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20-11-2025

09:16

M. Joaquín Tasso Vilallonga, ambassadeur de l’Union Européenne en Mauritanie : "L’envoi en Mauritanie de migrants en situation irrégulière en Europe issus de pays tiers n’a jamais été envisagé"

Le Calame - Après des arrivées massives de réfugiés sur les côtes mauritaniennes en destination de l’Europe, l’UE a entrepris de négocier avec les pays de départ et de transit, dont la Mauritanie. Quels ont été les résultats de ces négociations ?

M. Joaquín Tasso Vilallonga : Le phénomène de la migration en Mauritanie est très complexe et, malheureusement, les médias et les réseaux sociaux ont souvent tendance à le simplifier en mélangeant des situations très différentes, ce qui, à mon avis, comporte des risques. Je voudrais donc commencer ma réponse en essayant de « démêler » la question.

Les réfugiés sont des personnes qui fuient des conflits ou d’autres menaces afin de se mettre à l’abri de ces dangers dans un autre pays. La Mauritanie a fait preuve d’une admirable solidarité en accueillant environ 300 000 réfugiés maliens, la quasi-totalité dans la région du Hodh el Chergui. Aujourd’hui, le nombre de réfugiés installés dans les villages dépasse celui des réfugiés hébergés dans le camp de M’Berra.

Cela représente une charge importante pour la Mauritanie et une pression accrue sur l’eau, les pâturages et les services de base, que nous essayons d’atténuer en soutenant non seulement les réfugiés, notamment à travers les agences spécialisées des Nations Unies et des ONGs, mais aussi les communautés locales grâce à des programmes de développement ciblés.

Lors d’une de mes visites dans cette belle région, j’ai eu l’opportunité d’inaugurer des écoles, de visiter des coopératives de femmes, des centres de santé, des forages, des potagers et d’autres initiatives ayant un impact réel sur l’amélioration des conditions de vie de ces populations, rendues possibles grâce au soutien de l’Union européenne. Je voudrais rappeler que, lorsqu’on parle de réfugiés en Mauritanie, il s’agit à 85 % de femmes et d’enfants, dont les maris et pères sont restés au Mali.

Quant au petit pourcentage d’hommes, il s’agit principalement de personnes âgées ou d’éleveurs arrivant avec leur bétail. Contrairement à ce que l’on entend souvent, ces réfugiés ne cherchent pas à quitter les lieux, sauf pour retourner au Mali. D’ailleurs, le nombre de réfugiés qui atteignent la côte mauritanienne dans le but de migrer vers l’Europe est très faible.

La Mauritanie est aussi un pays de destination et de transit pour les migrants irréguliers. Bon nombre d’entre eux tentent en effet de rejoindre les îles Canaries depuis la côte mauritanienne, en confiant leur transport à des trafiquants sans scrupules.

L’appellation « migrant irrégulier » regroupe néanmoins des personnes dans des situations très diverses, qui doivent être prises en compte individuellement : mineurs, victimes de la traite, demandeurs potentiels d’asile, migrants économiques et même des trafiquants de personnes.

Ainsi, lorsqu’une pirogue transportant des migrants irréguliers échoue sur la côte, ou est interceptée par les garde-côtes mauritaniens, il est essentiel de déterminer correctement la situation spécifique de chaque personne, car certaines peuvent avoir droit à une protection internationale. Je voudrais rappeler que ces migrants irréguliers qui sont considérés comme n’ayant ni droit au séjour ni droit à la protection internationale, et qui sont donc susceptibles d’être renvoyés dans leur pays d’origine, doivent être traités dans le respect des droits humains et de leur dignité – une obligation qui s’applique tant à la Mauritanie qu’aux pays de l’Union européenne.

Une bonne gestion d’un phénomène si complexe comme celui de la migration irrégulière n’est donc pas une tâche facile pour aucun pays ; elle requiert de l’expertise et des ressources (infrastructures, équipements…) non négligeables. Cela est précisément la raison d’être de la Déclaration conjointe de la Mauritanie et l’Union européenne, du 7 mars 2024, établissant un « Partenariat sur les migrations », dont le but ultime est de permettre à la Mauritanie de gérer les flux migratoires en conformité avec les engagements internationaux que le pays a librement adoptés.

