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04-12-2025

22:00

Indépendance ou décolonisation : une lecture critique

Dahane Taleb Ethmane -- La notion d’indépendance nationale, entendue dans son acception classique, demeure largement théorique. Aucun État, fût-il parmi les plus avancés, n’échappe à des formes de dépendance vis-à-vis d’autres États. On observe même, paradoxalement, que plus un pays est développé, plus il est tributaire de ressources, de marchés, de main-d’œuvre ou encore d’espaces extérieurs.

L’impérialisme, dont la colonisation fut l’expression la plus éclatante, puise précisément sa logique dans cette dépendance, tout aussi contraignante, mais de nature différente, de celle qui caractérise les pays en développement. Si les premiers sont dépendants par excès, les seconds le sont par déficit.

Loin d’avoir disparu, cet impérialisme s’est simplement mué vers des formes moins ostentatoires et peut être plus civilisées, mais toujours aussi contestables. C’est le néocolonialisme. Pour paraphraser Clausewitz, l’indépendance n’est bien souvent que la continuation de la colonisation par d’autres moyens.

La mondialisation contemporaine, entendue comme globalisation des échanges et intégration des marchés, ne fait qu’institutionnaliser cette interdépendance asymétrique.

À partir des années 1950, la colonisation directe devient obsolète. Elle cède la place à un ensemble de conventions internationales, de traités et de mécanismes juridiques qui permettent aux puissances dominantes de maintenir leurs intérêts sans supporter les coûts politico-administratifs de la gestion coloniale.

Le système institutionnel, économique et administratif transmis aux pays nouvellement décolonisés s’avérera souvent plus efficace pour préserver ces intérêts que la présence coloniale elle-même.

Ainsi, ce que les pays africains célèbrent chaque année en grande pompe et avec tant de fierté n’est pas véritablement une commémoration de leur indépendance , mais celle, plus prosaïque de la décolonisation de leurs pays, si l’on s’en tient à la rigueur des faits. Cependant, il ne faut pas jouer les troubles fêtes.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille priver les nations de leurs symboles. Les constructions nationales s’alimentent autant de mythes, d’utopies et d’imaginaires collectifs que de réalités tangibles. Et l’histoire récente de la Mauritanie illustre bien ce besoin de récit fondateur.

En fait, il ne faut pas avoir peur des mots et dire que la colonisation n’a pas eu que des effets négatifs. Il faut le reconnaître au risque de ramer à contre courant d’une bien-pensance établie salon laquelle la colonisation était la mère de toutes nos tares avant d’être repoussés par nos vaillants combattants.

En 1960, la Mauritanie ne constituait pas encore, au sens strict, une nation. Le nom même du pays, forgé quelques décennies plus tôt par Xavier Coppolani, premier administrateur colonial du pays n’existait pas. Il n’y avait pas à proprement parler un nom d’ensemble reconnu. L’espace était habité par des groupes humains hétérogènes, sans frontières reconnues et sans conscience partagée d’appartenir à un même ensemble politique.

Aujoud’hui, une identité nationale existe, assumée sur un vaste territoire, malgré la diversité et la complexité de ses composantes.

Certes, la Mauritanie ne dispose pas encore d’une économie pleinement compétitive, ni d’un système éducatif performant, ni d’infrastructures à la hauteur de ses ambitions. Mais l’État s’est constitué, a résisté aux crises régionales, s’est maintenu « contre vents et marées » et peut s’appuyer sur un potentiel naturel considérable.

Le déficit en ressources humaines qualifiées demeure préoccupant et la qualité de l’enseignement reste bien en deçà des niveaux requis. Pourtant, le taux de scolarisation est passé de 0 % au début des années 1960 à plus de 90 % aujourd’hui, et l’analphabétisme a nettement reculé.

Sur le plan politique, le pays évolue dans un contexte relativement stable, marqué par une pratique démocratique qui, malgré ses limites, tend à s’élargir au-delà du simple rituel électoral pour toucher les modalités d’exercice réel du pouvoir.

Ces acquis , modestes mais indéniables , obtenus en un laps de temps somme toute court à l’échelle de l’histoire d’une nation, invitent à un optimisme mesuré mais réel.

A mon sens, il n’ y a donc pas lieu de se lamenter outre mesure sur le sort du pays. Ceux, nombreux ,qui se sentent désabusés pensaient qu’en quelques décennies un pays pouvait se doter d’institutions solides, former un capital humain abondant et compétent, instaurer une gouvernance exemplaire et rejoindre le cercle des nations avancées. Si l’ambition est légitime, l’impatience l’est moins.

On peut continuer à nourrir ces aspirations, je n’y déroge pas , mais la réalité impose son propre rythme.

Dahane Taleb Ethmane



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