05:45
Pourquoi des dictateurs nous gouvernent-ils ? Essai de compréhension de notre structure mentale. Par Pr ELY Mustapha
Pr ELY Mustapha - A voir les dictateurs défiler au sommet de nos Etats, à voir toutes
ces personnes qui ont personnalisé le pouvoir nous gouverner, à voir
tous ceux qui autour d’eux applaudissent cette personnalisation, nous
nous sommes posés des questions:
- Y’aurait-il quelque chose de caché en nous qui,
inconsciemment, nous détermine à accepter le pouvoir personnifié et à
l’exercer quand nous accédons au pouvoir.
- Qu’est-ce qui fait que des personnes affichant des valeurs
démocratiques, se transforment en dictateurs aussitôt arrivées au
pouvoir ?
- Y a-t-il en nous un « déterminisme » qui fait que nous
sommes des dictateurs potentiels aussitôt un pouvoir quelconque reçu ?
Du planton au coursier, du secrétariat au standard, du chef de
service au directeur, du secrétaire général au ministre, du ministre
au Président de la République, chaque fois qu’un individu parmi nous
se voit affecter un pouvoir il a tendance à le personnifier.
Du «
secrétariat c’est moi », à « l’Etat c’est moi », c’est une même et
unique personnification du pouvoir à diverses échelles de l’autorité.
Nous avons donc un comportement mental à l’égard du pouvoir qui fait
que nous devenons dictateur quand nous l’exerçons et suppôt du pouvoir
quand nous le servons.
La constance à travers les régimes qui nous ont
gouvernés depuis des décennies, montre bien qu’il s’agit d’un
comportement structurel, il est donc certain qu’il est l’œuvre d’une
structure mentale établie.
Une structure mentale qui face aux
situations de pouvoir, nous dicte d’être dictateur quand nous le
possédons et suppôts quand nous le servons.
Si l’on considère qu’une structure mentale ne s’acquiert pas en un
jour mais qu’elle est le produit d’un ensemble de facteurs qui, sur
plusieurs années, forgent les prédispositions de l’individu à acquérir
cette structure mentale, il s’agit donc d’un processus qui est
déclenché aux différentes étapes du développement mental de l’individu
et qui a construit ce mental.
La question est : Quel est ce processus qui a construit cette
structure mentale qui dicte notre comportement à l’égard du pouvoir :
être dictateur, au pouvoir ou être suppôt du pouvoir.
Si l’on essaie de déterminer, la constante sur laquelle est construite
cette structure mentale force est de remarquer qu’elle tourne autour
de « l’être unique ». Notre mental a tendance accepter de façon
inconsciente la prédominance de l’être unique ; l’unicité du pouvoir
et sa domination est une « évidence » mentale sur laquelle s’est bâti
le développement de notre structure mentale dans nos sociétés.
De la foi à la filiation, en passant par la gouvernance, la constante
« être unique » a dominé notre vision du monde de l’autorité. Elle a
modelé notre conception de l’obéissance (I) et il se doit de trouver
une voie de déstructuration de la structure mentale sans laquelle la
gouvernance des dictateurs trouvera toujours à s’instaurer (II)
La religion, la famille, le gouvernant tous ont contribué à forger
cette notion de « l’être unique ». « Etre unique » hors duquel, et
sans lequel, il n’y a point de salut. Un être unique refuge et
référence justifiant tous nos actes.
I- L’impact de la structure mentale : la soumission à “l’Etre unique”
1. La religion : Dieu, Etre unique divin
De sa naissance à sa disparition l’individu est attaché à sa foi. Il
doit tout à Dieu. Sans Dieu, il n’existe pas. Dieu est unique. Face à
Dieu pas de contestation. Face à Dieu on accepte tout. Dieu donne,
Dieu reprend.
Dieu est unique. La conviction en l’unicité de Dieu est
l’un des piliers fondamentaux de la foi. La parole de Dieu est sacrée.
On ne fausse pas la parole de Dieu. On ne contredit pas sa parole. Et
on fait ce qu’il dit et on rejette ce qu’il interdit.
Dans la foi il n’y a pas de démocratie, Il n’y a pas de libre arbitre.