Ledit Partenariat sur les migrations s’articule autour de cinq domaines spécifiques : (1) la promotion de la formation technique et professionnelle des jeunes en Mauritanie, afin d’adapter leurs compétences aux besoins du marché et de maximiser ainsi leur employabilité ; (2) l’aide aux réfugiés (notamment maliens dans la région du Hodh el Chergui) ainsi qu’aux communautés locales qui les accueillent avec tant de solidarité ;

(3) la promotion de voies de migration légales, en soutenant la mobilité des étudiants et des entrepreneurs, en explorant les possibilités de migration circulaire, et en facilitant l’accès au marché du travail pour les Mauritaniens résidant en Europe ;

(4) la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, en protégeant les victimes et en assurant la réadmission des citoyens mauritaniens en situation irrégulière dans l'Union européenne, dans le respect de leurs droits et de leur dignité ; et (5) le renforcement des capacités des autorités mauritaniennes en matière de recherche et de sauvetage des personnes en détresse en mer, ainsi que dans la gestion intégrée des frontières.

-L’UE dépense beaucoup d’argent pour tarir la source, en vain. Les départs avaient connu une forte hausse, il y a quelques mois, au point que la présidente de la Commission de l’Union Européenne, Ursula Von der Leyen accompagné du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, ont effectué des visites en Mauritanie. Qu’attendait l’UE de la Mauritanie ? Quel rôle a-t-elle joué dans le combat contre l’immigration clandestine ?

-Je n’aime pas les expressions telles que « le combat contre la migration clandestine » ou « la lutte contre la migration illégale », que l’on entend trop souvent. Bien sûr, la migration irrégulière peut entraîner des risques sécuritaires qu’il ne faut pas négliger, mais n’oublions pas que la plupart de ces personnes migrent pour des raisons socioéconomiques et ne cherchent que de meilleures conditions de vie – y compris pour leurs familles, qui restent dans leurs pays d’origine. Ce ne sont ni des criminels ni des ennemis contre lesquels on doit se battre. C’est plutôt contre les trafiquants de migrants et leurs complices qu’il faut lutter. Je préfère donc parler de « la gestion de la migration irrégulière ».

L’Europe et la Mauritanie partagent des valeurs et des intérêts communs, tels que la paix et la sécurité, la promotion des énergies renouvelables, la pêche durable et la protection de la biodiversité, l’accès aux services sociaux de base, la création d’emplois pour les jeunes, le commerce équitable ou encore les investissements responsables et, bien entendu, une gestion de la migration conforme à nos engagements internationaux respectifs.

L’objet de la visite historique de la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, accompagnée du Président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, en février 2024, était de renforcer le partenariat entre l’Union européenne et la Mauritanie dans toutes ces dimensions.

-Lors de la visite en Mauritanie, en février 2024, de la présidente de la Commission Européenne, Ursula Von Der Leyen accompagné du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, l’UE a annoncé un financement de 210 millions d’euros pour lutter contre la migration, pour l’aide humanitaire et pour la création des emplois. Quelle évaluation vous faites de cet appui ?

-Les 210 millions d’euros annoncés lors de la visite de Mme Von der Leyen n’étaient pas destinés à « lutter contre la migration ». Une grande partie, 100 millions d’euros, relevait de l’appui budgétaire, c’est-à-dire des transferts monétaires versés sur le compte du Trésor mauritanien.

Les indicateurs et cibles pour ces décaissements concernent la santé (consolidation de la CNASS), le développement de l’écosystème de l’hydrogène vert (notamment la formation professionnelle et l’entreprenariat) et la gestion de la migration, en particulier l’enregistrement des réfugiés et l’adoption de procédures opérationnelles pour identifier les migrants débarqués qui ont le droit à la protection internationale.

D’autres volets importants de ce paquet portent sur l’appui aux réfugiés et aux communautés mauritaniennes qui les accueillent – y compris l’aide humanitaire ; le soutien aux forces armées dans le domaine de la défense et de la lutte contre le terrorisme ; le renforcement des capacités, notamment de surveillance, de la police et des garde-côtes pour lutter contre le trafic de personnes et secourir les personnes en détresse en mer ; et enfin des lignes de crédit à des banques commerciales mauritaniennes pour faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises au financement, avec un accent particulier sur les femmes et les jeunes dans les secteurs de l’économie bleue et verte.

