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Nouadhibou, la Nouvelle Frontière : Comment la Zone Franche redessine l’avenir économique de la Mauritanie
Ridha Bouh -- La Zone Franche de Nouadhibou vient d’entrer dans une nouvelle ère. La loi 2024-030 apporte une évolution majeure de son cadre institutionnel et de ses priorités économiques, en renforçant son rôle dans la stratégie nationale de développement.
Cette réforme, soutenue par ses décrets d’application, consolide les acquis du dispositif initial tout en l’orientant davantage vers la création de valeur, l’industrialisation, l’emploi et une meilleure intégration de la Mauritanie dans les chaînes de valeur régionales et mondiales.
La nouvelle configuration donne à l’État — et en particulier à la Présidence — un rôle plus direct de pilotage, garantissant l’alignement entre l’ambition nationale et les réalités administratives. La sauvegarde de la compétitivité, la transparence, l’intégrité des procédures et la recherche de performances économiques deviennent les piliers de la Zone Franche.
La coordination renforcée entre la Douane, la DGI, l’Autorité administrative de la Zone Franche, et les ministères sectoriels crée désormais un environnement plus lisible et plus utile aux investisseurs industriels.
Cette réforme n’est pas un simple ajustement technique : elle est la traduction territoriale de l’ambition économique du Président De la République Son Excellence Monsieur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, telle qu’exprimée dans son programme “Mon ambition pour la patrie”. Ce programme place la transformation de l’économie, la création de richesses productives et l’industrialisation comme moteurs du développement du pays. Le Premier ministre, SEM, Mokhtar Ould Djay, joue un rôle essentiel dans cette mise en œuvre, avec une approche basée sur la discipline administrative, la cohérence institutionnelle et l’exécution rapide des grandes orientations.
Une Zone Franche recentrée sur la transformation industrielle et la valeur ajoutée
La Zone Franche de Nouadhibou, au cœur d’un territoire exceptionnellement riche en ressources naturelles, entre dans une phase stratégique décisive. Son environnement immédiat — des côtes parmi les plus poissonneuses au monde, les gisements de calcaire de Boulenoir, et son rôle logistique naturel entre l’océan Atlantique et les mines de Zouerate — en fait l’un des rares espaces africains où se concentrent à la fois richesse halieutique, potentiel minier, ressources énergétiques renouvelables et ouverture maritime internationale.
Chaque année, les eaux mauritaniennes enregistrent plus d’un million de tonnes de captures halieutiques, illustrant l’immense potentiel de transformation et de valorisation locale des produits de la mer. À cela s’ajoutent les richesses minières, en particulier le fer transporté depuis Zouerate via la SNIM, ainsi que les gisements de calcaire de Boulenoir, parmi les plus prometteurs de la région pour la production de clinker et de matériaux de construction stratégiques.
Le territoire de Nouadhibou bénéficie exceptionnel, combinant un ensoleillement parmi les plus élevés au monde et des vents puissants et constants. Ce mix unique — solaire, éolien et gazier — ouvre la voie à la production future d’hydrogène vert, positionnant la Mauritanie comme acteur émergent de la transition énergétique mondiale.
C’est précisément cette concentration de richesses naturelles qui justifie le recentrage stratégique de la Zone Franche : passer d’une zone d’exonérations à un pôle industriel intégré, capable de transformer localement ces ressources pour créer de la valeur, réduire les exportations brutes et produire durablement sous le label “Made in Mauritania”.
Ce choix s’inscrit pleinement dans la vision présidentielle visant à développer des emplois productifs et qualifiés, tout en installant durablement le slogan “Made in Mauritania” au cœur des chaînes de valeur régionales et internationales. Avec ses filières halieutiques, minières, énergétiques et logistiques, la Zone Franche possède un potentiel unique, capable non seulement de dépasser les 30.000 emplois nationaux annoncés, mais surtout de créer des métiers modernes, technologiques et mieux rémunérés.
Ainsi, la Zone Franche de Nouadhibou se positionne désormais comme la plateforme industrielle et énergétique de référence en Mauritanie, où la transformation des richesses nationales devient moteur de croissance, de souveraineté et de compétitivité.
La valorisation halieutique : un pilier central de la nouvelle Zone Franche
Le secteur de la pêche, moteur historique de l’économie de Nouadhibou, occupe une place stratégique dans la nouvelle orientation de la Zone Franche. Avec des eaux parmi les plus riches de la région et une production annuelle dépassant largement le million de tonnes, l’enjeu n’est plus seulement d’exporter des produits bruts, mais de valoriser localement les ressources halieutiques, en particulier les céphalopodes et les petits pélagiques.
La nouvelle architecture de la Zone Franche encourage ainsi l’installation d’industries de transformation capables de produire des filets, du surgelé à haute valeur ajoutée, des conserves et des produits semi-préparés destinés directement aux marchés internationaux.
