Cridem

Lancer l'impression
05-10-2022

11:58

Rentrée scolaire 2022 – 2023 : forcing et incertitudes

Eveil Hebdo - Alors que des rumeurs de plus en plus persistantes faisaient état d’un possible report de la rentrée scolaire 2022 – 2023, à cause notamment des répercussions des inondations, le gouvernement a mis fin à ce suspens lors du dernier Conseil des ministres en maintenant la date initialement prévue, c’est-à-dire le 03 octobre. Une décision que certains observateurs qualifient de «kamikaze», tant les conditions sont loin d’être réunies pour une ouverture sereine des classes.

En dehors des effets des inondations, qui vont impacter le démarrage des cours dans beaucoup de localités, malgré le déni des autorités, il faut souligner que l’Etat a décidé que tous les mauritaniens ont l’obligation d’inscrire leurs enfants en première année du fondamentale, exclusivement dans les écoles publiques.

Si tout le monde comprend et salue l’esprit de cette mesure (créer une école républicaine inclusive), par contre, on peut se poser légitimement la question de savoir si une telle mesure est applicable en l’état actuel ? En tout état de cause, l’ampleur de la tâche est immense.

Un problème de moyens

Avec un déficit de 872 classes dans toute la Mauritanie, des centaines d’enseignants manifestant périodiquement leur colère, le système éducatif mauritanien est malade. Certains estiment même que l’état de l’enseignement en Mauritanie relève de soins intensifs tant «l’école républicaine» célébrée dans les discours officiels demeure un mirage.

Selon l’Unesco, seulement 5,2 % des tout-petits y fréquentent le préscolaire, contre 15 % en moyenne dans le monde arabe. Sur 1 000 filles entrées au collège, à peine 75 réussissent au baccalauréat. Les conditions de travail sont également en cause. Les 11 376 instituteurs et professeurs sont trop peu nombreux, et le niveau des salaires – un instituteur débutant émarge à moins de 8 000 MRU par mois – n’est pas de nature à attirer les meilleures compétences.

Quant à la production nationale de livres scolaires, elle ne couvre qu’un tiers des besoins. Sans parler des programmes erratiques. Il n’est pas donc étonnant que les «plus aisés» des Mauritaniens désertent l’enseignement public, où sévit l’absentéisme des enseignants, et leur préfèrent des collèges «d’excellence» ou l’enseignement privé.

La nouvelle réforme en question

Un autre sujet d’interrogation est l’applicabilité de la nouvelle réforme de l’éducation, adoptée par le parlement il y a quelques semaines et qui suscite la colère des partisans de l’officialisation des langues nationales. Pour rappel, la cause de la précarité du système éducatif mauritanien remonte à la fin des années 1990. En 1979, une réforme avait introduit les langues nationales (Pulaar, Soninké et Wolof) dans l’enseignement à côté de l’arabe et du français. Mais pour des raisons inconnues, l’ex-président Maaouiya Ould Taya a mis fin à cette expérience.

Les tenants de l’identité arabe ont également disqualifié le français, qui a été cantonné dans l’enseignement scientifique, l’arabe dominant le secteur littéraire. Comme un enfant ne peut acquérir des connaissances de base que dans sa langue maternelle, cette arabisation à outrance a transformé l’enseignement public en parking pour les pauvres, les enfants riches ayant fui vers les écoles “d’excellence”, le privé ou le Sénégal !

Toutes les tentatives de réforme se sont heurtées à la dévalorisation des autres langues en raison de la politisation des partisans du nationalisme arabe.

Face à cette situation, le président Ghazouani a commencé à agir. En février 2020, le gouvernement a décidé d’ouvrir une concertation nationale sur le sujet. Les résultats catastrophiques du baccalauréat 2021 ont accéléré la démarche et, du 21 au 24 octobre 2021, 14 ateliers régionaux regroupant 878 participants et plus de 1 million de visiteurs en ligne ont débattu des problèmes et des solutions.

Le grand déballage a permis de dégager un consensus dont la synthèse a été publiée le 19 novembre par le ministère de l’Éducation nationale. Le point central concerne le retour sur la réforme de 1979, afin de faire une place aux langues négro-africaines dans un enseignement où l’arabe demeurera la langue principale et où le français et l’anglais auront le statut de langues « d’ouverture ».

Sauf que la Loi d’orientation élaborée à l’issue du processus est restée très floue et très vague sur des questions très importantes laissant la porte ouverte à toutes les interprétations. D’où la colère de certaines organisations comme l’OLAN (Organisation pour l’Officialisation des Langues Nationales) qui a multiplié des manifestations et des marches pour demander la suspension de cette Loi. Mais les autorités sont passées outre et la reforme entrera bien en vigueur.

Ce faisant, le pouvoir a paré au plus pressé avec des moyens limités. Sera-t-il capable de s’attaquer à la racine des problèmes du système éducatif, à savoir sa politisation à outrance ? C’est peut-être à ce niveau qu’il faut chercher l’explication du départ inattendu du ministre de l’Education Nationale à moins d’une semaine de la rentrée des classes !

Sikhousso





Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


 


Toute reprise d'article ou extrait d'article devra inclure une référence www.cridem.org