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08-05-2019

21:15

[Libre Expression] « Propriété réelle » : Quel enjeu pour la Transparence et la Redevabilité en Mauritanie ?

Ba Aliou Coulibaly - La notion de « propriétaire réelle » a toujours existé dans le vocabulaire ordinaire et jusque-là sa signification ne semblait souffrir d’aucune équivoque. Mais ces dernières années, suite aux multiples mutations engendrées par l’exploitation des ressources extractives devenues la locomotive de l’économie mondiale et les enjeux liés à la gestion des revenus tirés de ce secteur, le concept de « propriété réelle » a pris aujourd’hui une toute autre dimension.

Selon l’Institut de Gouvernance des Ressources Naturelles ( NRGI) : « Un (Les) propriétaire(s) réel(s) d'une entreprise est (sont) la (ou les) personne(s) physique(s)qui, directement ou indirectement, possède(nt) ou exerce(nt) en dernier ressort le droit de propriété ou le contrôle de l'entité juridique» Bien que cette définition tente de capter les principaux aspects de la question , plusieurs interrogations demeurent cependant toujours posées.

Au sein d’une compagnie minière , existe-t-il UN propriétaire réel ou DES propriétaires réels ? Jusqu’à quel degré les bénéficiaires d’un revenu au sein d’une compagnie minière peuvent-ils être considérés comme des propriétaires réels ? Existe-t-il une différence entre propriétaire réel et détenteur d’une licence ou d’un titre minier ?

Dans notre tentative de répondre à ces questions, nous allons essayer de comprendre en quoi la divulgation de la propriété réelle est importante et quelle catégorie de propriétés réelles doivent être la priorité dans des états riches en ressources mais aux fondements encore très fragiles et ce particulièrement en Afrique au Sud du Sahara.

Pour le cas de la Mauritanie , le concept est nouveau et le débat se situe encore au niveau de la réflexion . Certaines parties prenantes vont jusqu’à s’interroger sur l’utilité de la divulgation de la propriété réelle. Très souvent, les tenants de cette thèse semblent confondre propriété réelle et enregistrement de données cadastrales. Jusque-là , en Mauritanie, à l’instar de plusieurs pays qui mettent en œuvre l’initiative de Transparence dans les industries extractives , la notion de propriété réelle n’est pas encore prise en compte dans l’élaboration des rapports annuels, communément appelés « rapports ITIE ».

Selon la nouvelle norme ITIE, la divulgation de la propriété réelle devient une exigence normative à partir de 2020 pour tous les pays mettant en œuvre cette initiative.

Entretemps, le Secrétariat International de l’ITIE permet à chaque pays de mettre en place une feuille de route basée sur une définition claire et intelligible de la notion de propriété réelle en tenant compte des réalités socio-économiques ainsi des orientations stratégiques. Pour des raisons de « benchmarking », nous avons fouillé dans les législations de certains pays voisins.

Au Sénégal, pour qu’une propriété soit tenue d’être divulguée, elle doit représenter au moins 25% du capital de l’entreprise extractive.

Pour la République de Guinée, à titre d’exemple, la propriétaire réelle couvre toute activité qui représente plus de 5 % du capital d’une entreprise extractive. Elle doit être connue et divulguée.

Les réponses qui seront apportées aux questions posés tantôt permettront d’une manière synthétique d’aider les différentes parties prenantes au niveau de la Mauritanie à mettre en place une définition consensuelle et efficace qui permettra à notre pays d’éviter les pièges de la corruption, du blanchiment et de tous les maux qui peuvent en découler.

En fait quand il s’agit de la propriété d’une entreprise minière, l’opinion publique à généralement tendance à chercher à identifier ces empires par un nom, un individu ou une famille. Dans nos pays riches en ressources, la majorité des compagnies en exploitation appartiennent à des corporations internationales. Il est évident que chacune de ces entreprises appartient à une personne qui constitue le propriétaire réel et qui prend en dernier ressort toutes les décisions concernant ces entreprises. Mais il est aussi important de noter que même si ces personnes peuvent parfois influencer les politiques dans les pays hôtes leur impact direct sur la conduite des affaires quotidiennes de ces pays hôtes est relativement très limité.

Ces compagnies pour mieux s’installer dans nos pays accordent des prébendes et des facilités à des personnes qui détiennent des intérêts directs et parfois indirects à travers des montages savants au sein des compagnies.

Pour éviter le détournement de nos revenus ainsi que leur utilisation pour des actions de déstabilisation et bâillonnement de la démocratie et de la gouvernance nous devons pouvoir aller au-delà de la notion de propriété réelle en terme de pourcentage aussi minime soit il dans une compagnie minière. Les exemples du Sénégal et de la guinée risque de laisser en rade les véritables nids des corruption et des trafics d’influence qui ont un impact plus dramatique que les fraudes fiscales des compagnies.

Nous sommes absolument conscients du volume des évasions fiscales qui sont savamment camouflées dans des coûts d’opérations ainsi que des transactions avec les filiales à travers les prix des transferts. Les revenus tirés de ces opérations implacables vont profiter aux actionnaires et aux dirigeants qui se retrouvent généralement très loin des gestions quotidiennes de nos pays.

Combien de fois des revenus tirés directement ou indirectement de la gestion des ressources extractives se sont retrouvés entre les mains des personnes politiquement exposées ( PPE) dans nos différents pays Mauritanie, Sénégal, Mali et Guinée….

Dans ce cadre, la gestion de l’affaire Woodside en Mauritanie en constitue un piteux antécédent. Dans un article de « la lettre du continent » repris par le journal Calame en 2007, un ministre Australien accuse la société pétrolière Australienne d’avoir «versé des pots de vin et de l’argent liquide à des responsables mauritaniens en échange d’avantages qui lui ont été accordés dans les contrats de partage …..».

Selon la même source, la compagnie Woodside «a payé 300 millions de dollars ‘d’amende’ au nouveau régime (de la transition, NDLR) dont seulement 100 millions$ ont atterri dans les caisses du Trésor».

En 2014, au Sénégal voisin , les ressources nationales , ont apporté plus de 430 milliards de CFA à Timis Corporation ( la défunte Petro Tim ), à travers une session de 60% de ses part à l’entreprise Américaine Kosmos.

Aussi bien en Mauritanie qu’au Sénégal, ces revenus, au lieu de profiter aux peuples respectifs , ont atterri entre les mains de personnes politiquement exposées qui continuent et continueront d’avoir une influence certaine sur les processus démocratiques et l’état de gouvernance générale de ces pays.

Dès lors que le but ultime de la divulgation de la propriété réelle est, en plus d’optimiser les revenus de nos états , de pouvoir minimiser l’impact de l’utilisation maléfique ( instabilité politique, terrorisme, guerre civile ) des revenus tirés de nos ressources naturelles, il serait plus judicieux que la définition du champ d’action de la propriété réelle en Mauritanie couvre désormais « tout propriétaire détenant un intérêt significatif dans toute activité en rapport avec les industries extractives ».

Au-delà des chiffres fournis dans les rapports ITIE nous devons être capables de mettre devant chaque revenu substantiel tiré de nos ressources, une figure, un nom, une personne physique qui pourrait être suivie et qui sera comptable devant le peuple qui constitue le premier et le seul véritable propriétaire des ressources.

Ba Aliou Coulibaly
Coordinateur National PWYP
Enseignant chercheur au Master Gaed
Membre du Comité national ITIE





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