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27-11-2025

11:39

M. Yarba Nava, président du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines : "Nous considérons le débat sur l’identité haratine comme un luxe intellectuel et élitiste"

Le Calame -- Le Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines a-t-il contribué aux préparatifs de la phase préparatoire du dialogue politique en gestion ? Si oui, comment appréciez-vous la feuille de route concoctée par le facilitateur ?

Yarba Nava : Effectivement. Le Manifeste a contribué à l'élaboration de propositions de dialogue, au cours d'une rencontre avec son coordinateur, à la suite de laquelle nous avons soumis des pistes de travail. Quant à l'évaluation de la feuille de route, elle est acceptable en termes de préparation et de communication.

Cependant, quand on se trouve face à un problème unique et qu’on veut le faire bénéficier d’une solution collective, ce groupe se disloque. On a, d’une part, des partis légalisés, considérés comme légitimes, des candidats parties prenantes au dialogue, tandis que d'autres seront associés aux concertations afin de garantir la participation de tous. Il s’est opéré, du coup, une distinction avant même le début du dialogue, révélant l'existence d'une partie principale et d'une partie secondaire.

- Qu’attendez-vous de ce débat ? Peut-il faire avancer le pays, comme l’espèrent certains ?

- Les précédents dialogues – en 2006, 2009, 2011 et 2013 – et autres concertations se sont finalement révélés n'être que des distractions et des tentatives d'endormir la population. Pas plus ni moins.

Si le dialogue attendu se concentre sur les points et problèmes importants, tels que la question de l'esclavage, abordée sous l'angle de l'exclusion et de la marginalisation, et s'il propose des solutions à la réforme foncière, aussi bien en milieu rural qu’urbain, ainsi que des mesures de discrimination positive pour réparer les injustices du siècle dernier et des décennies écoulées depuis l'Indépendance, alors, oui, il sera véritablement bénéfique.

Il doit aborder également la question du passif humanitaire avec les parties concernées et dépasser les solutions temporelles, tout en cherchant à parvenir à un consensus satisfaisant pour tous. De là, il est possible d’arriver – ou de réfléchir, au moins… – à l'unité nationale. Nous pourrons alors commencer à nous interroger, aspirer à une bonne gouvernance et à un État démocratique, tout en tenant compte de l'équilibre entre les composantes de la population.

- La question de l’esclavage ou de ses séquelles pourra-t-elle trouver une solution consensuelle et définitive ?

- Voilà ce que nous espérons et souhaitons, tout en restant vigilants face à certaines classes politiques et références de l'État profond, véritable protecteur et détenteur du pouvoir exécutif. Ces derniers nient et désavouent l'esclavage, utilisant des termes et des concepts qui en masquent l'existence, tels que «classes vulnérables », « séquelles de l'esclavage » et « rhétorique sectaire », menaçant ainsi la paix sociale, sans préciser qui est concerné ni pour quelles raisons.

- Vous avez certainement suivi la visite du président de la République au Hodh Charghi. Que vous inspire l’ambiance rapportée par les médias et réseaux sociaux ?

- Il est vrai que le président de la République a entrepris cette tournée, qualifiée de visite d’information et d'évaluation, afin d'examiner les problèmes des habitants du Hodh Charghi. Cependant, cette visite n'était pas exempte des défauts qui ont caractérisé les précédentes tournées, notamment en termes d'accueil qui a exclu les habitants d'origine et a mis en avant des résidents de Nouakchott de tous horizons – ministres, hommes d’affaires et hauts fonctionnaires –, dans le but de dissimuler les dysfonctionnements et l’échec au niveau de la wilaya. Nous avons également constaté, comme c'est de tradition depuis le régime d'Ould Taya, qu'à chaque fin de visite, les media s'empressent de commenter et d'interpréter le discours du Président, lui attribuant des significations et des contenus mentionnés ou non.

- Au cours de cette visite, le président de la République a abordé quelques questions, comme l’interdiction aux ministres et hauts cadres d’assister à des réunions à caractère tribal, communautaire et régional. Il a également fait allusion à certains responsables déjà engagés dans une campagne présidentielle pour sa succession. Que pensez-vous de ces avertissements ? Jusqu’où va aller le Président ? Pourrait-il se débarrasser des présumés candidats et de leurs soutiens ?

- Oui, j'ai écouté les discours et les observations du président de la République dans la plupart de ses réunions. Mais la question posée est : est-ce envers le président de la République ou dans leur allégeance traditionnelle que se situe la plus forte confiance des cadres ? Ces mises en garde resteront par conséquent liées à la capacité des ceux-ci à jouer sur deux fronts : avec le président de la République, dans ses déclarations théoriques ; et avec leur référence traditionnelle, dans ses pratiques sur le terrain. Quant à savoir s'il faut s’en séparer ou non, cela relève des relations avec les blocs et les lobbies influents au sein du ministère de l'Intérieur qui manœuvrent au sein du pouvoir exécutif et du parti au pouvoir pour s’imposer et s’entretuer entre eux.

