Cridem

Lancer l'impression
30-12-2025

17:51

La révolution et ses enfants sacrifiés : une méditation mauritanienne

SHEMS MAARIF - L’histoire politique est traversée par une ironie cruelle : les révolutions, nées de la révolte contre l’injustice, finissent souvent par se retourner contre leurs propres artisans. « La révolution mange ses fils », dit l’adage, comme un avertissement gravé dans la mémoire des peuples. En Mauritanie, cette formule résonne moins comme une métaphore étrangère que comme une réalité familière.

Le changement, chez nous, a rarement été le fruit d’une maturation collective paisible. Il s’est imposé par ruptures successives, portées par des promesses de renouveau et des discours de salut national.

À chaque tournant, des femmes et des hommes ont cru possible l’avènement d’un ordre plus juste, affranchi des pesanteurs du passé. Ils ont parlé quand il fallait se taire, espéré quand il était plus sûr de douter. Mais l’histoire, implacable, leur a souvent réservé un sort ingrat.

Car une fois la rupture consommée, le pouvoir nouveau se montre prompt à oublier ses hérauts. Ceux qui incarnaient l’audace deviennent des consciences encombrantes. Le révolutionnaire, utile dans la contestation, se mue en gêneur dès que l’ordre s’installe. Alors commence une dévoration silencieuse : mise à l’écart, discrédit, marginalisation. La révolution ne frappe pas toujours par la violence ; elle use, elle efface, elle condamne à l’ombre.

En Mauritanie, ce phénomène touche particulièrement la jeunesse engagée et les militants de principe. Leur ferveur alimente l’espoir collectif, mais elle se heurte rapidement aux calculs du pouvoir et à la permanence des vieilles pratiques. L’élan est récupéré, vidé de sa substance, tandis que les idéaux sont relégués au rang de slogans commémoratifs. Ainsi, la révolution survit dans les discours, mais renie ses valeurs dans les faits.

Plus grave encore, la révolution mange ses fils lorsqu’elle reproduit ce qu’elle prétendait abolir. Les structures de domination changent de visage sans changer de nature. L’exclusion persiste, les injustices se recomposent, et les promesses de refondation se dissolvent dans la continuité. Ceux qui dénonçaient hier se retrouvent prisonniers d’un silence contraint, témoins amers d’une histoire qui bégaie.

Dans un pays marqué par des fractures profondes et une quête inachevée d’équité, cette mécanique est lourde de conséquences. Elle instille le doute, nourrit le cynisme et érode la confiance collective. À force de voir les espoirs trahis, le peuple apprend à ne plus croire, et l’idée même de changement perd sa force mobilisatrice.

Pourtant, reconnaître ce tragique paradoxe ne doit pas conduire au renoncement. Au contraire, il impose une exigence : celle d’un changement qui ne sacrifie pas ses porteurs, d’une transformation qui s’inscrit dans des institutions durables et une éthique politique sincère. Une révolution digne de ce nom ne craint pas la critique ; elle la protège.

La Mauritanie n’a pas besoin de révolutions qui dévorent, mais de ruptures qui construisent. Car une révolution qui se nourrit de ses propres enfants finit toujours par mourir de sa propre amnésie, laissant derrière elle un peuple plus désabusé encore que la veille.

Yedaly Fall





Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


 


Toute reprise d'article ou extrait d'article devra inclure une référence www.cridem.org