Nous évaluons très positivement cet appui exceptionnel, qui est venu s’ajouter à l’allocation régulière, déjà très importante, de la coopération de l’Union européenne en Mauritanie, laquelle a d’ailleurs été récemment augmentée de 25 %. Mais ce qui est pour nous important, c’est plutôt l’évaluation que fait la Mauritanie de cet appui européen. J’ai donc été très heureux de la lettre du ministère de l’Économie que nous avons reçue à la Délégation il y a quelques mois, nous félicitant de la qualité de notre coopération et de la rapidité de sa mise en œuvre.

- Lors de leur séjour, on a parlé de la signature d’un accord au terme duquel, la Mauritanie allait accueillir et héberger des migrants renvoyés d’Europe ; un accord qui devrait ressembler à celui signé entre l’Angleterre et le Rwanda, ce que les autorités mauritaniennes ont démenti rapidement. Cette solution avait-elle été envisagée avec la Mauritanie ?

-Absolument pas ! Cela n’a jamais été envisagé. La Déclaration conjointe ne prévoit en aucun cas l’envoi en Mauritanie de migrants en situation irrégulière en Europe issus de pays tiers. J’en profite pour ajouter qu’elle n’aborde pas non plus la politique migratoire de la Mauritanie à l’égard des ressortissants de pays tiers, au-delà des engagements internationaux auxquels le pays a souscrit en matière de protection des personnes vulnérables telles que les réfugiés, les mineurs et les victimes de la traite.

Je voudrais réitérer que cette Déclaration conjointe, qui est un document public depuis le jour de sa signature le 7 mars 2024, est le seul document encadrant les relations entre l’Union européenne et la Mauritanie en matière migratoire : il n’existe aucun document « secret » ni aucun autre accord entre l’Union européenne et la Mauritanie sur cette question, en dehors du cadre global de l’Accord de partenariat OEACP-UE, dit de Samoa.

-Certains observateurs ont le sentiment, voire l’impression que l’UE continue à injecter beaucoup d’argent dans la lutte contre l’immigration dans les pays de départ sans se préoccuper de la gestion de ses montants. Partagez-vous ce sentiment ?

-Tous les financements de l’Union européenne sont soumis à des procédures de contrôle strictes et à des audits rigoureux. De plus, contrairement aux financements européens relevant de l’ancien Fonds européen de développement (FED), les nouveaux financements de l’Union européenne sont gérés soit directement par notre Délégation, soit par des partenaires de mise en œuvre présents sur place – principalement des agences de coopération des États membres de l’Union européenne et des organisations internationales, notamment celles du système des Nations Unies. Nous pouvons également cofinancer des projets, généralement plus modestes, portés par des organisations de la société civile, mais ceux-ci sont tout autant soumis à des contrôles rigoureux. Le risque de mauvaise gestion existe toujours, mais il me semble faible.

Comme évoqué ci-dessus, l’Union européenne a également mis en place un programme d’appui budgétaire en faveur de la Mauritanie pour un montant de 100 millions d’euros sur trois ans (2024-2026). Il s’agit d’argent comptant directement versé sur le compte du Trésor mauritanien. Ce financement est naturellement géré par la Mauritanie selon ses propres règles de gestion et de contrôle, mais avant tout décaissement européen, une série de conditions de bonne gouvernance économique doit être remplie. Il s’agit donc d’un instrument fondé sur la confiance mutuelle.

Comme vous le savez bien, le rapport 2022-2023 de la Cour des comptes mauritanienne, tout récemment publié, a mis en évidence des faiblesses de gestion financière dans un certain nombre d’entités publiques. Nous ne pouvons donc que saluer la décision du gouvernement de relever de leurs fonctions et de poursuivre en justice les personnes soupçonnées de corruption, ainsi que son engagement à mettre en œuvre les recommandations formulées par la Cour.

Ce regrettable épisode démontre néanmoins deux éléments positifs, qui nous rassurent en tant que partenaires de la Mauritanie : l’indépendance de la Cour des comptes et la fermeté du gouvernement dans la lutte contre la corruption.

