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18-04-2020

23:30

Déplacés, réfugiés, confinés, le calvaire des habitants du centre du Mali

Francetvinfo - Traumatisés par les conflits armés qui ensanglantent le pays depuis près d’une décennie, les populations du centre du Mali ont trouvé refuge dans des camps proches de Bamako. Mais l’arrivée du coronavirus fait planer de nouveaux dangers...

Après de nombreuses controverses, la France et les pays du G5-Sahel (Niger, Tchad, Mauritanie, Burkina Faso, Mali) ont décidé de renforcer leur coopération militaire face à la recrudescence des attaques jihadistes.

Un renfort de 600 soldats français a rejoint l’opération Barkhane. Mais depuis mars 2020, les attaques jihadistes, les violences intercommunautaires, le banditisme, les heurts entre milices armées se sont accentués dans le centre du pays. Devenue l’épicentre des conflits depuis le début de 2020, la région de Mopti a enregistré à elle seule plus de 15 000 personnes déplacées.

Les antagonismes entre les ethnies ont réveillé de vieilles querelles entre éleveurs et agriculteurs sur d’anciens litiges fonciers ou l’appropriation de terres fertiles. Suite à l’aggravation du conflit intercommunautaire, notamment entre Peuls, Dogons et Bambaras, les populations ont fui vers l’Ouest et trouvé refuge à Faladié et Niamana, deux camps pour déplacés à la périphérie de Bamako.

Ces réfugiés, qui vivent déjà un véritable calvaire entre insalubrité des camps, pauvreté, traumatisme dû à la perte de leurs proches et de leurs terres, doivent faire face à un nouveau danger depuis l’annonce du premier cas de coronavirus enregistré à Bamako, le 25 mars 2020.

Le Sahel ne compte qu’un médecin pour 10 000 habitants et le Mali ne possède que trois respirateurs pour tout le pays selon l’ONG Oxfam.

Normalement Faladié "est une zone non-constructible en raison de sa proximité avec l’aéroport de Bamako occupée occasionnellement par des éleveurs de passage au marché au bétail", précise le site Afribone.

Mais quand les réfugiés arrivent au camp de Faladié, au premier abord ils pensent voir une décharge. "Ici, la fumée qui s’échappe des ordures s’invite directement dans les abris faits de plastique, de vieux sacs et tissus récupérés sur les tas d’ordures. N’ayant pas d’autres solutions, c’est sur ces tas d’ordures qu’ils font aussi leurs besoins naturels", explique le site malien Benbere.

Les personnes déplacées sont obligées de brûler les déchets, mais il est très difficile d’éteindre un feu en ces lieux, il couve toujours quelque part. Il arrive que des tentes s’embrasent et la fumée est toxique.

Pour fuir les violences de Mopti, au centre du Mali, beaucoup de femmes ont trouvé refuge à Faladié. "Parmi elles, certaines sont enceintes en état avancé et ont dû faire le trajet Koro-Bamako dans des conditions extrêmement difficiles."

L’une d’elles raconte : "L’équation était simple, soit on part, soit on meurt. Je n’ai plus de nouvelles de mon mari et de mon premier enfant, je ne sais pas s’ils sont vivants ou pas. Je suis venu avec mes trois (autres) enfants." Une autre femme, qui vit maintenant dans une case en paille, déclare : "Je viens de Koundogo. Nous avons fui la guerre, mon enfant et moi. Mon mari est resté là-bas.

Ce sont les Peuls et les chasseurs dogons qui s'affrontent. J'ai vu énormément de tueries et de dégâts matériels." "Il y a des traumatismes, la phobie, c'est-à-dire la peur des autres. De nombreuses femmes ont dû consulter…", explique un médecin.

Dans le camp, les enfants n’échappent pas aux difficultés rencontrées par leurs familles. Certains sont désespérés. Dans le reportage "Journée de l’enfant africain", que Mali.net leur a consacré le 16 juin 2019, le site raconte : "A Koulongo, au cours d’une récente attaque d’un groupe de terroristes, un gamin a reçu une balle en plomb dans un pied. Une autre balle a traversé sa main.

Il a vécu cet enfer juché sur le dos de sa grand-mère qui tentait d’échapper à la tuerie. La vieille, fauchée par une balle, est décédée. L’enfant est aujourd’hui traumatisé. Le plomb qui demeure toujours dans son pied fait planer (...) un risque de gangrène."

Le site raconte aussi le traumatisme d’une enfant de 12 ans qui "loge avec ses parents dans des conditions incommodes. Installée à quelques enjambées de la décharge, une partie de sa tente a été envahie par la pluie, les vivres ont été endommagés. La seule doléance de la fillette est d’avoir un abri décent. Elle et sa famille ont fui leur village à la suite d’un conflit intercommunautaire.

Cette fillette peule se méfie des étrangers. Elle explique en murmurant le calvaire qu’elle a vécu : "Des hommes armés ont attaqué un village voisin. Quand nous avons appris la terrible nouvelle, nous avons fui avant l’arrivée des terroristes dans notre localité."

Selon le superviseur du camp, le site regroupe plus de 500 enfants déplacés. Ceux-ci sont confrontés à un problème de prise en charge médicale. Quand ils tombent malades, le superviseur du camp cherche de l’argent à droite et à gauche pour les conduire à l’hôpital. S’il n’y arrive pas, il a recours à un médecin qui vient les soigner en acceptant d’être remboursé plus tard.

