09:54
Parlez-vous français ? Par Rachid Ly, écrivain
Rachid Ly - La Mauritanie, du moins ceux qui la gouvernent, ne tirent pas les leçons du passé.
Surfant sur une vague éculée faite de bric (une identité mauritanienne clamée urbi et orbi) et de broc (volonté d’imposer l’arabe coûte que coûte), on assiste, de plus en plus, - comme on a assisté hier - à des actes unilatéraux, faits sans concertation, ni sur la base de la loi (ou sur la base de lois instaurées à dessein), dans l’objectif affirmé de créer des faits accomplis et de faire table rase de points communs sans lesquels le vivre ensemble entre Mauritaniens pourrait souffrir plus qu’il n’a souffert jusque-là.
Prenant prétexte que la langue officielle est l’arabe, des prophètes, à la tête de troupeaux qu’il s’évertuent à faire bêler dans un semblant d’unisson, acclamant des idées reçues qu’ils ont eux-mêmes forgées, ont pris leur parti d’administrer à ce grand corps malade qu’est la Mauritanie, non pas à doses homéopathiques (qui renvoient à une science certaine), mais à une cadence de marmiton propre à la troupe, à la botte et au ceinturon, des potions qui, loin de guérir le patient, ne feront, sans aucun doute, qu’affecter ses défenses immunodéficitaires mises à mal par des politiques aventuristes et des idéologues carrés.
C’est vouloir oublier que le monde d’aujourd’hui est un monde de développement ; il n’est plus celui de Michel Aflaq, de Bitar ou d’El Arruzi et la Mauritanie (qui ne pourra vivre à la périphérie de ce monde), à moins de vouloir retomber dans l’âge de la pierre polie, n’a rien à gagner à suivre ceux qui, des décennies durant, l’ont menée dans des voies conduisant à des culs-de-sacs, des labyrinthes et des récifs sur lesquels d’autres grands pays ayant suivi le même chemin tortueux ont fini leur course : la guerre, la désolation, la déstructuration, le malheur et les malédictions.
Nous sommes tous – nous Mauritaniens – condamnés à vivre ensemble ; ni la tentative de génocide des années 90, ni la volonté estimée manifeste de minorer – que dis-je – de réduire « biométriquement » la population négro-africaine par un recensement biaisé et partial, encore moins la volonté sournoise d’aplatir la couche noire de ce pays par le moyen de la langue ne sauront entamer la détermination des dignes fils de la Mauritanie de rester unis.
Il ne sert donc à rien d’aller contre la volonté d’Allah : s’Il ne l’avait pas voulu ainsi, Il aurait placé les Arabes de ce pays dans le Himyar, empêché Dinga, l’ancêtre des Soninké de débarquer au Sud-Est, déplacé le Fouta et le Waalo dans l’Himalaya…
Sachons donc raison garder et ne déplaçons pas le débat : le problème de ce pays c’est l’impossibilité pour les gouvernants et les suppôts qui leur ont toujours servi de 3ème pied d’accepter que la Mauritanie ait une identité multiple, une culturelle plurielle. La langue française, contre laquelle s’insurgent certains, n’est qu’un bouc émissaire, un baudet sur lequel on crie haro pour essayer de niveler l’identité du pays par le bas et par la force, oubliant que ce n’est pas seulement la simple administration du suppositoire qui guérit le malade mais plutôt le vrai remède découlant d’un diagnostic sûr.
Le problème de la Mauritanie c’est cette multiplication de « l’inéquité », le refus de solder les passifs (aussi bien humanitaire et qu’économiques), l’hypocrisie, la crainte de la rupture, le refus de voir la réalité en face ou d’écouter la complainte des discriminés parmi lesquels figurent une bonne partie de la couche noire de notre population, en préférant se complaire dans des certitudes très peu certaines telles : les négro-africains n’aiment pas l’arabe ; les négro-africains préfèrent le français.
Or, rien n’est plus faux : ce que les négro-africains détestent et trouvent inacceptable, c’est qu’à travers des politiques souterraines et sous-tendues par une volonté estimée manifeste d’assimilation, on essaie de leur faire avaler toutes les couleuvres ; on leur fait voir des vertes et des pas mûres et que la langue arabe leur soit présentée, non pas comme un outil mais plutôt comme un instrument… un instrument ouvrant grandes les portes de la domination, de la discrimination, du ravalement.
Au temps où la langue arabe passait pour un outil, elle faisait la fierté des négro-africains, les Peuls ayant même adopté ses caractères pour transcrire le Pulaar, que l’on appela l’adjami ; et c’est en brandissant le glaive de l’Islam et de la langue arabe que des empires furent créés, installés, jusqu’aux fins fond de l’Afrique, par des conquérants noirs, notamment des Peuls. Leur opposer, aujourd’hui, une quelconque répulsion de la langue arabe, c’est insulter l’histoire ; c’est vouloir mettre bas l’œuvre d’érudits, de savants, d’innovateurs, tels El Hadj Thierno Mahmoud Bah (le fondateur des Ecoles El Velah) ou Cheikh Moussa Camara (qui a produit l’imposante œuvre titrée « Zuhur al-basaatin… »)… pour ne citer que ceux-là.
J’oppose ces symboles aux vociférations de la cohorte qui, depuis toujours, a empêché la Mauritanie de marcher droit ; j’oppose, dis-je, ces symboles à tous ceux qui, loin de cultiver la cohésion, rechercher l’unité et se battre pour la fraternité, tirent encore la Mauritanie vers le bas. Pauvres chasseurs de primes qui suivent l’ombre et la proie.
Le jour que nous aurons notre langue nationale commune, à laquelle tous les Mauritaniens s’identifient (appelons cette langue « Lechamô » - composée à parts égales de hassaniya, du pulaar, du wolof et du soninké), personne ne trouvera à redire si on jetait le français à la mer ; personne ne se plaindra que le français heurte les oreilles très délicates de certains élus de l’Assemblée.
Mais, en attendant, refusons que des poussahs, formés en français, ayant acquis postes et privilèges en français, parlent derrière le mur français, se soignent chez le médecin français et envoient leurs rejetons dans les écoles françaises, viennent nous tromper et nous diviser.
Et en toutes choses, Allah Est Le Plus Puissant, et Le Plus Savant.
Rachid LY
Ecrivain