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Le procès de la décennie et la fin d’un cycle du pouvoir en Mauritanie
Mansour LY -- «Juris praecepta sunt haec honeste vivere, alterum non laedere, suum cuique tribuere » “Les préceptes du droit sont simples vivre honnêtement, ne nuire à personne,rendre à chacun son dû.” Ulpien
Le verdict du procès de Mohamed Ould Abdel Aziz marque plus qu’une condamnation. C’est un moment de vérité pour un pays longtemps prisonnier de ses fidélités et de ses silences. Pour la première fois, la Mauritanie s’est jugée sans tuteur, sans effondrement, sans rupture.
Ce procès, inédit par sa portée institutionnelle et morale, dit la lente émergence d’un État qui apprend à transformer l’autorité en droit et le pouvoir en responsabilité.
La justice nationale à l’épreuve de l’histoire et du pouvoir
La Mauritanie entre dans une période où le procès d’un ancien chef de l’État n’est plus une fiction politique. Ce jugement, conduit sans intervention étrangère, montre la consolidation d’une justice nationale capable d’aller au bout d’une affaire d’État.
C’est une rupture discrète mais déterminante, le passage d’une culture du chef à une culture de la règle.Max Weber parlait de la “rationalisation du pouvoir”, ce glissement du charisme vers la légalité. La Mauritanie vit aujourd’hui cette transition, encore fragile mais réelle.
Mohamed Ould Abdel Aziz, officier devenu président, illustre cette ambiguïté. Il a stabilisé le pays tout en personnifiant le pouvoir. Son autorité a permis de construire, mais aussi de confondre. Pendant une décennie, l’efficacité a remplacé l’institution, la loyauté a pris la place de la procédure, le chef a dominé la norme.
Le procès sanctionne autant cette dérive qu’il la dépasse. Il remet en ordre une hiérarchie politique longtemps inversée, où la loi retrouve sa place au-dessus de la volonté d’un seul.
Loyautés, parentés et fractures sociales
La loyauté, en Mauritanie, n’est pas qu’une valeur morale. C’est une structure sociale. Le pouvoir reste lié à des relations familiales, tribales et confrériques, où l’autorité s’exerce par la proximité plus que par la fonction.
Juger un ancien chef, c’est rompre un pacte implicite, celui de la fidélité qui dépasse le droit. Être condamné par des magistrats issus du même milieu est une épreuve symbolique. Mais cette rupture était nécessaire. Elle marque un basculement, celui où la loyauté cesse d’être une dette pour devenir une responsabilité publique.
La société observe et apprend que la justice peut s’exercer sans vengeance et que la loi peut s’appliquer sans haine. Ce calme autour du procès n’est pas indifférence. Il montre une maturité nouvelle, une acceptation du principe de justice comme fondement de la stabilité.
Institutions, contrôle et limites de l’État de droit
Ce procès s’inscrit dans un contexte où la question institutionnelle reste centrale. Le dernier rapport de la Cour des comptes a mis en lumière des anomalies persistantes dans la gestion publique. Les bailleurs internationaux FMI, Banque mondiale, Union européenne demandent des preuves concrètes d’assainissement budgétaire.
La justice devient ainsi le miroir des réformes promises et le révélateur de leurs lenteurs. Cette contradiction juger un ancien président tout en tolérant des dysfonctionnements quotidiens nourrit le scepticisme. Tant que le contrôle budgétaire restera un instrument politique et non une pratique régulière, la justice demeurera un événement, non une habitude.
Le véritable enjeu n’est pas d’avoir jugé Aziz, mais de faire de cette exigence un principe permanent. Un État se juge moins à la sévérité de ses peines qu’à la constance de ses institutions.
Grâce, réconciliation et vérité sociale
La question du pardon revient dans tous les débats. Faut-il gracier, apaiser, ou maintenir la rigueur ?
Paul Ricœur rappelait que le pardon ne supprime pas la faute, il la dépasse. La Mauritanie, société d’interdépendance et de mémoire, doit inventer un pardon politique mesuré, qui reconnaît sans effacer et réconcilie sans affaiblir la loi. Dans un pays où la loyauté vaut presque autant que la loi, chaque condamnation laisse une trace.
La justice doit désormais apprendre à réparer autant qu’à punir. Le juge, dans ce contexte, devient à la fois gardien du droit et artisan du lien social. La réconciliation nationale ne se proclame pas. Elle se manifeste dans la capacité du système judiciaire à dire la vérité sans alimenter la rancune.
Ce que ce procès révèle de nous
Ce procès n’a pas seulement jugé un homme. Il a confronté la Mauritanie à elle-même, à son rapport au pouvoir et à la responsabilité. Depuis des décennies, la société réclame la justice parfois contre l’arbitraire, parfois contre la fatigue morale d’un système où le pouvoir protège plus qu’il ne corrige. Pour la première fois, cette justice a parlé. Elle devra maintenant apprendre à soigner autant qu’à sanctionner.
La justice mauritanienne a tenu. Elle a dit le droit.Mais il lui revient désormais d’achever ce qu’elle a commencé, non seulement rendre justice, mais aussi réconcilier.Dans un pays où la loyauté vaut presque autant que la loi, chaque condamnation laisse une marque. Pour ceux qui ont attendu ce moment depuis longtemps, il faut que la justice soit juste, mais aussi qu’elle répare.
Le dernier rapport de la Cour des comptes l’a rappelé : les irrégularités demeurent, certains visages réapparaissent là où le contrôle devrait s’intensifier. Les sanctions se resserrent sur quelques-uns pendant que d’autres échappent à l’examen.
Cette inégalité dans l’application du droit alimente le doute. Tant que le contrôle budgétaire restera une arme ponctuelle et non une culture, le procès Aziz restera une catharsis, pas un tournant d’État.Il faut dire aussi que la sentence visait plus qu’un homme.Elle visait la toute-puissance.Pendant dix ans, Aziz avait confondu autorité et possession. Il voulait tout régir, trancher, nommer, isoler. Et dans cette concentration du pouvoir, beaucoup ont été écartés ou humiliés.
Certains ne peuvent pas pardonner, parce que leur mise à l’écart a été publique. Le ressentiment du pouvoir en Mauritanie n’est jamais seulement politique. Il plonge dans la mémoire longue des humiliations. Et c’est là le drame du chef : il n’a pas seulement perdu le pouvoir, il a perdu la fidélité.
La justice l’a condamné à quinze ans de prison.Mais c’est la société entière qui s’interroge encore sur sa propre responsabilité. L’homme qui disait « je suis l’État » est devenu le symbole d’un État qui découvre sa propre fragilité.
La sentence s’adresse à tous : au citoyen, à l’élite, au juge, au président d’aujourd’hui. Elle rappelle qu’aucune puissance ne dure, qu’aucune amitié n’est au-dessus du droit, et qu’aucune justice n’a de valeur sans réparation.
La Mauritanie doit maintenant apprendre un pardon équilibré, celui qui reconnaît la faute sans nier la dignité du fautif. Un pays se tient debout non parce qu’il punit, mais parce qu’il se relève. Le temps du procès s’achève, le redressement commence.
Il faudra des institutions solides, une Cour des comptes indépendante, un parquet courageux, une administration publique libérée de la peur des puissants. Et surtout, une société qui ne confond plus loyauté et soumission.
Le procès de la décennie a révélé la fracture, mais aussi la promesse. Nous avons jugé un homme. Il reste à réparer un pays.
Mansour LY Juriste- consultant