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11-03-2020

07:54

Brakna : la difficile scolarité des enfants haratines

Afrimag - Classes délabrées, ou carrément abandonnées, insuffisance d’enseignants, éloignement qui pousse à l’abandon, pauvreté. Tels sont les principaux problèmes évoqués par les parents d’élèves, les enseignants rencontrés dans certaines localités de la moughataa d’Aleg où se concentrent les haratines, l’une des communautés les plus fragiles en Mauritanie.

Ce vendredi 14 février 2020, à l’école de Cham (Zeghlan), il n’y avait qu’une quarantaine d’élève sur 68 en classe de 3AF. L’institutrice explique : « aujourd’hui est jour de récolte dans les champs de El Awja et de Nguenetaan. Les élèves absents aident leurs parents et ça peut durer une semaine, voire plus ».

Cette situation vécue par les écoliers de Cham, une localité située à 20 kilomètres, à l’est d’Aleg, et habitée majoritairement par des haratines¹, est celle que l’on rencontre pratiquement dans tous les adwaba². Le temps ne semble pas avoir favorisé une évolution notable du sort des enfants haratines vivant en milieu rural.

Baba dit avoir vécu un calvaire dans la zone de « Bouraat », dépendant de l’arrondissement de Maale, il y a vingt ans. Jeune enseignant, il avait débarqué, en 1996, dans cette localité dont le nom se confond avec celui de la pauvreté extrême.

Aucun service de l’Etat. « Les habitants de cette zone, essentiellement des haratines luttaient pour leur survie. Ils pensaient qu’accepter qu’un enfant aille à l’école diminue leur chance de réussir le pari de boire et de manger chaque jour des choses pourtant innommables.

Un riz sans viande ou du couscous mélangé avec de l’eau et un peu de sucre, parfois uniquement du sel ! Je peinais à leur faire comprendre que si leurs enfants apprennent, cette situation de misère pourrait changer », explique-t-il.

La « classe » était en banco, sans toit, couverte seulement par une tente et, évidemment, sans tables-bancs. Mes armes pour vaincre l’ignorance dans ce coin perdu était le « livre du maitre » et une boite de craie que je devais faire durer jusqu’à la fin de l’année», raconte Baba qui dirige aujourd’hui une école complète de six sections dans une localité située à moins de dix kilomètres d’Aleg.

En 2020, les conditions de scolarités des enfants harratines de Dar Naim (littéralement : la maison du paradis) sont certes meilleures que celle de Bouraat mais Baba dit rencontrer toujours des problèmes liés au « statut » de ces « fils de pauvres ».

Survivre d’abord…

A Bouraat aussi, la situation a changé. Une école et un poste de santé ont été construits, il y a quelques années, pour favoriser le regroupement de citoyens dont l’unique tort est d’être nés pauvres et haratines. Les conditions de scolarisation des enfants ont changé mais pas le résultat : sans moyens de subsistance autres que la force de leurs bras, les pères de familles continuent à penser que l’école est une « perte de temps » !

Meriyem mobilise son fils et sa fille, de 10 et 8 ans, pour l’aider dans son « jardin ». Ils n’iront à l’école que quand « ils auront le temps », dit-elle innocemment. Une manière de préciser, pour elle qui n’a jamais été à l’école, ce qui relève de l’utile (produire ce que l’on mange) et le « futile » (l’école).

« De toute façon, même s’ils réussissent leur « concours » (mot dit en français), il est impensable que je laisse ma fille aller au « collège » (encore en français) dans une ville où elle n’a personne », précise Meriyem. S’adressant à moi directement : « Si tu veux nous aider, toi le journaliste, dis aux autorités que nous manquons d’eau et de « courah » (électricité) et que « risou » (réseau) n’arrive pas jusqu’à nous ».

La solution envisagée par les autorités à ce genre de problèmes avait été la création, dans le cadre de « l’Année de l’enseignement », en 2015, des Zones d’éducation prioritaires (ZEP), à l’image de ce qui se faisait en France, dans les années 80, pour harmoniser l’enseignement et offrir une éducation de qualité égale à tous les enfants notamment ceux issus de familles défavorisées.

Cinq ans après, « l’année de l’enseignement », proclamée en grande pompe, s’est révélée n’être qu’un slogan destiné à la consommation politique, comme le fut, en 2008, celui du « président des pauvres ».

Le projet d’appui aux zones d’éducation prioritaires (PAZEP), visant à assurer l’accès des enfants ciblés à leur droit à l’enseignement, est resté à l’état de… projet ! Il devait pourtant être la stratégie par laquelle le gouvernement allait venir en aide aux enfants issus de milieux pauvres et enclavés, notamment ceux des adwaba, ces bourgs et bourgades où vivent les descendants d’anciens esclaves qui font de la « résistance » à une urbanisation à laquelle Ils n’ont pas été préparés.

Les ZEP étaient, selon Bekaye Ould Abdel Maleck, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, la stratégie adéquate pour « corriger les incohérences et les disparités dues à des problèmes économiques ou sociaux des parents ». Elles devaient être créées selon plusieurs principes et critères : la discrimination positive, la prise en charge totale des enfants des familles défavorisées (bourse, trousse), la faible capacité d’accès, la fragilité socioéconomique, la forte déperdition scolaire.