Il y a la parole sainte on y croit et on lui obéît. Toute forme de
réfutation, de déformation de la parole de Dieu est une hérésie.
Soumis très tôt dans son éducation religieuse à la notion de l’être
unique, en l’obéissance stricte à sa parole, l’individu intègre tout
au long de son existence, cette nécessite de l’être unique et le
devoir sans faille de lui obéir.
Cette conviction religieuse devant rester confinée dans les rapports
spirituels entre le croyant et son Dieu, se voit inconsciemment
transposée dans sa conception de la gouvernance ici-bas.
Cet amalgame
participant à forger la structure mentale va influencer sa perception
de la gouvernance et de l’exercice du pouvoir dans l’Etat. Le
gouvernant est inconsciemment assimilé à un « être unique » (Voir sur
cette question, des développements plus complets dans notre article :
de l’obéissance au gouvernant en Islam)
2. Le messager de Dieu : Etre unique humain.
Le messager de Dieu (PSL) est infaillible. Sa parole prend son essence
dans la parole divine. Il faut l’écouter et obéir. Accepter ce qu’il
accepte, rejeter ce qu’il interdit ; Sa parole est la seconde source
de la foi, après la parole divine.
On ne conteste pas la parole du
prophète(PSL), on la rapporte et on s’y soumet. On n’élève pas sa voix
au-dessus de celles des prophètes.
Le croyant doit accepter la parole du prophète(PSL), être unique,
dernier des prophètes de Dieu. Contester cela est contraire à la foi.
Cette vision prophétique s’est aussi imprimée à la structure mentale du croyant.
3. Le gouvernant : Etre unique imposé
Sur l’obéissance au gouvernant, la parole de Dieu est sans équivoque.
Il faut lui obéir après Dieu et son prophète.
« Ô croyants ! Obéissez à Dieu, obéissez au Prophète et à ceux d'entre
vous qui détiennent le pouvoir. En cas de litige entre vous,
référez-vous-en à Dieu et au Prophète, si votre croyance en Dieu et au
Jugement dernier est sincère. C'est là la démarche la plus sage et la
meilleure voie à choisir.” (Sourate Ennisaa verset 4.59)
Le gouvernant prend alors, dans la perception dictée par la structure
mentale, le statut « d’être unique » qui revêt alors les attributs de
l’autorité.
Cette assimilation reste inconsciente dans l’esprit et latente dans le
comportement de l’Individu. Elle se manifeste aussitôt qu’il approche
le pouvoir. Il s’assimile alors à « l’être unique », quand il détient
le pouvoir ou à son serviteur « indéfectible » quand il y est soumis.
La courtisanerie de nos dictateurs, valorisant aux yeux du détenteur
du pouvoir cette notion « d’être unique », entraine la
personnification du pouvoir et les dérives despotiques que l’on sait
(« pouvoir à vie » « partis uniques », mandats constitutionnels
escamotables etc..). Le califat mental transmis au-delà des siècles.
4. Les parents : Etres uniques hérités
L’obéissance sans faille aux père et mère est consacrée dans la
religion de façon systématique. On leur doit révérence continuelle. «
Le paradis est sous le talon de la mère ».
La beauté d’une telle construction religieuse de l’obéissance à
l’égard des parents est sans conteste. Mais ce sont les moyens
qu’utilisent les parents, pour obtenir cette obéissance de leurs
enfants, qui est répréhensible.
Dans notre société l’obéissance
s’obtient par le fouet. Les bastonnades et les claques sont les moyens
les plus usités pour faire respecter la parole de Dieu.
La structure
mentale se forme dès le jeune âge autour de l’obéissance par la
contrainte, par la peur et par la souffrance. Jamais par le dialogue
avec les parents, les concessions réciproques qui fondent le
libre-arbitre formateur de la volonté, les discussions et la
conviction partagées.
La structure mentale intègre dès l’enfance l’obéissance aveugle aux «
Dieux » de la maison (le père et la mère). Elle continuera à
développer autour de cette constante de l’Etre unique dont les parents
ne sont que le reflet à l’échelle de la famille.
