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24-10-2025

16:45

La saga du rapport de la Cour des comptes : entre vérité, diversion et sacrifice / Par Mohamed Fall Sidatt

La publication, presque accidentelle, du dernier rapport de la Cour des comptes a provoqué une onde de choc à travers le pays. Véritable séisme administratif, elle a mis à nu les failles d’un système rongé par la complaisance et les arrangements.

Mais le sursaut de transparence n’aura été que de courte durée. Très vite, une machine bien huilée s’est activée pour étouffer l’affaire et détourner l’attention, orchestrant une symphonie du déni révélatrice de l’état de notre gouvernance.

Dès le lendemain, le président de la Cour des comptes lui-même s’est empressé d’atténuer la portée des faits. Exit les détournements : place aux « fautes légères de gestion », comme s’il ne s’agissait que d’erreurs de procédure ou de paperasses mal remplies.

Le jour suivant, le ministre de la Culture, porte-parole du gouvernement, enfonçait le clou lors de sa conférence de presse hebdomadaire, affirmant qu’« il n’y a pas eu de détournements » et que « les montants évoqués sont largement exagérés ».

La stratégie est limpide : noyer le poisson des vérités dérangeantes dans un brouillard sémantique. Le message est clair : circulez, il n’y a rien à voir.

Cette tentative de diversion renvoie à une vérité vieille comme la République elle-même. Le président Moktar Ould Daddah, dans un de ses discours, avait un jour déclaré que le pouvoir devait passer à la jeune génération. Interpellé plus tard par des citoyens tristes de le voir partir, il répondit avec un sourire : « La présidence a un goût particulier. »

Eh bien, le détournement, lui aussi, semble avoir un goût particulier. Et le président Ghazouani le sait sans doute mieux que quiconque. Autour de lui, les signes d’une jouissance tranquille du privilège d’État s’accumulent : ministres enrichis, dignitaires recyclés, fortunes soudaines et inexplicables.

Son ministre des Affaires étrangères se trouve aujourd’hui exposé dans une affaire rocambolesque impliquant un général à la retraite devenu homme d’affaires prospère. Son ministre de l’Intérieur – ami de longue date et fidèle compagnon de route – est désormais à la tête de deux banques, tout en contrôlant des entreprises florissantes dans la pêche et les mines.

Pendant ce temps, d’autres, bien moins puissants, se retrouvent cloués au pilori.

Les personnes citées dans le rapport apparaissent de plus en plus clairement comme des boucs émissaires, sacrifiés pour calmer une opinion publique fatiguée des scandales à répétition. Ce qui se joue ici relève moins d’un sursaut éthique que d’une mise en scène : éliminer quelques figures secondaires pour protéger le cœur du système.

Prenons quelques exemples.

Madame Halima Bah, femme d’une intégrité reconnue, a quitté le confort de sa vie au Canada pour venir servir son pays. Son seul tort : avoir cru à la sincérité d’un gouvernement qui ne tolère pas la droiture.

Le ministre Moctar Ould Yeddali, fort d’une longue carrière internationale à Washington et Addis-Abeba, n’a jamais eu le profil du politicien affairiste. Son ambition a toujours été professionnelle, non patrimoniale.

Et que dire de cet autre responsable, contraint de s’excuser publiquement pour une « affaire » dérisoire de climatiseurs usagés ? Le ridicule, décidément, ne tue plus.

Enfin, comment ne pas évoquer le jeune Mohidine, esprit brillant et travailleur rigoureux, injustement éclaboussé, ou encore le technicien de Mauritania Airways, à qui l’on avait confié la mission impossible de sauver l’impossible avant de le livrer en pâture à la vindicte ?

Ce ne sont pas des coupables : ce sont les symboles d’un système qui broie les compétences pour protéger les complicités.

À ceux dont le nom figure dans cette fameuse liste, qu’ils sachent ceci : le premier à vous avoir innocentés, c’est celui-là même qui vous accuse.

Votre mise en cause n’est pas une honte — elle est un hommage involontaire à votre droiture dans un environnement où la vertu dérange.

Ne baissez pas la tête. L’heure n’est pas à la résignation, mais à la mobilisation.

Prenez exemple sur les anciens sénateurs : organisez-vous, réclamez la vérité, exigez des procédures justes et transparentes. Ce rapport, qu’on voudrait banaliser, doit devenir le point de départ d’un sursaut national pour la justice et la responsabilité publique.

En fin, monsieur le Président, un vieux proverbe dit : « Charité bien ordonnée commence par soi-même. »

Balayez donc devant votre propre porte avant de chercher des coupables ailleurs. La crédibilité de votre action et l’avenir de la nation en dépendent.

Le peuple mauritanien observe, silencieux mais lucide. Il attend non des discours, mais des actes. Et dans cette attente, une certitude demeure : la vérité finit toujours par triompher, même quand on croit l’avoir enterrée.





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