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Rapport annuel du département d’Etat US sur les droits de l’homme en Mauritanie : Peut mieux faire !
Le Calame -- La Mauritanie reste engluée dans les violations des droits humains. C’est le verdict du Département d’État américain dans son rapport 2024 : meurtres en détention, tortures, arrestations arbitraires, restrictions des libertés… Malgré quelques réformes, rien ne change en profondeur.
Accablant sur la situation des droits de l’Homme en Mauritanie pour l’année 2024, ce rapport pointe une stagnation inquiétante, voire une régression en plusieurs domaines-clés. Malgré certains engagements officiels, il estime que le pays n’a enregistré «aucun progrès significatif » en matière de protection des libertés fondamentales.
Le document évoque des cas « crédibles » de meurtres arbitraires ou illégaux, d’arrestations sans fondement légal, de détentions prolongées, de tortures, ainsi que de sévères restrictions à la liberté d’expression et de la presse. Les journalistes et militants sont régulièrement la cible d’arrestations ou d’intimidations, notamment lorsqu’ils critiquent les autorités ou dénoncent les discriminations.
Le rapport revient notamment sur les événements du 1er Juillet 2024, lorsque des manifestations ont éclaté après la diffusion d’un faux message sur les réseaux sociaux annonçant la victoire du candidat Biram Dah Abeïd à la présidentielle.
À Kaédi, quatre jeunes ont été arrêtés par la gendarmerie et sont morts en détention le lendemain, dans des conditions jugées « inhumaines » par leurs familles : surpopulation, chaleur extrême, absence d’eau ou de ventilation. Aucune enquête n’a été ouverte à ce jour.
Liberté d’expression sous pression
Le rapport souligne que les critiques à l’égard du gouvernement, bien que tolérées dans une certaine mesure, peuvent entrainer des représailles. Les lois interdisant la « propagande raciale ou ethnique » sont parfois utilisées à des fins politiques. Ainsi, Ahmed ould Samba, un militant haratine, a été arrêté le 2 Octobre après avoir dénoncé publiquement, dans un blog vidéo visant directement les autorités, le racisme et l’exclusion frappant des descendants d’esclaves.
L’usage disproportionné de la force lors des manifestations est également documenté, comme lors de la marche pacifique du 29 Février à Nouakchott organisée par l’Union nationale des étudiants mauritaniens (UNEM). La police a violemment dispersé les manifestants, faisant plusieurs blessés. Là encore, aucune enquête n’a été ouverte.
Discriminations et pratiques esclavagistes
Le rapport met en lumière les discriminations systémiques à l’encontre des Haratines et des minorités subsahariennes, notamment en matière d’accès à l’éducation, à l’emploi et à la justice. Malgré la criminalisation de l’esclavage depuis 1981, des pratiques esclavagistes héritées perdurent en certaines zones rurales. La fondation de tribunaux spécialisés reste insuffisante face à un manque de moyens et de volonté politique.
Conditions de travail alarmantes
La situation des droits économiques et sociaux est tout aussi préoccupante. Le secteur informel, où le droit du travail est rarement appliqué, domine l’économie. Des cas de travail forcé y sont signalés, notamment chez les enfants.
Le rapport déplore également la traite des êtres humains à des fins de travail forcé et d’exploitation sexuelle, qualifiant les efforts de lutte contre ce phénomène de « modestes » en raison de la corruption et de la mauvaise gouvernance.
Des avancées judiciaires isolées
Parmi les rares progrès notés, le rapport cite la condamnation, le 20 Mars 2024, de quatre policiers, dont un commissaire, à la réclusion criminelle à perpétuité pour la torture mortelle de l’activiste Soufi ould Cheïne.
Un cinquième agent a écopé de deux ans de prison, tandis que trois autres ont été acquittés. Cette décision judiciaire a été saluée comme un signal contre l’impunité mais elle reste une exception.
En dépit de quelques avancées judiciaires ponctuelles, la situation globale des droits humains en Mauritanie en 2024 reste préoccupante, marquée par des violations graves, une impunité persistante et des atteintes récurrentes aux libertés fondamentales. Le rapport américain appelle à des réformes structurelles urgentes et à un engagement réel pour garantir la dignité et les droits de tous les citoyens mauritaniens.
Des modifications controversées
Chaque année, le Département d’État américain publie un rapport très attendu sur la situation des droits humains à travers le Monde. Mandaté par le Congrès, ce document de référence dresse un bilan pays par pays et alimente les analyses et débats internationaux.
Cependant, sous l’administration Trump, ce rapport annuel a connu une profonde transformation, suscitant critiques et controverses. Initialement préparée sous l’administration Biden, la version finale du rapport a été largement remaniée par la Maison Blanche de Donald Trump.
Plusieurs sources indiquent que le texte a été réduit d’environ deux tiers, avec la suppression de nombreux chapitres importants, notamment ceux consacrés à la corruption, aux violences faites aux femmes ou encore au droit à un procès équitable.
Une seule exception notable : l’Afghanistan, envers lequel ces thématiques ont été en partie conservées, en raison de la situation particulièrement critique du pays d’un point de vue américain. En revanche, la version finale du rapport a accordé une importance accrue à la liberté d’expression, reflétant ainsi les priorités politiques de l’administration Trump.
Cette révision a provoqué une vive réaction parmi les élus démocrates et les organisations de défense des droits humains qui dénoncent une politisation et un affaiblissement du rapport. Le sénateur démocrate Chris Van Hollen a ainsi condamné « l’édulcoration à des fins idéologiques » qui, selon lui, compromet la crédibilité et la portée des rapports annuels du Département d’État.
Pour sa part, Tammy Bruce, porte-parole dudit Département, a défendu ces modifications, soulignant la volonté de rendre le document « plus lisible et accessible sur le terrain », tout en affirmant qu’il était désormais « en phase avec les décrets présidentiels » et orienté vers « l’utilité » et la cohérence avec le mandat législatif.
Cette controverse souligne les tensions persistantes entre impératifs diplomatiques, exigences politiques internes et nécessaire objectivité dans le suivi des droits humains à l’échelle mondiale.
Synthèse Kaaw Thierno