II- Déstructurer la structure : la séparation « mentale » entre l’Etat
et le « clergé ».
Si les développements précédents nous ont appris quelque chose, c’est
que la religion n’est pas un espace de démocratie. La structure
mentale qu’elle a participé à forger participe inconsciemment à
établir une obéissance dogmatique (fondement même de la croyance
religieuse) qui est aux antipodes de l’obéissance rationnelle et
librement consentie, nécessaire à la démocratie et donc, par la même,
à la contestation des gouvernants et leur politique.
Ceci nous amène donc à deux constats : que la structure mentale
transposée dans la gestion de l’Etat moderne est un terreau favorable
au pouvoir personnifié et à la dictature et qu’elle se doit, pour
instaurer une démocratie, de subir une déconnexion du temporel
(rapports entre les hommes ici-bas) pour se limiter au spirituel
(rapports entre l’homme et Dieu pour l’au-delà.)
La démocratie requiert une éducation du libre arbitre et de la
pluralité des choix de destin, que la structure mentale, articulée
autour de la constante « Etre unique », ne peut appréhender.
La logique étant différente, les fins le seront aussi. La séparation
de l’Etat et de l’Eglise au début du XXème siècle en Europe est une
déstructuration institutionnelle du pouvoir pour en isoler le facteur
religieux et n’en retenir que le laïc.
Mais cette séparation
institutionnelle n’est en fait que la conséquence institutionnelle de
ce que fut la déstructuration mentale commencée bien auparavant avec
les révolutions en Europe.
Le guillotinage du roi Louis VI, en 1789,
consacrait la désacralisation du gouvernant et sa descente (sur une
pique) dans l’arène populaire.
La structure mentale qui intègre la démocratie, n’est pas celle qui
s’attache à l’être unique mais aux êtres pluriels qui constituent le
peuple. Etres pluriels dont la structure mentale est bâtie autour de
l’Etre-citoyen. Citoyen libre de son devenir et du choix de ses
gouvernants.
La structure mentale propice à la démocratie ne s’est donc pas bâtie
en un jour. Elle s’est d’abord construite sur une déconstruction de
l’unicité du temporel (destin terrestre des hommes) et du spirituel
(salut divin des hommes) pour aboutir, ensuite, à une structure
mentale intégrant une vision de la gouvernance où les gouvernants
interchangeables sont les serviteurs d’hommes libres.
Dans nos pays, la déstructuration de la structure mentale, à constante
« Etre unique », ne s’est pas encore faite. La démocratie parachutée
se heurte à une structure mentale qui en constitue un frein immuable.
Cette structure mentale c’est celle des seigneurs et des serfs d’avant
les révolutions en Europe, il est donc difficile qu’elle puisse
participer à instaurer ce qui relève d’une autre mentalité de liberté
qui s’est forgée historiquement par les luttes contre le gouvernant «
Etre unique ».
Dans nos pays, la structure mentale est, par le dogmatisme et la
vénération de « l’Etre unique- gouvernant », qu’elle véhicule, sert de
terreau à tous les mouvements religieux qui convoitent le pouvoir.
N’est-ce pas pour ces mouvements une occasion unique de se servir de
cette structure mentale que nous avons forgée nous-même dans l’esprit
de nos enfants pour atteindre leurs fins ?
En conclusion.
Seule la séparation effective entre l’Etat et le « clergé », par
analogie à cette structure organisée occidentale, pourrait aider sur
le long terme à déstructurer la structure mentale de « l’Etre unique »
gouvernant dans nos sociétés.
Il convient de séparer le spirituel du temporel. Faire de la religion,
et l’éducation qu’elle dispense, une affaire personnelle entre l’Etre
humain et l’Etre divin.
De développer un enseignement laïc dans lequel
les générations puiseront cette libre volonté et ce libre-arbitre sans
lequel, il n’y a ni démocratie, ni développement de l’Etre humain.
Car ce qui explique, en définitive, la pérennité de nos dictatures,
c’est que l’on a confisqué, sous l’effet d’une structure mentale
établie, le destin de l’Etre humain par la soumission, souvent
aveugle, à « l’être unique ».
Pr ELY Mustapha