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Scandale du laboratoire de la police : commissions occultes, contrats suspects et millions transférés à l’étranger
Shems Maarif -- Une nouvelle affaire de corruption secoue la scène publique mauritanienne. Selon l’agence d’information AlAkhbar, l’organisation Transparence Totale a dévoilé de nouvelles révélations et documents accablants concernant le contrat de création d’un laboratoire de police scientifique, attribué à une société étrangère.
Le projet, censé renforcer les capacités de la police technique et scientifique, est aujourd’hui au cœur d’un scandale mêlant commissions occultes, blanchiment d’argent et interférences politiques.
D’après les éléments recueillis par l’organisation, les coûts de réalisation du laboratoire ont été lourdement alourdis par le versement de commissions à des intermédiaires, lors des différentes phases de négociation et de contractualisation. L’affaire avait déjà été partiellement révélée par AlAkhbar en décembre 2024, mais les nouveaux éléments apportent une vision plus détaillée et documentée du montage financier.
Des versements dissimulés et une chaîne opaque de transferts
Le président de Transparence Totale, l’ancien sénateur Mohamed Ould Ghadda, s’est rendu en Turquie, où il a rencontré plusieurs acteurs liés au contrat et collecté des preuves bancaires, reçus de change et témoignages directs.
Après vérification des sources et des dates, ces documents ont été transmis officiellement à la Direction générale de la sûreté nationale, notamment à son directeur adjoint. Mais sept mois après cette remise, aucun acte officiel n’a été engagé, regrette l’organisation.
Parmi les éléments transmis figurent six relevés de comptes bancaires, des preuves de virements vers deux intermédiaires mauritaniens, Ahmed Cheikh et Sani Abdatt, et des reçus de transferts via le bureau de change Ghazlan, basé à Nouakchott.
Les documents indiquent aussi que des sommes importantes ont ensuite été envoyées vers Dubaï, avant d’être remises, en espèces, à l’ancien ministre Sidi Ould Deydi, sans qu’aucun reçu n’ait été signé. La transaction aurait été simplement confirmée par téléphone par un intermédiaire, Abdel Hamid Dia.
Entreprises impliquées et mécanismes douteux
Selon AlAkhbar, les entreprises impliquées sont :
• Genomed (Royaume-Uni), société contractante dirigée par Hussein Oglu
• Omega (Turquie), sous-traitant principal, dirigé par Souleymane Kojit, qui affirme ne pas avoir reçu 30 % de ses paiements
Omega, qui aurait exécuté l’essentiel des travaux, se présente comme victime du système, accusant le directeur de Genomed d’avoir blanchi des commissions à travers son entité, avant de le priver de ses propres dus.
Les intermédiaires mauritaniens identifiés par l’organisation sont :
• Ahmed Cheikh, journaliste, ayant introduit les entreprises en Mauritanie
• Sani Abdatt, ex-diplomate, se présentant comme proche du ministre de l’Intérieur
• Abdel Hamid Dia, prestataire parlant turc
• Sidi Ould Deydi, ancien ministre, décrit comme le bénéficiaire principal des fonds détournés, agissant au nom du général Mesgharou Ould Ghazouani, alors directeur général de la Sûreté
Commissions négociées et hausse inexpliquée des coûts
Toujours selon l’agence AlAkhbar, les négociations initiales prévoyaient une commission de 10 % au profit de Sidi Ould Deydi, et 10 % à répartir entre les deux autres intermédiaires. Mais, au cours des discussions, Sidi Ould Deydi aurait exigé une augmentation de sa part à 25 %, affirmant que “le directeur de la Sûreté n’accepterait pas moins”.
Pour contourner les mécanismes de contrôle financier, un circuit complexe de transferts a été mis en place :
• Virements de Genomed (Royaume-Uni) vers Omega (Turquie)
• Retraits en liquide, dépôt via le bureau de change Ghazlan
• Transferts vers Dubaï, via un réseau géré par un certain Abdallah
• Remise finale en espèce à Nouakchott, sans trace écrite
Des montants colossaux en jeu
Les documents obtenus montrent qu’Ahmed Cheikh et Sani Abdatt ont perçu ensemble 164 000 euros, tandis que Sidi Ould Deydi aurait reçu près de 1,5 million d’euros et 500 000 dollars américains, en espèces.
L’organisation Transparence Totale dénonce une opération de corruption structurée, avec des ramifications nationales et internationales. Elle affirme disposer de preuves solides, et annonce son intention de transmettre l’intégralité du dossier aux futures instances anti-corruption mauritaniennes, ainsi qu’à des organismes européens spécialisés, étant donné que Genomed est enregistrée au Royaume-Uni.