- Malgré l’argent déversé, la présence de bateaux de la marine, des garde-côtes, les migrants réussissent toujours à embarquer. Qu’est-ce qui à votre avis pourrait expliquer cette situation ?

-Le trafic de personnes constitue un négoce extrêmement lucratif pour les réseaux de trafiquants et leurs complices. Ceux-ci exploitent la vulnérabilité des migrants en leur exigeant des sommes astronomiques — jusqu’à 6 000 euros par personne — pour une traversée incertaine, qui se transforme trop souvent en tragédie. Les trafiquants n’ont aucun scrupule à mettre en péril la vie de tant de jeunes, de femmes et d’enfants, allant parfois jusqu’à les jeter par-dessus bord lorsque les embarcations chavirent. Malheureusement, ils parviennent parfois aussi à soudoyer des fonctionnaires censés prévenir leurs activités criminelles. Ces phénomènes ne sont propres ni à la Mauritanie, ni à l’Afrique de l’Ouest.

Nous travaillons avec la Mauritanie pour renforcer les capacités de recherche et de sauvetage des garde-côtes, afin qu’ils puissent secourir plus rapidement les migrants en détresse en mer. L’Union européenne a également récemment financé la réhabilitation et l’équipement de deux Centres d’Accueil Temporaire des Étrangers (CATE), à Nouakchott et à Nouadhibou, pour que les migrants débarqués soient correctement pris en charge (hébergement, nourriture, assistance médicale, appui psychologique…).

Contrairement à ce qui a pu être dit dans certains médias ces derniers jours, il ne s’agit pas de prisons, mais bien de centres de transit (maximum 72 heures), afin de permettre l’identification des personnes vulnérables ayant droit à une protection internationale et les orienter vers les services compétents. Nous soutenons également la police et d’autres services mauritaniens responsables de prévenir les départs, notamment grâce à des équipements de surveillance et à la formation. Prévenir les départs est sans doute plus efficace pour sauver des vies que les opérations de sauvetage en mer, qui sont également plus coûteuses.

Mais ce qui explique la forte baisse des départs de pirogues depuis les côtes mauritaniennes observée cette année (–60 %), c’est avant tout l’efficacité des autorités dans le démantèlement des réseaux de trafiquants et de leurs complices, ainsi que le renforcement des dispositifs de surveillance, notamment le long de la péninsule du Cap Blanc. Il faut saluer ces efforts, qui ont certainement permis de sauver de nombreuses vies. Cela reste notre principal objectif, je tiens à insister sur ce point.

- La Mauritanie a organisé des élections locales en juin 2023 puis une présidentielle en juin 2024. Quel rôle a joué l’UE pour aider la Mauritanie à tenir et réussir ce scrutin ? Lors de la dernière présidentielle, l’UE n’a pas envoyé d’observateurs en Mauritanie. Peut-on savoir pourquoi ? Quelle évaluation vous avez faite du scrutin ?

-La tenue d’élections libres, transparentes et sans violence constitue une condition essentielle de la démocratie, de la paix et de la stabilité du pays. L’appui de l’Union européenne durant la période électorale s’est concentré sur le renforcement des institutions – notamment la CENI, en partenariat avec le PNUD, et la CNDH – ainsi que sur les médias, afin d’améliorer leurs compétences.

Les missions d’observation électorale de l’Union européenne ne sont déployées qu’à la demande des autorités nationales, et la Mauritanie n’a pas formulé une telle demande. Ce que nous avons fait, avec l’accord du gouvernement bien entendu, a été d’envoyer une petite mission d’experts électoraux, qui ont formulé des recommandations visant à améliorer le processus électoral. J’ai remis ces recommandations au Premier ministre quelques jours après la présentation de mes lettres de créance au Chef de l’État.

L’Union européenne a salué la tenue de l’élection présidentielle de juin 2024 et a félicité le Président Ghazouani pour sa réélection. Nous avons, à cette occasion, exprimé notre souhait de renforcer encore davantage notre partenariat avec la Mauritanie.

-Dans son discours d’investiture, le président réélu a invité les acteurs politiques à un dialogue inclusif. Que pensez-vous de ce geste ?

