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Lettre ouverte à Monsieur Samba Thiam
Cher compatriote Samba Thiam,
Permettez-moi, tout d’abord, de vous adresser mes salutations les plus respectueuses.
À l’instar de nombreux concitoyens profondément attachés à notre chère patrie, je suis avec attention certaines de vos prises de parole et positions publiques.
Malheureusement, il en ressort parfois une certaine véhémence, ainsi que des propos qui touchent à des principes nationaux fondamentaux, porteurs de sensibilité historique et culturelle pour une grande partie de nos compatriotes.
De tels discours, loin de favoriser la cohésion, contribuent à creuser les divisions et à fragiliser la confiance entre les composantes de notre société, qui s’efforce depuis longtemps, avec patience et persévérance, de construire une unité nationale durable.
Dans certaines de vos interventions, vous êtes allé jusqu’à nier l’existence de la composante arabe en Mauritanie, ou à la reléguer au rang de minorité. Vous avez également abordé, dans un ton peu en phase avec les sentiments profonds de notre peuple et avec notre position historique, des questions internationales telles que la cause palestinienne. Ce sont ces constats qui me poussent à vous écrire aujourd’hui, non pas dans une logique de polémique ou de confrontation, mais par sens des responsabilités et attachement à ce qui nous unit.
Cher compatriote,
La Mauritanie, de par son histoire et sa nature profonde, n’est ni un pays uniforme ni un espace linguistiquement ou culturellement homogène. Elle s’est construite et continue d’évoluer autour de trois cercles fondamentaux, indissociables les uns des autres, et dont l’affaiblissement de l’un reviendrait à mettre en péril l’équilibre de l’ensemble :
Le cercle arabe, qui en constitue une dimension culturelle, sociale et linguistique majeure ;
Le cercle africain, expression de notre enracinement géographique et civilisationnel ;
Le cercle islamique, fondement de nos valeurs spirituelles et morales partagées.
Ces composantes ont coexisté historiquement dans une harmonie remarquable, unies par la religion, les liens familiaux, les solidarités géographiques, les échanges commerciaux, les alliances matrimoniales et une longue expérience du vivre-ensemble. La langue arabe a toujours été – et demeure – la langue de communication officielle, culturelle et administrative. Cela ne signifie en rien la négation des autres langues nationales, reconnues pleinement comme faisant partie intégrante de notre identité commune.
Dans ce cadre, les conflits ethniques, les fractures internes et les échecs de construction étatique que connaissent certains pays africains aujourd’hui sont le résultat direct de discours haineux, de la manipulation des identités et de l’absence d’un projet national fédérateur. Les exemples récents du Mali, du Burkina Faso, du Niger, entre autres, montrent que les tensions identitaires, si elles ne sont pas traitées avec sagesse, conduisent à l’effondrement plutôt qu’à la consolidation.
Par ailleurs, l’illusion que des solutions viendraient de l’extérieur, ou qu’un soutien étranger pourrait imposer un changement de paradigme national, n’a jamais conduit à un avenir stable. Bien au contraire, cela a souvent généré instabilité et destruction. Sommes-nous prêts à accepter que le destin de notre pays – terre des aïeux, foyer des générations futures – soit déterminé à la suite d’une intervention militaire ou d’un arrangement régional ou international ? Inspirons-nous des tragédies vécues en Irak, en Libye ou en Haïti, et préservons la Mauritanie d’un sort comparable.
Cher Samba,
Un discours fondé sur la glorification de la couleur de peau, ou prétendant à une supériorité démographique ou à une marginalisation systémique, ne saurait renforcer l’unité nationale ni bâtir la justice. Il ne fait qu’alimenter les divisions et vider la nation de son sens collectif. D’autant que de telles assertions ne reposent sur aucune donnée statistique fiable, ni sur une vision politique éclairée, ni même sur une réalité factuelle vérifiable. Et quand bien même des chiffres existeraient – ce qui n’est nullement le cas – les nations ne se construisent pas sur des pourcentages, mais sur des valeurs de citoyenneté, de reconnaissance mutuelle et de complémentarité entre les composantes de la société.
Il importe, dans une perspective historique honnête, de rappeler que l’appartenance à une nation ne saurait reposer sur une quelconque priorité ethnique ni sur une antériorité sur le territoire. Les populations actuelles de la France ne sont pas celles qui l’occupaient il y a quatre mille ans. Il en va de même pour les États-Unis ou l’Italie. Les États modernes se forment à travers un pacte rationnel entre leurs citoyens, et non sur des invocations incertaines du passé.
Le signe encourageant, dans notre contexte actuel, est que la volonté politique se manifeste avec plus de clarté en faveur d’un projet national inclusif, dépassant les clivages et promouvant la citoyenneté. Le Président de la République a, dans ses discours à Ouadan, Tichitt, Chinguetti, Jouol, Nouakchott, et en bien d’autres occasions, exprimé sa conviction que la Mauritanie est à tous et a besoin de tous. Il a souligné que le chemin de la construction passe par une gestion transparente et équitable des ressources, par la promotion des compétences et l’émancipation des esprits des héritages d’exclusion et de domination.
Le dialogue national à venir, sous l’égide du Président, représente une opportunité historique et une démarche civilisée pour identifier les bases communes et traiter les divergences dans un esprit apaisé, en partant de la conviction que la différence ne se surmonte ni dans le fracas ni par la confrontation, mais par la discussion rationnelle et responsable. La nation ne se bâtit pas par l’exclusion ou la victoire d’un camp, mais par la coopération sincère entre tous ses enfants.
Cher compatriote,
Préservons la Mauritanie telle que nous l’avons reçue : une terre multiple dans ses composantes, riche de sa diversité, unie dans son identité.
Un pays qui n’exclut personne, qui ne se fonde ni sur le ressentiment ni sur la négation de l’autre, mais sur le respect, la complémentarité, la justice et la consolidation de tout ce qui permet un vivre-ensemble apaisé.
Travaillons ensemble – malgré nos divergences d’opinions – à faire triompher le projet d’un État national, fondé sur le droit et la citoyenneté, un État ouvert à tous, et qui a besoin de chacun.
Avec mes salutations les plus sincères,
Brahim Sidaty
Citoyen mauritanien soucieux de l’identité et de l’unité de son pays