- Le Président est également revenu sur son combat contre la gabegie pour réaffirmer sa détermination à débarrasser le pays de cette gangrène. Après les mesures prises suite au rapport de la Cour des comptes, pensez-vous qu’il est sur la bonne voie ?

- Oui, il est en théorie sur la bonne voie. Mais la pratique et l'expérience disent le contraire : ne s’était-il pas engagé, lors du dialogue de 2006 avec le Conseil militaire pour la justice et la démocratie, à remettre les clés de la démocratie aux civils ? Vous savez ce qui s'est passé par la suite. Il a adopté par ailleurs le principe du « pardonner le passé ». Aujourd’hui, le ton est donné au lancement de la lutte contre la corruption. Dix-neuf ans après ledit dialogue de 2006, nous n'avons constaté aucun recul de celle-ci mais, au contraire, son augmentation et aggravation, ce qui confirme l'inefficacité et l'inadéquation des méthodes adoptées.

- L’identité haratine a suscité un grand débat. Qu’en pense le Manifeste ?

- Nous considérons ce débat comme un luxe intellectuel et élitiste. Nous aspirons à l'équité et à l'égalité dans l'éducation, la santé, le foncier, dans les zones rurales et en milieu urbain. Nous voulons une discrimination positive pour compenser le retard accusé par rapport à l’État moderne, à l’État citoyen et laisser la question de l'identité aux historiens, sociologues et chercheurs, en se fondant sur des références et des analyses scientifiques rigoureuses, plutôt que sur les querelles intestines stériles ravivées par les réseaux sociaux, essentiellement personnelles et dénuées de preuves.

- Le Manifeste pour les droits des Haratines a été fondé il y a treize ans de cela. En quoi a-t-il fait avancer la cause de cette composante nationale ? N’avez-vous pas le sentiment qu’il a été détourné de sa mission ? Le jour de sa marche annuelle, le 29 Avril, tous les partis politiques et des organisations des droits de l’homme sont hartanis… mais après ?

- Merci d'avoir soulevé cette question concernant le Manifeste, même si elle est empreinte de sarcasme, d'ignorance et de mépris de sa compréhension. Quant à ses réalisations, il ne s'agit ni d'une institution financière ni d'une organisation caritative mais d'une organisation de défense des droits humains dont le rôle est de sensibiliser l'opinion publique, sur une réalité spécifique ou sur un document reflétant fidèlement la réalité d'une composante nationale ayant subi injustice et oppression.

Concernant la dérive à laquelle vous faites allusion, nous ne pensons pas que l'organisation se soit éloignée de son objectif initial. La lutte se poursuit selon la méthodologie établie, en tenant compte du contexte politique et des circonstances du pays. Cela n'exclut pas l'existence de cas exceptionnels ou isolés ni de divergences d'appréciation. Quant à la participation des partis politiques et des organisations de la Société civile, c'est précisément ce que nous souhaitons.

C’est à cet effet que nous constituons un comité de liaison pour deux occasions. La première est l'appel à une marche, afin de présenter aux participants les preuves de leur adhésion au Manifeste et de les inciter à contribuer et à participer à ce qu’ils ont reconnu ; la seconde, avant chaque élection législative et municipale. Nous exhortons ici les partis politiques à veiller à ce que la participation des Haratines ne soit pas purement formelle ou destinée à remplir les listes électorales et à ce qu'elle contribue à l'équilibre et reflète la véritable diversité des composantes de la Nation.

- Le gouvernement a décidé d’octroyer 27 milliards d’ouguiyas pour solder le dossier douloureux du passif humanitaire. Que pensez-vous de cette approche ?

- Nous ignorons les détails précis du dénouement proposé mais nous savons que l'argent seul ne suffit pas à régler le problème. En effet, sous le règne d'Ould Taya, cette affaire avait été résolue par la loi, selon les autorités, et, sous celui d'Ould Abdel Aziz, par la prière et l'argent. Mais il s’est avéré que ces solutions sont insuffisantes.

Si celle aujourd’hui proposée est du même ordre, elle n'aboutira à aucun résultat significatif. Je crois que l'approche de Sidi ould Cheikh Abdallah était l'une des meilleures pour résoudre ce casse-tête. De manière générale, la meilleure issue est le consensus entre les parties concernées, sans médiateur ni agent.

Propos recueillis par Dalay Lam



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