Les céphalopodes, dont l’octopus mauritanien très prisé sur les marchés européens et asiatiques, représentent un segment à forte valeur et à forte demande, nécessitant des capacités de traitement modernes et des standards de qualité rigoureux.
Parallèlement, le développement d’unités spécialisées dans les petits pélagiques — farine, huile, filetage, congélation, et surtout boîtes de conserve — ouvre la voie à une véritable industrialisation du secteur, permettant de toucher les consommateurs finaux et d’accéder à des marchés plus diversifiés.
En orientant la Zone Franche vers ce modèle de transformation, la Mauritanie renforce sa souveraineté économique, crée des emplois qualifiés et positionne le label “Made in Mauritania” sur les marchés internationaux à travers des produits halieutiques à forte valeur ajoutée.
Le capital humain : la clé de la compétitivité nationale
Dans un contexte de transformation économique accélérée, la formation technique et professionnelle devient un pilier indispensable pour répondre aux attentes des investisseurs et accompagner l’essor industriel de la Zone Franche. Le développement d’un tissu industriel moderne exige des techniciens, ingénieurs, opérateurs qualifiés et spécialistes capables d’assurer la performance des unités de production, de la logistique, de la maintenance, de l’énergie ou encore de la transformation halieutique et minière.
C’est dans cette logique que s’inscrit le renforcement des dispositifs de formation, qu’il s’agisse des centres techniques existants, des programmes de spécialisation, ou encore de l’Université de Nouadhibou, désormais opérationnelle et appelée à jouer un rôle d’appui académique et scientifique. L’enjeu est clair : doter la région et le pays d’une main-d’œuvre compétente, immédiatement mobilisable et adaptée aux standards internationaux.
La montée en compétences de la jeunesse devient ainsi un levier stratégique d’autonomisation. Elle permet non seulement de répondre aux besoins croissants des entreprises, mais également de créer des perspectives professionnelles solides, de valoriser le potentiel national et d’assurer une insertion active des jeunes dans les chaînes de valeur industrielles.
Cette dynamique rejoint la vision du Président de la République, qui fait de l’autonomisation de la jeunesse et du développement du capital humain des priorités nationales : offrir aux jeunes Mauritaniens les outils, les savoir-faire et les opportunités nécessaires pour construire la Mauritanie de demain.
Un port en eaux profondes, colonne vertébrale de l’avenir
Le projet de port en eaux profondes de Nouadhibou occupe une place stratégique dans la vision de développement de la Zone Franche. En complément des infrastructures routières et logistiques en amélioration — notamment les routes bitumées et les aménagements internes — ce port constitue un élément essentiel pour renforcer l’intégration de la Mauritanie dans les circuits du commerce international.
Une telle infrastructure permettrait d’accueillir des navires de grande capacité, de réduire les coûts logistiques et d’améliorer l’attractivité du pays auprès des investisseurs industriels, miniers et halieutiques. Au-delà de l’exportation rapide des produits, un port en eaux profondes offrirait un soutien direct aux industries installées dans la Zone Franche, en facilitant l’accès aux marchés mondiaux, en fluidifiant les opérations logistiques et en rapprochant Nouadhibou des standards internationaux en matière d’infrastructures portuaires.
Il s’agit donc d’un projet structurant, capable de consolider le positionnement de Nouadhibou comme plateforme logistique et industrielle majeure pour la Mauritanie.
Énergie et industrialisation : une équation gagnante et un catalyseur stratégique
La région de Nouadhibou se positionne désormais comme un futur pôle énergétique de premier plan, grâce à la combinaison unique de ressources fossiles et renouvelables. Le gaz naturel du projet GTA constitue la base d’une production énergétique compétitive et fiable, avec indispensable pour soutenir les industries locales, mais c’est l’intégration des énergies renouvelables (solaire et éolienne) qui ouvre une perspective stratégique sur le long terme.
L’hydrogène vert, rendu possible par le potentiel éolien et solaire exceptionnel de la région, n’est pas seulement une innovation technologique : il s’agit d’un vecteur de souveraineté énergétique et industrielle. Son développement pourrait positionner la Mauritanie comme exportateur régional d’énergie propre et comme acteur clé dans les chaînes de valeur mondiales de l’énergie décarbonée.
Une énergie abondante et compétitive est un facteur décisif pour :
· La transformation halieutique à grande échelle, en garantissant des systèmes de réfrigération fiables et peu coûteux,
· Le fonctionnement optimal des cimenteries et unités minières locales, notamment pour la production de clinker et autres intrants industriels,
· L’implantation de projets à forte intensité énergétique dans la Zone Franche, incluant la métallurgie, la chimie industrielle et la production de matériaux de construction avancés,
· La logistique et le transport ferroviaire et portuaire, pour réduire les coûts opérationnels des entreprises industrielles et halieutiques.
