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24-11-2025

14:58

Dissolution du Haut Conseil de la Jeunesse : bon début… mais il faut oser aller jusqu’au bout du ménage

Souleymane Djigo -- Le président de la République a annoncé la dissolution du Haut Conseil de la Jeunesse. Beaucoup y ont vu une simple décision administrative.

Pour moi, c’est plus qu’un détail de décret : c’est un aveu discret que nous avons multiplié, pendant des années, des institutions “vitrine” dont l’impact réel sur la vie des citoyens reste introuvable.

Le Haut Conseil de la Jeunesse, c’était quoi concrètement ?

Une structure consultative, avec un président, un bureau, des séances, des ateliers, des missions, des communiqués… mais sans pouvoir décisionnel, sans budget à la hauteur de ses ambitions, sans redevabilité claire face aux jeunes qu’il était censé représenter. Sa suppression ne va changer strictement rien au quotidien d’un jeune chômeur à Kaédi, d’un diplômé sans emploi à Nouakchott ou d’un apprenti artisan à Kiffa.

C’est d’ailleurs bien là le problème : on ne peut pas regretter la disparition d’une institution dont la plupart des jeunes n’ont jamais vu l’utilité.

Alors oui, dissoudre le Haut Conseil de la Jeunesse est une bonne décision. Mais si on s’arrête là, ce sera juste un geste symbolique dans un système qui, lui, n’a pas été touché.

Un État devenu collectionneur d’institutions

Depuis des années, l’État mauritanien est devenu un collectionneur de structures publiques : conseils, agences, offices, établissements, autorités, observatoires, centres, comités et commissions. Chaque problème, chaque crise, chaque mode de gouvernance a souvent produit… une nouvelle institution.

Le résultat, on le connaît tous sans même ouvrir un rapport officiel : d’un côté, des ministères sous-dotés, de l’autre, une galaxie de structures satellites, avec leurs DG, leurs conseils d’administration, leurs primes, leurs séminaires et leurs plans d’action “en cours d’élaboration

Beaucoup de ces entités :

font double emploi avec des directions déjà existantes ;
dépendent à 100 % du budget de l’État, sans aucune capacité à générer de la valeur ;
n’ont aucun indicateur public de performance ;
ne rendent presque jamais de comptes devant les citoyens.

Ce ne sont pas des institutions, ce sont des aspirateurs budgétaires.

Quand les “usines à rapports” consomment l’argent de l’école, de l’hôpital et de l’eau

La question n’est pas idéologique, elle est budgétaire et morale.

Chaque année, nous adoptons des lois de finances où :
les crédits pour la santé sont jugés insuffisants,
les budgets pour l’éducation sont “à renforcer”,
l’eau, l’assainissement, les routes, l’emploi des jeunes attendent “la mobilisation des partenaires”.

Et dans le même temps, nous continuons à financer :
des structures sans impact mesurable,
des conseils consultatifs dont les avis ne sont jamais suivis d’effet,
des agences spécialisées qui font parfois exactement ce que fait déjà un ministère ou une autre institution.

On nous répète que “l’État n’a pas les moyens de tout faire”. Très bien. Alors pourquoi garde-t-on autant d’organismes qui ne font rien de décisif ?

Un État pauvre n’a pas le droit de financer des institutions inutiles.

Trois types de structures à passer au scanner

La dissolution du Haut Conseil de la Jeunesse devrait être le début d’une opération vérité sur l’ensemble des structures publiques.

On pourrait classer ces entités en trois catégories :

Les indispensables à renforcer

Celles qui touchent directement :

à l’éducation,
à la santé,
à l’eau,
à l’électricité,
à la régulation des marchés publics,
à la justice,
à la sécurité alimentaire.

Ces institutions-là doivent être consolidées, professionnalisées, modernisées. On doit leur donner les moyens de faire leur travail et exiger des résultats.

Les structures à fusionner ou à transformer

Celles qui :

se marchent dessus dans le même secteur (eau, ports, pêche, développement rural, formation…) ; ont des mandats très proches de ceux d’un ministère ou d’une autre agence ; vivent exclusivement de subventions, sans impact avéré ni lisibilité.

Là, la solution n’est pas forcément la dissolution pure et simple. On peut :

fusionner plusieurs entités en une seule, plus forte et plus lisible, ramener certaines agences au sein des ministères, sous forme de simples directions ou départements, réviser les textes de création pour adapter leurs missions aux urgences actuelles.

Les institutions à dissoudre courageusement

Celles qui coche nt toutes les cases :

aucun impact visible sur les politiques publiques,
pas de service concret rendu au citoyen,
pas de reporting public,

aucune nécessité stratégique dans le contexte actuel.

Ce sont les véritables coquilles vides : elles existent sur le papier, disposent d’un budget, de véhicules, de bureaux, mais n’ont plus aucune raison rationnelle d’exister. Là, il faut du courage politique : dire stop, fermer, assumer et réorienter l’argent vers les secteurs vitaux.

Une méthode simple : audit, transparence, reddition des comptes

Dissoudre au hasard ou sur la base de humeurs, ce serait dangereux. Il faut une méthode claire et publique :

Audit indépendant de toutes les structures publiques

budget reçu sur les 5 dernières années,
dépenses réelles,
activités menées,
résultats concrets,

utilité pour les politiques publiques.
Publication des rapports
Pas dans un tiroir, pas dans un cercle restreint.
Sur des sites officiels, accessibles aux citoyens, aux journalistes, aux députés.

Débat au Parlement
discussion sur chaque famille de structures : lesquelles renforcer, lesquelles fusionner, lesquelles dissoudre ;

adoption d’une loi de rationalisation du secteur public, avec calendrier de mise en œuvre. Réaffectation des ressources

les budgets récupérés doivent aller clairement vers :

l’école publique,
les hôpitaux,
l’eau potable,
l’emploi et la formation des jeunes.
ce lien doit être visible : “On a fermé ceci → ça finance cela.”

Dissoudre un conseil ne suffit pas, il faut dissoudre une culture

Le Haut Conseil de la Jeunesse a été dissous. Très bien.

Mais si on laisse en place :

la culture des institutions “gadgets”,

le réflexe de créer une agence dès qu’on a une idée,

l’habitude de nommer des dirigeants sans leur fixer des objectifs clairs et mesurables, alors cette dissolution ne sera qu’un épisode de plus dans l’histoire de notre bureaucratie circulaire.

Ce qu’il faut dissoudre, ce n’est pas seulement un conseil, c’est une façon de gouverner par couches successives, sans jamais faire le ménage.

Le vrai courage politique

Le vrai courage politique ne consiste pas à créer de nouvelles structures pour donner l’impression qu’on agit.

Le vrai courage, c’est de :

regarder en face les institutions qui ne servent plus à rien,
accepter que certains organismes ne sont que des refuges bureaucratiques,
et les fermer pour réinvestir dans ce qui compte vraiment.

Dissoudre le Haut Conseil de la Jeunesse est un premier pas.

Les jeunes, eux, attendent le deuxième pas : celui qui consistera à dissoudre le superflu pour enfin financer sérieusement l’essentiel



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