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03-05-2025

17:42

"Marges de vérité": 3 Mai, faut-il craindre le délitement progressif de la culture de la parole libre?

La Dépêche - La chute de la Mauritanie de la 33e à la 50e place dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières ne relève pas d’un effondrement spectaculaire, mais d’un repli d’autant plus préoccupant qu’il s’opère sous couvert d’une apparente continuité.

Certes, la Mauritanie conserve, en chiffres relatifs, sa position de première dans le monde arabe, mais cet honneur devient presque ironique lorsque l’on considère l’indice absolu : perdre 17 places en un an dans un domaine aussi central à la respiration démocratique qu’est la presse libre, ce n’est pas simplement glisser — c’est rétrograder dans l’ordre symbolique des nations.

Et plus encore, être désormais précédée par l’Afrique du Sud, Gabon, le Cap-Vert ou la Namibie n’est pas un affront, mais une invitation à l’introspection : que s’est-il brisé entre le souffle prometteur d’hier et l’asphyxie relative d’aujourd’hui ?

Au cœur de cette régression, un fait s’impose : l’agression de Hanefi Ould Dahah, directeur de la chaîne TTV, en pleine lumière, devant les locaux de sa rédaction, suite à une émission où fut évoquée la gestion trouble d’un marché public attribué à un homme d’affaires. L’agression ne fut pas un acte isolé, mais un geste politiquement signifiant : une tentative de réinstaurer par la force ce que la loi ne pouvait plus contenir — le silence.

Car dans les États modernes, l’espace médiatique est le miroir de la dialectique entre pouvoir et responsabilité. Lorsqu’un journaliste est agressé non pour une calomnie, mais pour une information d’intérêt public, ce n’est pas seulement l’individu qu’on atteint : c’est la sphère du débat démocratique qu’on cherche à percer.

Et le drame ici ne réside pas tant dans l’acte — brutal, certes — que dans l’absence de résonance institutionnelle suffisante. Le signal émis est double : d’un côté, la violence est possible ; de l’autre, elle n’est pas assez coûteuse pour dissuader ses auteurs. C’est cela, en définitive, qui mine l’indice : moins la censure formelle que l’impunité informelle.

Mais ce recul n’est pas un simple incident conjoncturel. Il s’inscrit dans une mécanique plus vaste de délitement progressif de la culture de la parole libre, là même où, paradoxalement, des efforts notables avaient permis à la Mauritanie de devancer durant un temps à la fois l’espace arabe et l’espace subsaharien en matière de liberté de presse. Cette contradiction entre avancée institutionnelle et résurgence des réflexes coercitifs constitue la ligne de faille de notre moment politique.

La liberté d’expression, pour être réelle, ne se mesure pas à la simple absence de censure. Elle se jauge dans la capacité du journaliste à critiquer le pouvoir économique et politique sans craindre pour son intégrité. Elle se mesure à la réactivité de l’État face à la violence, à sa capacité à produire un coût dissuasif pour ceux qui menacent la presse. Faute de quoi, le classement international ne fait que refléter une vérité intérieure : celle d’un État hésitant entre la promesse républicaine et la résurgence de ses archaïsmes.

Aussi, la liberté d’expression ne doit pas se muer en liberté de diffamation. Un média ne saurait devenir l’instrument d’un règlement de comptes, ni une tribune destinée à humilier. L’attaque contre un homme d’affaires, même indirecte, doit se faire dans le respect des règles fondamentales : présomption d’innocence, équilibre des sources, droit de réponse.

Car après tout, si l’homme d’affaires est atteint injustement dans son honneur, c’est sa dignité — tout aussi humaine — qui est sacrifiée sur l’autel du sensationnel. Une presse libre n’est pas une presse sans limites : elle est autonome dans sa méthode, mais responsable dans son dessein. C’est là la frontière entre journalisme et vindicte publique.

Il est encore temps de corriger le tir. Mais cela exige plus qu’un simple ajustement technique. Il faut une volonté politique assumée : protéger les journalistes non parce qu’ils sont des voix particulières, mais parce qu’ils incarnent l’intérêt général.

Autrement, le classement ne fera que poursuivre sa descente. Et avec lui, la crédibilité d’un État qui se rêvait pionnier, mais risque de se réveiller spectateur de son propre recul.

Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv





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