Le développement énergétique de Nouadhibou s’inscrit également dans une logique de transition énergétique nationale. En favorisant le mix gaz-renouvelables, le pays réduit sa dépendance aux importations d’énergie fossile et stabilise ses coûts, tout en respectant les engagements internationaux en matière de réduction des émissions de carbone.
Enfin, l’interconnexion entre énergie et formation est un levier essentiel. L’Université de Nouadhibou jouera un rôle central dans la formation de techniciens et ingénieurs spécialisés en production, stockage et distribution d’énergie, ainsi que dans la recherche sur l’hydrogène vert, les réseaux intelligents et l’efficacité énergétique. Cette synergie assure non seulement la compétitivité industrielle mais aussi la création d’emplois qualifiés et durables dans la région.
Ainsi, Nouadhibou se profile comme un modèle intégré où énergie, industrialisation et formation se conjuguent pour faire émerger une économie régionale moderne, compétitive et souveraine.
Boulenoir et le clinker : un enjeu de souveraineté économique
Le gisement de calcaire de Boulenoir constitue l’une des richesses stratégiques les plus importantes du pays.
Pourtant, la Mauritanie continue d’importer la quasi-totalité du clinker utilisé par ses cimenteries. Cette dépendance représente une facture d’importation lourde, fragilisant la balance commerciale et exposant le marché intérieur aux variations prix du marché international.
L’installation d’une usine de production de clinker dans la Zone Franche, alimentée par le gisement de Boulenoir et la future disponibilité énergétique compétitive (gaz GTA, renouvelables), changerait radicalement la donne.
Elle permettrait au pays :
· D’assurer sa souveraineté sur un produit stratégique,
· De stabiliser les prix du ciment,
· De soutenir les chantiers nationaux,
· De réduire massivement les importations,
· Et même de devenir exportateur régional, grâce au futur port en eaux profondes.
Ce projet répond à une logique économique et géopolitique : la maîtrise du clinker conditionne le développement des infrastructures nationales.
SNIM 2024–2031 : un plan ambitieux en synergie avec Nouadhibou
Le plan stratégique de la SNIM pour la période 2024–2031 prévoit une augmentation de la production jusqu’à 45 millions de tonnes par an, appuyée par une modernisation technologique, une digitalisation avancée, un renforcement ferroviaire et portuaire, ainsi qu’un vaste programme de formation continue.
La Zone Franche de Nouadhibou sera l’un des pivots logistiques naturels de cet essor.
La synergie SNIM – Zone Franche – Port en eaux profondes représente l’une des nouvelles forces structurantes de l’économie mauritanienne.
L’appui des bailleurs de fonds : un rôle essentiel dans cette transformation
La Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement ont joué un rôle majeur dans la refonte de la Zone Franche. Leur soutien technique, financier et institutionnel a permis la modernisation des processus, l’amélioration de la gouvernance, la structuration des réformes fiscales et l’adoption de standards internationaux. Cette convergence entre l’ambition présidentielle, l’action gouvernementale et l’expertise internationale consolide la crédibilité de la Zone Franche auprès des investisseurs globaux.
Conclusion : Les recommandations stratégiques indispensables au succès de la réforme
Pour que la Zone Franche devienne pleinement le moteur industriel de la Mauritanie, plusieurs axes doivent être consolidés.
La première recommandation consiste à renforcer la montée en compétence via l’Université de Nouadhibou. Son succès déterminera entièrement la capacité du pays à produire une main-d’œuvre adaptée aux nouvelles chaînes de valeur. Sans capital humain qualifié, aucun projet industriel ne pourra atteindre son potentiel.
La seconde priorité est l’accélération du port en eaux profondes. Cette infrastructure jouera le rôle de cœur logistique de la nouvelle économie mauritanienne. La rapidité de sa mise en œuvre conditionnera la compétitivité des exportations minières, halieutiques et industrielles.
La troisième recommandation porte sur la production locale de clinker. Elle représente un levier de souveraineté économique qui réduira la dépendance extérieure, stabilisera les coûts et renforcera les secteurs industriels utilisateurs de ciment.
Un autre axe consiste à consolider les synergies entre la SNIM, la Zone Franche et les infrastructures énergétiques émergentes. Cette coordination permettra d’optimiser les chaînes logistiques et d’attirer des entreprises globales à forte intensité capitalistique.
Enfin, il est crucial de poursuivre l’intégration des bailleurs de fonds dans le suivi de la réforme. Leur expertise et leur crédibilité internationale renforcent la confiance des investisseurs et consolident la stabilité du cadre réglementaire.
Avec ces leviers, la Zone Franche peut devenir l’épicentre d’une Mauritanie nouvelle : plus compétitive, plus souveraine, plus jeune, et pleinement engagée dans la transformation industrielle régionale.
Par Ridha Bouh
Spécialiste en Politiques de Développement