-Le dialogue est la base de la démocratie. Un dialogue politique inclusif pourrait sans doute contribuer à renforcer la cohésion sociale, à consolider la confiance entre les acteurs et à dépasser les blessures et les incompréhensions héritées du passé. Nous ne pouvons donc qu’encourager la participation de tous les acteurs concernés. Quant à sa forme et à son contenu, il revient aux Mauritaniens — et à eux seuls — d’en décider, et non à nous.

-La Mauritanie fait de l’hydrogène vert une priorité pour lutter contre le changement climatique. Qu’en pense l’UE ? Apporte-elle son aide à ce projet ?

-Effectivement, la Mauritanie dispose de tous les atouts nécessaires pour produire de l’hydrogène vert à grande échelle, car elle bénéficie d’importantes ressources naturelles en énergies renouvelables, notamment le vent et le soleil, ainsi qu’un vaste territoire et accès à la mer.

Le gouvernement mauritanien en a fait une priorité, non seulement pour lutter contre le changement climatique, mais aussi parce que l’hydrogène vert a le potentiel d’attirer des investissements, de développer les infrastructures énergétiques et de transport du pays, de créer des milliers d’emplois de qualité et, à terme, de générer des revenus considérables. Cette énergie pourrait également être utilisée pour transformer le minerai de fer mauritanien en fer à réduction directe, et pour produire des carburants d’aviation et maritimes durables, ajoutant ainsi de la valeur aux exportations du pays.

Une Mauritanie stable et prospère est évidemment dans l’intérêt de l’Union européenne, qui s’intéresse aussi bien entendu aux opportunités d’investissement pour nos entreprises dans l’écosystème de l’hydrogène vert mauritanien, ainsi qu’à l’achat potentiel de cette énergie propre dans l’avenir.

Comme vous le savez, l’Union européenne a été trop longtemps dépendante du gaz russe, et l’agression de l’Ukraine par Poutine a mis en évidence les risques de placer tous ses œufs dans le même panier. Aujourd’hui, nous cherchons à diversifier nos fournisseurs d’énergie et nous profitons de cette nécessité pour opérer un saut qualitatif vers les énergies renouvelables, comme l’hydrogène vert. Cela explique l’intérêt mutuel de l’Union européenne et de la Mauritanie dans le développement de cette ressource, car tout le monde y gagne, y compris la planète.

Le chemin pour développer l’écosystème de l’hydrogène vert en Mauritanie n’est cependant pas aisé. Certes, le potentiel du pays est important, mais il existe des obstacles majeurs qu’il faudra surmonter, notamment le déficit en infrastructures et le manque de capital humain qualifié. C’est précisément pour pallier ces carences que nous avons lancé, avec des États membres de l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement, une Initiative de l’Équipe Europe dédiée au développement de l’hydrogène vert en Mauritanie.

Celle-ci cible spécifiquement la modernisation de la formation professionnelle, le développement d’infrastructures et la mise en place d’un cadre réglementaire adapté, ce qui s’est déjà traduit par l’adoption du Code de l’hydrogène. Un certain nombre d’entreprises européennes ont montré leur intérêt dans ce secteur prometteur et les premiers investissements sont déjà en cours.

- L’UE est préoccupée par la sécurité au Sahel où sévit le terrorisme jihadiste. Quelle appréciation fait-elle des efforts de la Mauritanie dans la lutte contre le contre-terrorisme ? Que lui apporte comme appui l’UE dans ce combat ?

-L’Union européenne partage pleinement la préoccupation de la Mauritanie face à la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire au Sahel, en particulier au Mali voisin. Nous saluons les efforts constants et la détermination de la Mauritanie dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Préserver la paix, la sécurité et la stabilité de la Mauritanie, dans un environnement régional très perturbé, demeure essentiel.

L’Union européenne se tient solidaire de la Mauritanie dans ce combat, car nous sommes tous menacés. Nous soutenons les forces armées mauritaniennes en leur fournissant des équipements et des systèmes destinés au patrouillage et à la surveillance des frontières. L’Union européenne a également financé la construction et l’équipement du nouveau camp militaire de M’Beiket Lahouash, situé à proximité de la frontière malienne et qui sera bientôt inauguré. Nous appuyons en outre le déploiement du Groupement nomade de la Garde nationale dans le Hodh el Chergui, ainsi que celui des unités GAR-SI de la Gendarmerie dans trois régions du pays.

