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“Ils frappent et torturent” : les autorités libyennes accusées d’exactions par les réfugiés
FRANCE24 - Des vidéos postées sur les réseaux sociaux par l’organisation Refugees in Libya début septembre montrent des dizaines de réfugiés entassés à même le sol, dans le centre de détention de Tobrouk sur la côte libyenne. Un nouvel exemple des violences subies par les demandeurs d’asile en Libye, dont témoigne notre Observateur, un temps détenu.
Ce sont deux vidéos qui ont été publiées par l’organisation d’aide aux réfugiés Refugees in Libya. Sur la première, publiée le 1er septembre, des dizaines de personnes sont entassées à même le sol, pieds nus et sans matelas ou couverture, dans le silence. Selon Refugees in Libya, ils étaient alors plus de 900 à être retenus au même endroit. Sur les images, on peut en compter au moins cent.
Une autre vidéo, publiée dix jours plus tard, montre un homme, attaché par le poignet à une fenêtre. Ces images ont été transmises par des personnes emprisonnées dans un centre de détention gouvernemental à Tobrouk, dans le nord-est de la Libye, région sous l’autorité du gouvernement soutenu par la Chambre des représentants de Tobrouk et l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar.
La rédaction des Observateurs a pu vérifier la localisation de ces vidéos. Sur ce post du 3 août, publié par l’Agence de lutte contre l’immigration illégale en Libye, en charge du centre, on reconnait la même cour. Publiée à l’occasion d’une première réunion ayant pour but de “lutter contre l’immigration illégale, la contrebande et les activités criminelles sous toutes leurs formes”, la légende du post indique “ Tobrouk | Centre d’hébergement Al-Boutnan”. On peut reconnaître les deux fenêtres dans le fond de la cour où sont allongés les réfugiés, ainsi que le mur sur la gauche, avec ces deux traits verticaux.
Omar (pseudonyme) est Soudanais, il est sorti du centre de détention de Tobruk, après avoir payé une forte somme aux gardes. Parti du Soudan avec l’espoir de gagner l’Europe en début d’année, il a été arrêté au printemps en Libye. Le pays est un point de passage majeur pour les migrants souhaitant rejoindre l’Union européenne, notamment depuis le verrouillage de la route maritime en Tunisie.
"J’ai été arrêté dans la rue en Libye avec d’autres personnes. J’essayais de rejoindre ma famille dans une autre ville libyenne, mais je suis tombé sur des policiers, et je me suis retrouvé à Tobrouk.
Toutes les personnes dans la prison sont de nationalités différentes. On essaie d’aller en Europe, mais on va d’abord en Libye."
Il raconte que les gardes demandent aux réfugiés de payer une forte somme pour sortir. L’un des seuls moyens pour eux d’obtenir alors cette rançon est par l’intermédiaire de leur famille.
"Pour chaque Soudanais ou Soudanaise, ils demandent 2 500 dinars libyens [392 euros, NDLR] pour sortir de la prison. Il y a plein d‘autres nationalités : Tchadiens, Égyptiens, Éthiopiens, Yéménites, Syriens, Pakistanais, Bangladais, Sud-Soudanais, Somaliens. Mais pour eux, ils demandent 7 000 dinars libyens [1100 euros, NDLR]."
“La prison est pleine de maladies”
Omar dit avoir passé plusieurs mois dans le centre de détention.
“C’est une prison très grande. On est des centaines. Nous n’avons pas assez de nourriture ni d’eau. Nous avons beaucoup de problèmes à l’intérieur.
La nuit, ils nous mettent dans un endroit sans ventilation, avec beaucoup de chaleur. Pas de ventilation, c’est-à-dire qu’il n’y a pas assez d’oxygène. Ils nous sortent le matin, et l’air extérieur est froid. Tu attrapes un rhume, la grippe, de la fièvre, et ainsi de suite.
Il est interdit de parler la nuit. Nous sortons du cachot le matin à 10 heures, nous parlons ensemble et discutons de ce qui se passe à l’intérieur de la prison de Tobrouk.
La prison est pleine de maladies gale, poux, démangeaisons. Il y a de tout, des fièvres.
C’est une situation très difficile, honnêtement.”
“Ils les frappent avec du métal”
L’ONG Refugees in Libya publie régulièrement des images et des informations sur la situation des réfugiés en Libye. Ils disent recevoir chaque jour des dizaines de messages, et selon eux, le nombre de détenus dans ce centre, géré par les autorités, ne fait qu’augmenter, encore aujourd’hui.
La deuxième vidéo montre des mauvais traitements. On y voit un homme, très affaibli, menotté par une main à un barreau de fenêtre, le maintenant en position debout.
Omar dit avoir entendu parler, via des contacts sur place, de l’histoire de cet homme, filmé menotté à une fenêtre de la prison. Il raconte :
"Ils l’ont kidnappé sur la route. Ils ont pris son téléphone, son iPhone, pour l’ouvrir avec iCloud. Et l’homme a refusé d’ouvrir son téléphone. Après ça, ils l’ont frappé et torturé. Et après l’avoir battu, ils l’ont mis en isolement. Ils ont tellement torturé cet homme. Ils voulaient absolument son téléphone. C’est pour ça qu’ils l’ont frappé. Et ils l’ont attaché à la fenêtre de la porte. Il avait peur. Il est resté debout de la nuit jusqu’au matin, puis il a été frappé, puis mis en isolement. Ensuite, chaque jour ils frappaient cet homme pour qu’il ouvre l’iCloud de son iPhone."
Si seule cette exaction est filmée, Omar explique que ce n’est pas un cas isolé, les mauvais traitements et tortures sont le quotidien des migrants de ce centre détention.
"Il y a une zone dans la prison où les soldats battent les gens. Ils les frappent avec du métal. Ils frappent avec tout ce qu’ils trouvent devant eux. Mais vous pouvez aussi être debout dans une file pour obtenir du pain ou de l’eau, et la file est très encombrée. Et alors si une personne quitte la file, les soldats commencent à la frapper. Ils frappent et torturent ceux qui ne veulent pas entrer dans les bâtiments. Ils veulent aussi récupérer l’argent qu’on a."
A l’instar de ceux de Tobrouk, des milliers de migrants sont détenus en Libye, dans des conditions inhumaines. La pratique consistant à leur réclamer de l’argent pour les libérer existe depuis des années. En 2023, Médecins sans frontière avait appelé à la création de corridors humanitaires pour les demandeurs d’asile.
Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est plongée dans une spirale de violence et d’instabilité, et deux entités se partagent de facto le pays, le Gouvernement d’unité nationale (GNU) à l’ouest, reconnu par l’ONU et à l’est, la Chambre des représentants et les fidèles du Maréchal Haftar.
Par :
Les Observateurs
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Mellit DERRE