Malheureusement, parce qu’elles sont tournées vers les pauvres, les ZEP n’ont pas bénéficié de la même attention que les « écoles d’excellence » qui, paradoxalement, exacerbent aujourd’hui un sentiment d’injustice chez de larges franges de la population.

Sous capacité au niveau du secondaire

Les problèmes du primaire, dans certaines localités de la moughataa d’Aleg, prennent de l’ampleur quand on passe au secondaire. « L’éducation est le problème numéro un pour nous », raconte Aboubecrine D., professeur au seuil de la retraite. « Imaginez que, malgré le développement remarquable de la ville, nous n’avons qu’un seul établissement d’enseignement secondaire. Nous avons bataillé ferme, en 2012, pour un collège mais il n’existe que de nom.

Pas de locaux propres. Les classes sont éparpillées entre les écoles primaires de la ville. Certains élèves venant des villages environnants (Carrefour, Dar Naim, Taiba) sont obligés d’abandonner parce qu’ils ne peuvent parcourir de longues distances, le matin, et rentrer chez eux à 17 heures » !

Alioun Ould Mohamed, enseignant de son état, et président de l’Association des parents d’élèves, dresse le tableau sombre de l’éducation à Aleg, une ville dont le centre (le quartier Liberté » rappelle son histoire de refuge des esclaves, au temps de la colonisation : « imaginez une agglomération de 27.000 habitants, avec un seul lycée ! Il y a un collège théoriquement créé en 2012 mais jusqu’à présent, il ne dispose pas de local !

Ses élèves sont dispatchés entre deux écoles primaires (3 et 8) dans des conditions difficiles à imaginer : monter à 13 heures et descendre à 18 heures ! L’école 8 n’a ni eau ni électricité ; elle traine des arriérés de 10.000 MRU (238 euros) et quand notre association a voulu collecter cette somme pour payer la SNDE, la direction régionale de l’enseignement (DREN) a freiné notre élan, jugeant sans doute que ce n’est pas de notre ressort ».

Rencontré à la mairie où il venait entretenir le maire adjoint de cette situation, Alioune Ould Mohamed dresse le topo désolant de l’éducation à Aleg, espérant que son message arrive jusqu’aux plus hautes autorités du pays dont l’enseignement est l’une des priorités : « la ville compte 7 écoles primaires dont certaines en état de délabrement avancé (écoles 1 et 4). Il y a 7 autres écoles dans les villages environnants (Dar Naim 1 et 2, Goural, Lehleywa, Taiba, ElbJmel, Carrefour, Baghdad), majoritairement habités par des harratines.

Quatorze écoles qui « ravitaillent », chaque année, un lycée qui abrite également, depuis 2016, le collège d’excellence, alors que le collège technique (ouvert également au lycée) a fini par être transféré au Centre de formation technique et professionnel.

Cette « sous capacité scolaire », au niveau du Secondaire, n’a, par exemple, rien à voir avec une ville nantie comme Kaédi, qui dispose de 2 lycées (1 et 2), de 4 collèges (1 et 2, Wandama et Tinzah), d’un lycée pilote et d’un lycée d’excellence », souligne avec amertume le président de l’Association des parents d’élèves d’Aleg qui ajoute : « je vous épargne les problèmes de manque de tables-bancs et d’enseignants qui sont communs à plusieurs écoles du pays. »

Un taux de déperdition inquiétant au niveau de tout le Brakna

Le taux brut de scolarisation au primaire, pour l’ensemble de la wilaya du Brakna, est de 70%, selon l’Office national de statistiques (ONS). Il redescend à 46% seulement, quand il s’agit du taux net. Pour le secondaire, ces données sont de 23% et 18%, ce qui donne une idée précise du taux de déperdition considérable qui survient entre deux cycles essentiels dans la formation du jeune mauritanien.

Au niveau des moughataa, c’est Bababé qui est la plus touchée (avec un taux brut de scolarisation au primaire de 50%, et un taux net de 38%), alors qu’au secondaire les résultats sont seulement de 17% (taux brut) et 14% (taux net).

Alors que M’Bagne a le taux net de scolarisation le plus élevé au primaire (49%) et au secondaire (20%), c’est Aleg qui affiche le taux de déperdition le plus important passant d’un taux brut de scolarisation au primaire de 72% à un taux net de seulement 49%, soit la perte de 23 points !

Au niveau du secondaire, la « palme » de la déperdition revient à Bababé dont les taux sont les plus faibles au niveau des cinq départements de la wilaya, avec un taux brut de scolarisation au secondaire de 17% et un taux net de seulement 14%.

Notes :

1- Haratines : descendants d’esclaves, parfois appelés « maures noirs ».

2- Adwaba (sing : edebay) : nom des villages agricoles pluviaux de Mauritanie, principalement habités par d’anciens esclaves et d’autres castes inférieures.

Par Mohamed Sneïba Correspondant permanent – Nouakchott



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