Comme déjà mentionné, à cette coopération sécuritaire s’ajoutent de nombreux projets de développement socioéconomique et d’aide humanitaire dans les régions les plus vulnérables, afin d’atténuer les facteurs qui pourraient favoriser la propagation de l’extrémisme violent.

- L’UE apportait un appui important au désormais défunt G5 Sahel. Quelles ont été les conséquences sécuritaires de la disparition de cette organisation? La présence de Wagner au Mali, donc aux frontières de la Mauritanie a-t-elle conduit l’UE à renforcer son appui ou à changer de stratégie ?

-Les conséquences du retrait du Mali (en 2022), du Niger et du Burkina Faso (en 2023) du G5 Sahel ont été désastreuses, comme chacun peut le constater. La situation sécuritaire au Sahel central ne cesse de se détériorer, avec un bilan humanitaire accablant. Cette dégradation entraîne également des répercussions sur les pays voisins, notamment à travers l’afflux de réfugiés et l’augmentation des risques sécuritaires transfrontaliers.

Les actions de déstabilisation menées par la Russie dans la région, y compris les campagnes de désinformation, sont inacceptables. Nous déplorons les exactions commises par les mercenaires de Wagner ainsi que par leurs supplétifs de l’Africa Corps.

Face à cette situation, l’Union européenne élabore actuellement une nouvelle approche vis-à-vis du Sahel, en étroite concertation avec ses partenaires, et bien entendu avec la Mauritanie, qui demeure un acteur clé de la stabilité régionale.

-Un important accord de pêche lie la Mauritanie à l’UE. Le protocole en cours s’achève en 2026. Comprenez-vous qu’à chaque renouvellement de protocole, on assiste à des protestations de certains opérateurs mais également des consommateurs mauritaniens qui se plaignent : (a) d’une part de la modestie de la contrepartie européenne, et (b) du pillage par des bateaux étrangers dont ceux de l’UE ? Dans le cadre de cet accord, combien de bateaux européens pêchent dans les eaux mauritaniennes et comment s’effectue leur contrôle ?

-La contrepartie financière européenne dans le cadre de l’accord de partenariat pour une pêche durable avec la Mauritanie est loin d’être modeste : 57,5 millions d’euros par an pour les droits d’accès, auxquels s’ajoutent 16,5 millions d’euros d’appui sectoriel sur la durée du protocole. Il faut également compter les redevances versées par les armateurs européens pour leurs captures, qui représentent environ 11 millions d’euros par an. Au total, cela correspond à près de 360 millions d’euros sur cinq ans, c’est-à-dire 16 milliards de nouvelles ouguiyas.

Malgré cet investissement substantiel, la flotte européenne n’utilise pas pleinement les opportunités offertes par cet accord. Seulement environ la moitié des navires européens autorisés ont effectivement pêché sur la période 2022-2024 et ils n’ont effectué qu’un tiers des captures autorisées. Autrement dit, les navires européens pêchent bien en deçà des possibilités prévues lors de la négociation du protocole.

Contrairement aux certaines perceptions, les captures européennes dans les eaux mauritaniennes représentent moins de 8% du total national. S’il devait y avoir un pillage, il ne proviendrait donc certainement pas des pêcheurs européens !

La flotte européenne ne concurrence pas non plus la pêche artisanale mauritanienne : nos navires ciblent très peu les espèces pélagiques côtières (moins de 7 % des captures), qui sont les plus consommées localement — sardinelle, maquereau, chinchard ou thiof. La diminution éventuelle de ces stocks n’est donc pas imputable à la flotte européenne : les causes doivent être recherchées ailleurs.

Le nombre de navires européens opérant dans les eaux mauritaniennes varie selon les segments de pêche et les campagnes saisonnières. En moyenne, toutes catégories confondues, environ 52 bateaux sont autorisés à exercer une activité de pêche chaque année. Ces navires proviennent d’Espagne, de France, des Pays-Bas, de Lettonie et de Lituanie.

Il convient également de rappeler que les navires européens ne pêchent que des espèces pour lesquelles il existe un excédent de stock, sur la base des évaluations régulières d’un comité scientifique conjoint UE-Mauritanie et des conseils de gestion scientifique dans le cadre du Comité des Pêches pour l'Atlantique Centre-Est (COPACE).