Quelques bonnes volontés interviennent pour soulager leurs peines. Dans ce camp, beaucoup d’enfants sont déscolarisés. Le superviseur lance un appel à la solidarité. "Nous avons aménagé un endroit pour commencer à encadrer certains d’entre eux, afin qu’ils retournent sur les bancs (de l’école) l’année prochaine. (…)

Mais aucun enfant ne possède d’acte de naissance. Nous avons besoin d’aide pour que les personnes déplacées, et particulièrement les enfants, puissent jouir de leurs droits", déclare-t-il.

Plusieurs organisations humanitaires nationales, des particuliers, des citoyens maliens ou d’autres, alertés par les réseaux sociaux, ont décidé de venir en aide aux déplacés. Un secrétariat a été mis en place par des associations pour coordonner la réception des différents dons. "La direction du développement social a aidé à installer de nouveaux abris, et plusieurs personnalités publiques ont promis de mettre la main à la poche", écrit le site Benbere.

Financé par l’Ambassade des Etats-Unis au Mali, le Projet d’appui aux réfugiés urbains et déplacés internes à Bamako a été mis en place pour une durée de dix mois (octobre 2019-juillet 2020).

Objectif : améliorer les conditions de vie et l’autonomie des réfugiés grâce à l’apprentissage professionnel, précise le site Malijet.

L’Association malienne pour la solidarité et le développement (AMSODE) a procédé le 10 janvier 2020 à la remise des "Kits NFIs" (non-food items), aux déplacés internes de Faladié. Ces "Kits NFIs" sont composés de nattes, de couvre-lits, de pagnes, de tasses, de marmites, de moustiquaires, de vêtements pour enfants, ajoute le site malien Bamada.net.

Problème : de nouvelles vagues de réfugiés arrivent régulièrement dans le camp. Le réseau d'entraide Fraternité a installé un camp médicalisé pour que les déplacés puissent bénéficier de consultations médicales gratuites. Car au quotidien, ces derniers sont confrontés à de nombreux problèmes de santé.

"On a dénombré des cas de malnutrition sévère. On a même perdu un enfant d'un an à cause de ça. Il y a des cas de diarrhées. Et on a dénombré deux cas de varicelle dont la prise en charge médicale est assurée par les autorités publiques", déclare un médecin du camp cité par BBC Afrique.

Mais comme le précise la BBC, les aides du gouvernement, des ONG et des personnes de bonne volonté ne suffisent pas pour que les déplacés puissent vivre dans de bonnes conditions. Avec le premier cas de coronavirus déclaré au Mali, à Bamako le 25 mars 2020, l’inquiétude est encore montée d’un cran dans les camps de réfugiés proches de la capitale.

Si aucun cas de coronavirus n'a encore été annoncé officiellement parmi les déplacés, le risque d’une arrivée du virus inquiète fortement les réfugiés et les travailleurs humanitaires.

Jamal Mrrouch, chef de mission de l'ONG Médecins sans Frontières interrogé par l’AFP, déclare : "Les déplacés peuvent être extrêmement menacés. (…) Comment pouvons-nous demander aux gens de se protéger, quand ils n'ont pas facilement accès à l'eau ?" Et ce manque d’eau accroît considérablement les risques sanitaires, précise le site maliactu.net cité par France 24.

Le coronavirus, "c'est un défi de plus et beaucoup n'arrivent pas à comprendre même ce qu'est le coronavirus", s'alarme Ibrahima Sarré, un travailleur humanitaire. Mais dans ces camps où s’entassent des centaines, voire des milliers de personnes, il reconnaît que faire appliquer les gestes barrières, c'est compliqué.

"C'est très difficile de faire de la distanciation quand on vit dans une tente de cinq mètres carrés à 13 ou 15 personnes", confirme un réfugié. Les camps de déplacés de la capitale malienne "n’ont ni masques, ni gants, juste quelques kits de lavage des mains donnés par une association, qui profite de la distribution pour sensibiliser aux gestes barrières", ajoute Kola Cissé, un membre de l'association peule Pinal Pulakuu cité par "Le Monde".

Il recommande aux membres de sa communauté d’utiliser leurs turbans (comme protection) car "tous les déplacés en ont un, c'est notre culture peule. Et comme ils n'ont pas les moyens d'acheter une boîte de masques à 25 000 francs CFA (38 euros) à la pharmacie, c'est un bon moyen" pour se protéger précise-t-il à l'AFP.

De son côté, un vieil homme s'alarme lui aussi à l'idée que le coronavirus fasse son apparition dans le camp de Bamako où il vit avec 23 membres de sa famille depuis qu'ils ont fui, il y a un an, les conflits du Bankass au centre du pays. Ses inquiétudes sont grandes, car "si on a le coronavirus au camp, ça va être une catastrophe.

Regardez, on dort tous là", dit-il en montrant l'entrée de sa tente. A l'intérieur, un seul matelas et quelques casseroles. "Imaginez si une personne dans la famille l'attrape"...

Les camps de réfugiés pour les personnes déplacées par les conflits ou les persécutions accueillent des populations très vulnérables. A fortiori ici, au Sahel, dans l'une des régions les plus pauvres du monde.

De plus, les zones impactées par les conflits sont des sources d’inquiétude supplémentaires car les mesures anti-coronavirus, conjuguées à la protection des personnels, compliquent et ralentissent l'action humanitaire. Beaucoup de personnes qui ont trouvé refuge à Faladié cherchent un peu de réconfort dans la pratique de leur religion. Malgré des conditions rudimentaires, les enfants continuent d’étudier le Coran.

Un vieil homme en appelle à la compassion internationale : "Il faut que l'humanité soit unie, qu'on nous aide, que Dieu nous aide."

Par Laurent Filippi



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