui ne se fait pas sans un surcoût financier, généralement pas facile à obtenir du privé, au moins dans les zones d'abondance de biodiversité.»
Les parties mauritaniennes pensent avoir bien fait leur travail et ne se sentent pas concernées par cette interpellation, qui a fait suite à une contre-expertise sur l’étude d’impact de BP demandée par la direction du contrôle environnementale sénégalaise, sans concertation préalable avec les États, toujours selon elles.
A ce jour, l’entreprise BP n’a pas encore adressé de réponse à la lettre des experts et qualifie son contenu de «commentaires tardifs » … même si elle n’a pas encore commencé ses travaux sur le site. Elle s’est contentée d’adresser des invitations aux signataires de la lettre, à venir assister à cette rencontre du 29 avril 2019, pour répondre à leurs questions. L’invitation a été refusée par plusieurs invités, en raison de son format précisé être d’une heure sur le carton d’invitation.
«En fait, ce qui intéresse BP c’est l’approbation de son étude d’impact par les deux gouvernements, ce qu’elle a déjà obtenu. Nous avons bien compris cela à l’issue des présentations qui nous ont été faites pendant plus de trois heures », nous confie un membre de la société civile invité à la rencontre.
«Les experts nationaux et internationaux auteurs de l’étude d’impact critiquée, ont expliqué la méthodologie de leurs recherches et ont confirmé avoir consulté plus de 800 références bibliographiques sur les écosystèmes de la région», dit ce participant à la réunion. « Ils ont cependant reconnu une erreur d’interprétation au sujet de la Lophélia pertusa présente sur leurs photos, car elle était trop petite et de couleur différente des espèces existantes au Nord pour être reconnue d’emblée. Sur tout le reste, ils confirment les conclusions de leur étude.»
Du côté de la compagnie, le ton se veut apaisant et exprime une disponibilité au dialogue à travers des mécanismes de concertations institutionnalisés, un mécanisme de «gestion des griefs» accessible aux communautés de pêcheurs (incluant un numéro de téléphone +222 46383927) et une disponibilité pour appuyer les efforts de recherche sur la biodiversité marine.
« Nous allons nous installer ici pendant vingt ans. Nous sommes prêts à nous concerter avec toutes les parties prenantes et nous avons aussi pris des engagements que nous allons respecter», déclare la porte-parole de BP-Mauritanie. «Nous avons exprimé notre volonté de mettre nos équipements de pointe à la disposition des scientifiques pour la réalisation de leurs projets de recherche.»
Parmi les recommandations formulées aux représentants de l’entreprise, je retiens celle-ci : « entre les hydrocarbures et les ressources halieutiques, le choix est vite fait : les premières sont des ressources volatiles et limitées avec des retombées peu visibles. Les secondes sont plutôt stables, renouvelables, connues et accessibles par les populations. Les risques d'impact négatif des premières sur les secondes doivent, donc être fortement minimisés. »
Maimouna Saleck