Leurs activités de pêche sont soumises au respect de normes environnementales et sociales strictes, et font l’objet de contrôles réguliers, en mer comme au port, par la Garde-Côte mauritanienne, qui vérifie leurs déclarations de captures. D’ailleurs, l’Union européenne finance aussi des programmes de renforcement des capacités de la Garde-Côte en Mauritanie, notamment en matière de surveillance satellitaire.

En résumé, l’accord de pêche durable entre la Mauritanie et l’Union européenne constitue un modèle de transparence, de préservation des ressources halieutiques, de renforcement des capacités et de respect de la souveraineté nationale. Il serait souhaitable que toutes les flottes étrangères opérant dans les eaux mauritaniennes se conforment aux mêmes standards.

-Le président mauritanien, Mohamed Cheikh El Ghazwani a assisté, du 9 au 10 octobre 2025 au 2ème sommet du Forum Global Gateway, organisé par l’UE à Bruxelles. Quel était l’objectif de cette rencontre et que peut en tirer la Mauritanie ?

-En effet, le Président Ghazouani a accepté l’invitation de Mme la Présidente de la Commission européenne à assister au 2ᵉ Forum Global Gateway, qui s’est tenu à Bruxelles les 9 et 10 octobre derniers, en présence d’autres chefs d’État et de gouvernement, notamment ceux de l’Angola, de l’Afrique du Sud, de la RDC et du Rwanda. Les ministres mauritaniens des Affaires Economiques et du Développement ; du Pétrole, de l’Énergie et des Mines ; et de la Transformation Numérique et de la Modernisation de l’Administration y ont également participé, et j’ai eu l’honneur d’accompagner la délégation mauritanienne.

Outre son intervention lors de la séance d’ouverture du Forum, le Président Ghazouani a eu des entretiens bilatéraux avec Mme Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, et avec Mme Nadia Calviño, Présidente de la Banque européenne d’investissement (BEI).

À cette occasion, l’Union européenne a confirmé le financement de la nouvelle ligne électrique à haute tension entre Nouakchott et Kiffa, à hauteur de 125 millions d’euros, dont 90 millions sous forme de prêt de la BEI et 35 millions sous forme de don, qui permettra à des milliers de foyers d’être raccordés au réseau électrique et de relier la Mauritanie aux marchés régionaux des énergies renouvelables.

Le financement de la modernisation et de l’extension du chemin de fer de la SNIM, à travers un prêt de la BEI de 107 millions d’euros permettra quant à lui de renforcer les capacités d’extraction et d’exportation du fer, de soutenir le développement industriel local et de mettre en place les infrastructures nécessaires à l’utilisation future de l’hydrogène vert. Ces deux opérations bénéficient également d’une garantie de l’Union européenne.

En outre, la partie européenne a exprimé sa volonté de poursuivre l’appui budgétaire à la Mauritanie au-delà de 2026. Un bilan donc très positif de cette visite.

-Vous venez de boucler une année en Mauritanie en tant qu'ambassadeur de l'UE. Quel est l'état des lieux de la coopération entre l'Union et la Mauritanie ?

-Je suis très honoré d’avoir été nommé ambassadeur de l’Union européenne en Mauritanie et très fier du travail accompli par mon équipe depuis mon arrivée.

Le partenariat de l’Union européenne avec la Mauritanie va bien au-delà de la seule coopération au développement. Il ne s’agit plus d’une relation de bailleur à récipiendaire — un modèle aujourd’hui dépassé —, mais d’un partenariat politique et stratégique, d’égal à égal, fondé sur des valeurs et des intérêts communs. Il englobe non seulement le développement, mais aussi le commerce, les investissements, la sécurité, ainsi que les grands enjeux globaux tels que la lutte contre le changement climatique, la défense du multilatéralisme et le respect du droit international.

Mon mandat étant de renforcer le partenariat avec la Mauritanie dans toutes ses dimensions, le bilan de cette première année ne pourrait pas être plus positif, comme vous venez de le constater en lisant cette interview.

L’Union européenne est – et restera – un partenaire respectueux, loyal et fiable, ainsi qu’un ami sincère de la Mauritanie.

Propos recueillis par Dalay Lam



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