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28-12-2020

13:10

Entretien avec le Colonel Mohamed Lemine Ould Taleb, ancien attaché militaire de la Mauritanie aux USA

Adrar-Info - Mon colonel je vous remercie d’avoir accepté l’invitation. Je voudrais avant d’aborder le principal objet de cette interview, à savoir votre compréhension des dessous de la résurgence de la lutte armée au Sahara, j’aimerai connaître votre avis personnel sur la question de la légitimité réclamée de part et d’autre part.

Les marocains invoquent souvent l’allégeance des anciennes tribus sahraouies au sultan comme preuve historique de leur souveraineté sur ce territoire, tandis que le front POLISARIO récuse ces allégations et met en avant le principe “des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes” qui en fait est associé au “droit à l’autodétermination” tout comme, il se réfère également au Tracé des frontières hérité de la décolonisation. Lequel de ces deux prétextes vous convainc le plus ?

La notion est quelque peu élastique, considérant le contenu que l’on peut lui donner. Par définition, la légitimité est la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice, ou en équité. La légitimité repose sur autorité qui est fondée sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres du groupe ou de la communauté.

Certains la fonde uniquement par le droit (légitimité formelle, fixée par la loi ou en conformité avec la loi.) C’est sur cette notion que repose la revendication du Maroc, en se fondant sur l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice de 1974 qui, même si elle n’a pu établir l’existence de souveraineté entre le Sahara Espagnol et le Maroc, a reconnu tout de même, qu’au moment de la colonisation par l’Espagne, le Sahara Espagnol n’était pas un territoire sans maître et qu’il existait des liens juridiques d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara Espagnol.

D’autres pensent que la légitimité est supérieure à la légalité et la définissent comme l’existence de normes symboliques, permettant aux membres d’un groupe d’interagir, c’est la légitimité sociale qui relie les citoyens sur la base d’une identité collective forte et d’intérêts communs. Le Front polisario, se fonde sur les deux approches.

D’une part, il fonde sa légitimité sur la volonté d’autonomie du peuple sahraoui et, d’autre part, sur les différentes résolutions des Nations Unies relatives à l’organisation, sous son égide d’un référendum libre et équitable au Sahara Occidental et d’en proclamer les résultats.

C’est donc à cette ambivalence que nous faisons face aujourd’hui.

- Mais mon colonel ,vu l’évolution du droit international, qui aujourd’hui régit les rapports entre les nations et d’ailleurs est le recours des communautés et différentes entités en cas de litiges, ne peut-on pas dire tout simplement que les prétentions et revendications historiques marocaines sont complètement balayées par la légalité internationale au respect de laquelle tous les pays ont souscris, le Maroc y compris.

Le droit international n’est en fait applicable que dans le cadre des traités qui engagent la responsabilité des pays qui les ratifient sur une question donnée. Et dans le cas du Sahara , il n’y pas un consensus de la communauté internationale sur son appartenance à l’un ou l’autre camp. Il est vrai que différentes résolutions de l’ONU optent pour une solution concertée.

- D’accord, c’est votre point de vue, il est clair. Mon colonel vous aviez lors d’un précédent entretien dit que la reprise, appelons ça cela, des hostilités de type guerriers, n’aura d’effet que dans la durée et pour cause ce “mur de protection miné” érigé par les marocains dont le franchissement par les troupes sahraouies nécessite un lourd armement(artillerie, arme du génie, raids aériens ..etc) et de rudes combats.

Donc à votre sens s’installera une certaine guerre d’usure. Vous aviez bien démontré cela. Cette thèse le confirme de plus en plus. En effet après plus d’un mois de combat nous n’avons pas encore eu d’échos de résultats probants sur le terrain.

En tout cas aucun des belligérants n’a encore fait des déclarations avoir gagné une bataille décisive ou avoir fait des avancées sur le terrain. On peut donc, mon colonel, penser que les marocains sont installés dans une défensive confortable ?


La reprise des hostilités ouvre certes ,des perspectives nouvelles qui dépendront de l’intensité des affrontements. Tant que les actions de l’armée saharouie resteront au niveau des actions de guérilla classique, l’équilibre existant risque de perdurer.

Si, par contre elles s’intensifient et deviennent plus agressives et plus offensives avec la recherche des objectifs d’acquisition de nouveaux territoires et leur préservation en perforant les murs défensifs marocains, on se retrouve face une nouvelle tournure des évènements qui, certainement amènera à une réadaptation des dispositifs et des réponses appropriées de part et d’autre.

- Justement mon colonel , qu’est-ce que vous sous-entendez par changement de tactique ? Que l’armée saharouie fasse recours à des actions menées en profondeur sur des objectifs sensibles types opérations commandos pour déstabiliser l’ennemi? Est-ce envisageable ?

