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L'État et ses fonctionnaires face à l'emprise des appartenances traditionnelles : regard furtif sur la légalité de l'instruction du 22 novembre du Premier ministre
L’instruction émise ce 22 novembre 2025 par le Premier Ministre, interdisant aux agents de la fonction publique toute participation à des activités de caractère tribal, régionaliste ou communautaire, s'explique largement par la tendance de plus en plus marquée de tribalisation, communautarisation et régionalisation de l'espace public à laquelle on assiste depuis ces dernières années.
La République comme chose publique et bien commun est outrageusement défiée par des pratiques et des discours qui alimentent directement l'exclusion, la discrimination et les divisions. Cette situation devenue insupportable pour la plupart des mauritaniens a été à l'ordre du jour des interventions du Président de la République lors de son dernier voyage dans l'est du pays.
Largement relayées dans les réseaux sociaux ces interventions ont eu un succès certains dans une opinion peu habituée à un tel engagement offensif et "militant" d'un Chef de l'Etat réputé plutôt distant ou réservé sur la scène publique.
L'instruction du Premier Ministre est donc censée marquer la première traduction concrête de la détermination de M. Ghazouani de mettre un frein à la dérive particulariste qui se déployait jusqu'ici quasiment sans frein, en dehors de proclamations officielles aussi généreuses que velleitaires.Du moins on peut l'espérer et, dans ce cas, l'instruction pourrait marquer une étape importante dans la consolidation de l’État de droit en Mauritanie.
Mais si cette mesure répond à un impératif constitutionnel de neutralité des agents publics, elle suscite néanmoins une interrogation légitime sur l’équilibre entre les obligations statutaires et déontologiques du fonctionnaire et ses libertés de citoyen.
Pour apprécier la validité juridique de ce texte, il est indispensable de lever les équivoques : l'instruction ne vise pas à nier la structure sociale du pays, mais à tracer une frontière étanche entre l'influence traditionnelle et l'action administrative.
I. Une distinction fondamentale : Les appartenances légitimes contre la dérive comportementale individuelle et collective.
Il convient de dissiper un grand malentendu : cette instruction n'est en aucun cas, une remise en cause de l'existence des communautés traditionnnelles ou de l'organisation territoriale de la République. Ces groupements socio-traditionnels et ces collectivités territoriales modernes existent.
D'une part, la Région demeure une collectivité territoriale de droit public, consacrée par la Constitution et les lois de décentralisation. L'instruction combat le « régionalisme » — entendu comme une idéologie de repli ou de favoritisme local — et non la région en tant qu'entité administrative ou géographique.
D'autre part, l'État ne nie pas la réalité sociologique des structures traditionnelles. Les « Émirats » dans la sphère arabe, les « Provinces » coutumières ou les chefferies dans les communautés négro-africaines, bien que non insérées dans la hiérarchie administrative formelle, bénéficient d'une reconnaissance officieuse et jouent un rôle historique de régulation sociale.
La validité juridique de l'instruction repose sur ce postulat : le fonctionnaire a le droit d'appartenir à ces structures (fait social), mais il a l'interdiction absolue d'importer leurs logiques au sein de l'État ou d'utiliser sa fonction pour les servir (faute disciplinaire).
II. Comment identifier la faute administrative? La méthode du faisceau d'indices
La difficulté d'application de la différenciation réside dans la porosité entre le social et le politique. Pour éviter l'arbitraire et la censure de la Cour Suprême, l'autorité administrative ne doit pas sanctionner la simple présence et même la prise de parole, mais qualifier la faute à travers un faisceau d'indices précis distinguant la sphère privée (protégée) de la sphère publique (régulée).
Quatre critères cumulatifs permettent d'établir cette distinction :
1. Le degré de Publicité : Du huis clos à la médiatisation
Le critère de la visibilité est déterminant. Une activité relève de la sphère privée lorsqu'elle se tient dans un cercle restreint, à l'abri des regards extérieurs et sans accès du grand public. La participation discrète à une réunion tribale, familiale ou communautaire à huis clos ne saurait constituer une faute.
À l'inverse, l'événement bascule dans la sphère publique dès lors qu'il est médiatisé (presse, réseaux sociaux, communiqués) et ouvert à tous. La présence affichée d'un haut fonctionnaire devient alors un acte de communication politique qui engage l'image de l'État et viole le devoir de réserve.
2. La nature de la Parole : Du silence au discours militant
L'attitude de l'agent est le second filtre. Le fonctionnaire qui assiste à une assemblée coutumière en gardant le silence, ou qui ne s'exprime que sur des sujets strictement familiaux, exerce sa liberté individuelle fondamentale.
La ligne rouge est franchie lorsque l'agent s'empare de la tribune pour haranguer la foule ou tenir un discours politique. En utilisant la structure traditionnelle comme levier de revendication ou de mobilisation, il quitte son habit de citoyen pour celui de militant, ce qui est incompatible avec la neutralité du service public qu'il personnifie.
3. La Scénographie et l'usage des Titres
La faute administrative se matérialise souvent par l'instrumentalisation des symboles. Dans la sphère privée autorisée, l'agent apparaît intuitu personae (en son nom propre), souvent en tenue civile traditionnelle.
Dans la sphère interdite, il se fait prévaloir de sa qualité officielle (« Monsieur le Directeur... », « Monsieur le Conseiller... ») ou utilise les moyens de l'État (véhicules de service, gardes du corps) lors de ces rassemblements. C'est cette confusion des genres qui constitue l'infraction administrative majeure.
4. L'Objet de la réunion : Lien social contre Lobbyisme
Enfin, la finalité de l'activité permet de trancher. Les réunions ayant pour objet le maintien du lien social et la solidarité (mariages, funérailles, rites coutumiers, réconciliations intra-communautaires, aide sociale...) sont sanctuarisées au nom du respect de la vie privée.
À l'opposé, les réunions dont l'objet est le lobbying politique (pétitions pour le pouvoir ou l'opposition, désignation de candidats aux élections, rédaction de manifestes, pression pour des nominations) tombent sous le coup de l'interdiction formelle.
Conclusion
L'instruction du 22 novembre 2025 est juridiquement valide car elle ne vise pas à « détribaliser » l'homme, mais à neutraliser le fonctionnaire. En protégeant l'administration des ingérences communautaires sans violer l'intimité sociale des agents, elle réaffirme le principe constitutionnel d'une République indivisible, au service de tous les citoyens, sans distinction d'origine ou d'appartenance.
GOURMO LÔ, 22 novembre 2025