05:45
L’enseignement supérieur privé en Mauritanie : Regard sur la situation d’un système en construction
Dr. Ahmedoune Ould ABDI - L’enseignement supérieur privé était au cœur des préoccupations des responsables et professionnels de l’éducation ces dernières années et il interpelle aujourd’hui, avec acuité, l’ensemble de la société et ceci pour plusieurs raisons.
Nous en citerons ici deux seulement … La première se rapporte aux étudiants eux-mêmes qui sont les premiers bénéficiaires et parfois les premiers à subir les conséquences négatives d’un enseignement ne répondant pas aux normes, puis, aux parents qui se sacrifient financièrement pour assurer les études de leurs enfants et aux enseignants soucieux d’assurer un enseignement de qualité.et enfin à une opinion publique qui aspire profondément à un enseignement privé de qui pourrait constituer un levier du développement du pays..
La deuxième raison, non moins importante, est relative à la nature même de cet enseignement. Il est essentiellement accessible aux couches sociales nanties et reste méconnu du grand public en raison de l’inscription de la majorité des étudiants dans les établissements supérieurs publics quasiment gratuits.
L’enseignement supérieur privé mauritanien a vu le jour au début des années 2000 dans un contexte caractérisé par l’absence totale de cadre juridique et institutionnel.
Sur le modèle des établissements privés d’enseignement fondamental et secondaire qui s’étaient développés auparavant, les premières institutions privées d’enseignement supérieur étaient hébergées dans des locaux inadaptés, loués et aménagés pour accueillir les futurs étudiants et enseignants vacataires dans les différentes disciplines, en majorité issus du secteur public.
Compte tenu de leurs natures mêmes et, indépendamment du caractère public ou privé des offres de formation, le système d’enseignement fondamental et secondaire d’une part et le système d’enseignement supérieur d’autre part, présentent des différences notoires sur le plan organisationnel et de pilotage, relatives notamment à la préparation des curricula, à l’évaluation et à l’attribution des diplômes.
Ainsi par exemple, les programmes de formation pour les différents niveaux de l’enseignement fondamental et secondaire sont préparés et arrêtés par le ministère de tutelle qui est également responsable de l’organisation des examens (fin des études primaires, fin des études du premier cycle du secondaire et le Baccalauréat) et de l’attribution des diplômes correspondants.
A l’inverse, la préparation et l’arrêt des programmes de formation des différentes spécialités de l’enseignement supérieur, l’organisation des évaluations et l’attribution des diplômes supérieurs relèvent exclusivement de la responsabilité des établissements supérieurs et de leurs structures compétentes, dans la limite du respect des règles et choix généraux édictés au niveau central.
Ainsi, eu égard au rôle prépondérant joué par les établissements dans le système de l’enseignement supérieur et le risque de leurs dérives potentielles, il est nécessaire de mettre en place une politique efficace permettant de tirer le meilleur profit de l’investissement privé en matière de formation supérieure tout en garantissant la crédibilité des diplômes et la qualité des acquis d’apprentissage.
Nous pouvons alors imaginer les conséquences dangereuses de l’anarchie qui prévalait avant 2014 dans le sous-secteur de l’enseignement supérieur privé où les établissements se trouvaient dans une situation caractérisée par :
- l’existence de certains établissements privés dispensant des enseignements et délivrant des diplômes supérieurs sans autorisation préalable du ministère en charge de l’enseignement supérieur ;
- l’existence d’ établissements privés bénéficiant d’autorisation d’ouverture accordée par le ministère mais sans référence à des critères objectifs préétablis ;
- l’ absence quasi-totale de la vérification des qualifications académiques des enseignants et du contrôle de la conformité de l’inscription des étudiants inscrits aux conditions requises pour l’accès aux formations ;
- l’ absence totale du suivi par le ministère en charge de l’enseignement supérieur des évaluations semestrielles et des délibérations des jurys d’examens des établissements privés.
Face à ces dysfonctionnements, le ministère en charge de l’enseignent supérieur, sous l’égide de son excellence docteur Sidi SALEM, a engagé les réformes de fond et pris les mesures nécessaires pour la mise aux normes de ce sous-secteur :
- la fermeture des établissements non autorisés et l’arrêt des nouvelles autorisations d’ouverture d’établissements privés d’enseignement supérieur jusqu’à l’élaboration et l’adoption des textes réglementaires relatifs à leur organisation et fonctionnement ;
- l’adoption et la mise en application de l’arrêté No 024 du 12 Janvier 2016 approuvant le cahier des charges fixant les conditions de création, d’ouverture et d’accréditation des filières des établissements privés d’enseignement supérieur ;
(Arrêté à consulter sur le site du ministère : http://www.mesrstic.gov.mr/fr/ )
Avec l’adoption de cet arrêté, notre enseignement supérieur privé s’est vu doté, pour la première fois, d’un cahier de charge fixant clairement les conditions de création des établissements. Ainsi, le promoteur doit se conformer obligatoirement aux exigences, requises par le cahier des charges, relatives aux volets : administratif, pédagogique et immobilier.
Conformément à cet arrêté, les ouvertures de filières de formation sont conditionnées par leur accréditation préalable par le Ministre de l’enseignement supérieur sur avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
- L’adoption et la mise en application de l’arrêté No 0345 du 09 Mai 2018 fixant les modalités de supervision et de surveillance des examens semestrielles au niveau des établissements privés d’enseignement supérieur.
(Arrêté à consulter sur le site du ministère : http://www.mesrstic.gov.mr/fr/ )
Ce deuxième arrêté complète et renforce le dispositif réglementaire existant en fixant les modalités de supervision et de surveillance des examens semestrielles au niveau des établissements privés d’enseignement supérieur. Il prévoit la désignation par le ministère d’enseignants chercheurs du secteur public et d’un fonctionnaire de la direction de tutelle comme membres des jurys d’examen au niveau de chaque établissement privé.
Ces superviseurs signent les procès-verbaux des examens et adressent au ministère, à la fin de leur mission, un rapport circonstancié sur les conditions du déroulement du processus de vérification d’identité des étudiants, de surveillance et de correction des épreuves et de l ’arrêt et la délibération des résultats.
Au niveau opérationnel, le contrôle et le suivi du fonctionnement des établissements privés d’enseignement supérieur, par les services compétents du ministère, conformément aux nouvelles dispositions réglementaires, ont été renforcés. Plusieurs établissements privés non autorisées ont été fermés alors que d’autres établissements privés autorisés ont été mis en demeure en raison de manquements significatifs aux dispositions en vigueur.
Aujourd’hui, le sous-secteur comporte deux universités, quatre écoles et trois instituts supérieurs dont les filières sont accréditées et les diplômes délivrés reconnus par l’Etat. Il est certes en construction et arrive à peine à émerger, mais déjà et, c’est peut-être, le plus important, il est désormais plus protégé et mieux organisé avec des institutions qui fonctionnement conformément aux textes règlementaires et des curricula approuvés.
Dr. Ahmedoune Ould ABDI
Enseignant chercheur à l'Institut Supérieur de Comptabilité & d'Administration des Entreprises (ISCAE )
Ex-directeur de la promotion de l’enseignement privé supérieur