Bien que cela est probable, il est difficile d’envisager que de telles opérations, exemples raid ou débarquement sur objectif en profondeur au-delà du mur, puissent être menées à l’insu du système de surveillance marocain.

Et dans le cas échéant le risque d’une action offensive marocaine de plus grande envergure visant à sécuriser tout le territoire en repoussant les murs de protection jusqu’à la frontière mauritanienne, ne serait pas à exclure, ce qui évidemment, créera une situation nouvelle qui bouleversera toutes les données sécuritaires de la sous-région.

- Et pourtant bon nombre des saharouis vivant dans les territoires occupés font allégeance aux idéaux du front Polisario et l’ont déjà démontré dans plusieurs intifadas. Leurs jeunesses peuvent être facilement embrigadées pour mener des actions de sabotage et de destruction sur des objectifs précis à l’intérieur du Maroc. Oui ou non?

Oui, évidemment au sein de cette jeunesse fougueuse il y en aura certes, de potentiels partants pour ce type de mission. Mais ceci n’est pas tout, il faudrait en plus organiser, entraîner, équiper ce qui serait pratiquement inimaginable à réaliser sans que les services marocains l’apprennent.

- Donc on comprend, selon vos informations, sans vouloir faire un état comparatif des deux armées, que l’armée marocaine se contentera de garder l’acquis avec 80% du territoire saharoui protègé par son mur infranchissable(je dirais entre guillemets). Peut-on ainsi affirmer la suprématie de l’armée sur celle de la RASD?

En fait la suprématie des forces marocaines sur les territoires qu’elles sécurisent est incontestable.Maintenant je pense que si le Front Polisario a décidé de reprendre les hostilités c’est qu’il juge avoir mis à profit cette vingtaine d’années de cessez-le feu, pour disposer des moyens lui permettant de bien négocier cette nouvelle tournure des événements.

- Mon colonel la brèche d’Elgargaratt est réouverte, le trafic routier entre la Mauritanie et le Maroc a repris. Est-il possible pour les combattants de la RASD de mener des opérations militaires sur cette partie sachant qu’elle est si proche de nos frontières et si cela se produit qu’elle serait la réaction des autorités mauritaniennes attendue ?

En ce qui concerne la Mauritanie, en principe, elle continuera à garder sa neutralité vis-à-vis des deux belligérants. Une implication de la Mauritanie dans le conflit n’est certainement pas envisageable, sauf cas d’un bouleversement radical de l’équilibre stratégique et tactique prévalant, c’est-a-dire un changement majeur, qui lui imposera de se ranger du côté de l’un des belligérants, ce qui, à mon avis est extrêmement improbable.

- Sur d’autres plans nous avons constaté depuis fin novembre, dans la foulée, d’intenses activités diplomatiques menées par le Maroc et qualifiées d’ailleurs par beaucoup d’observateurs de réussite dans le dossier du Sahara. Des pays du Golfe se sont empressés d’implanter des consulats à Dakhla, ElAïoun et autres.

A cela est venue s’ajouter la brusquerie de Trump qui reconnait sans préavis la marocanité du Sahara bafouant ainsi le droit international. Le président américain, malgré sa façon très contestée de faire a néanmoins accordé un soutien de taille de plus au profit des marocains sur ce conflit.

Cette évolution dans ce dossier n’augure pas d’une issue politique possible ou au contraire, la donne se complique davantage et que ni le Polisario ni l’Algérie n’accepteraient un compris quelconque en faveur du Maroc ?

La reconnaissance par Donald trump de la souveraineté du Maroc sur le Sahara, tout comme la denonciation de cette decision par certains pays, est un acte de souveraineté. Chaque pays est libre de prendre, par rapport au conflit, une position qu’il estime convenir à ses intérêts et ses principes, tant qu’elle n’est pas en contradiction avec ses engagements internationaux, matérialisés par les traités internationaux auxquels il a adhérés.

Cette reconnaissance, les décisions de certains pays d’ouvrir des consulats dans les territoires sous administration marocaine et leurs intentions d’y investir sont des décisions qui engagent leur auteurs, mais nullement la communauté internationale comme l’a clairement souligné Antonio Gutterez ,en déclarant que la position de l’ONU reste inchangée en ce qui concerne la question du Sahara Occidental.

C’est-a-dire, organiser un référendum libre et équitable au Sahara Occidental et d’en proclamer les résultats. La question qui se pose ici demeure la credibilité de l’ONU. L’ONU a-t-elle les moyens d’imposer ses résolutions?

- Absolument, seulement des voix s’élèvent déjà pour dénoncer la normalisation avec l’état sioniste. On dit que Trump a fait deal avec Mohamed VI , un troc : l’Amérique reconnaît la marocanité du Sahara et le roi normalise avec Israël. Le Maroc a donc sacrifié un sacro-saint principe chez les musulmans arabes. Ceci n’affaiblit-il pas le régime royal sur le front intérieur ?

Disons le, cette normalisation du Maroc avec Israel pourrait bien faire des émules et ouvrir un boulevard de normalisation à d’autres pays arabes qui pourraient s’enhardir et suivre le meme exemple, notamment l’Arabie Seoudite, le Qatar et même la Syrie et la Mauritanie.

En fait, dès la mise en place de la nouvelle administration americaine, qui vraisembablement ne prendra pas le risque d’aller à contre-courant avec la démarche de normalisation engagée avec Israel, “les langues de se délieront”.

Il faut quand même rappeler que cette reconnaissance du Maroc vient s’ajouter à celles de la Jordanie, de l’Egypte, des Émirats Arabes Unis, de Bahreïn et du Soudan. En fait, il ne manque que l’Arabie Seoudite, la Syrie et le Qatar pour que la locomotive du monde arabe tire sur l’attelage.

Concernant une fin proche du conflit, je pense pas qu’elle soit envisageable à court terme, les positions des belligérants étant diamétralement opposées et les demarches visant le rapprochement des points de vue des bélligérants s’étant jusqu’ici plantées. Tout comme je pense que le rétablissement des relations entre le Maroc et Israel n’est pas un évènement en soi, car les relations entre le royaume chérifien et l’entité sioniste ont toujours existé, officiellement ou officieusement, il ne s’agit à mon sens ici, que d’une simple redynamisation de ces relations.

Pour revenir sur la réussite diplomatique que vous avez évoquée. En fait, la réussite diplomatique du Maroc, si réussite diplomatique il y a, c’est d’avoir établi ces relations et reussi à les maintenir depuis toujours. Il évident que le retour de cette relation contre nature, sous les projecteurs de l’actualité, a réveillé les vieux sentiments de frustration qu’elle avait provoqués et risque de fragiliser relativement le Maroc sur le plan intérieur, car la majorité des marocains se sont toujours élevés contre cette normalisation.

J’ai dit “relativement” parce que le Roi du Maroc dispose de cette prerogative lui permettant de prendre certaines decisions sans consulter ni le gouvernement , ni le peuple. Sur le plan international, les relations du Maroc peuvent se trouver affecter, particulièrement avec le monde musulman et arabe, le Maroc ayant la presidence du Comité El Quds.

Par ailleurs, il n’est évidemment aussi pas à exclure que cette normalisation puisse avoir provoqué les foudres de guerre de la nébuleuse djihadiste qui risquerait de le prendre dans son collimateur.

- Mon colonel et l’Algérie dans tout celà. Nous savons que son soutien à la RASD est officiel et depuis toujours. Cependant, il n’a plus la même vigueur, il n’est plus massif comme d’antan. Certains même pensent qu’il est mesuré. Qu’en est-il ? Qu’est- ce qui s’est passé ? Pouvez-vous m’expliquer ?

La position de l’Algérie, depuis les débuts de ce conflit est restée constante, sur les mêmes positions, soutenant ouvertement politiquement et militairement le Fpolisario. Seulement avec la sortie de la Mauritanie du conflit, une grave erreur, les données stratégiques et tactiques ont consdérablement évolué, retrécissant le champs d’action politique et surtout militaire de l’Algérie avec des revers diplomatiques que cristalise, d’ailleurs, la tension ambiante actuelle entre l’Algérie et la Tunisie et l’enlisement de la situation militaire sur le terrain.

- Mon colonel il nous reste à préciser la position des autorités mauritaniennes. Il est clair qu’elles observent officiellement la neutralité qui probablement migrera vers une “ impartialité” (allez chercher ce que cela veut dire) selon notre président. Ce qui est sûr, les mauritaniens se soucient beaucoup de la situation qui prévaut à nos frontières nord. Les troupes sont mobilisées, un état major des opérations a été mis en place, pas loin des zones de conflit. Qu’avez-vous à nous dire là-dessus ?

Je pense avor répondu à cette question précédemment. Toutefois, j’ajoute tout simplement que la Mauritanie, me semble être le médiateur le plus indiqué pour apaiser la situation et à meme de ramener les deux belligérants à la table de négociation…

Je vous remercie mon colonel.

Le Colonel Mohamed Lemine Ould Tales était l'invité de l'Émission "Les Échos du Sahara" animée par Haroun Ould Rabani





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