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Le passif humanitaire, selon le capitaine Ely Ould Krombolé
J’ai lu avec intérêt l’article du capitaine Ely Ould Sid’Ahmed Krombolé paru dans Cridem.org le 22-12-2025 à 09:13, intitulé « Justement le passif humanitaire, parlons-en ». Le capitaine nous a parlé de géographie. Il nous a rappelé que la Mauritanie est limitée au Sud par le Sénégal dont les ressortissants du fleuve sont des Poulo-Toucouleurs comme ceux de la rive droite.
Le capitaine a aussi parlé d’histoire ; celle qui veut que ces Poulo-Toucouleurs aient comme parrain le Sénégal. Alhamdoulillah, le capitaine semble ne pas faire partie des « grands historiens mauritaniens » qui estiment que les « Poulo-Toucouleurs » sont les descendants de tirailleurs sénégalais.
Certains de ces « grands historiens », après bien entendu des recherches assez poussées, ont même découvert que les Poulo-Toucouleurs de Mauritanie n’auraient habité ce pays que très récemment car à la place des tirailleurs, ils descendent des… footballeurs sénégalais.
Sans quand même préciser, Allah soit loué, lesquels de ces Poulo-Toucouleurs sont les fils des anciennes gloires sénégalaises : Bocandé, Thierno Youm ou El Hadj Diouf… Avec l’histoire, sous nos contrées, tout est possible !! Surtout si celle-ci est façonnée à la hache et au rabot et qu’elle est maniée par des orfèvres qui font remonter leurs ancêtres de l’Orient alors qu’il semble plus probable qu’ils descendent de la « kiddiya » (colline) d’à-côté… Mais revenons à nos moutons – que dis-je, à notre passif humanitaire.
Mon capitaine, le passif humanitaire est la somme des exactions, des crimes et des assassinats commis à l’égard des negro-mauritaniens et, à ce que nous sachions, il n’existe qu’un seul passif humanitaire dans ce pays. Qu’il s’agisse des victimes, des instances internationales, des ONG des droits de l’homme étrangères ou locales, et même l’Etat mauritanien dans ses réponses au Haut-commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme – tous s’accordent au moins sur la période 1986-1991 comme étant celle concernée par le passif humanitaire.
Vouloir donc réduire ce passif uniquement aux sanglantes purges de 1990-1991 au sein de l’armée serait un raccourci saisissant ; tout comme il serait particulièrement incongru de vouloir limiter les crimes de l’époque au seul chef d’Etat et le chef d’Etat-major de l’armée en ce temps-là car, sans vouloir – comme vous vous interrogez – « étendre une faute commise par un berger, à son épouse la bergère », un assassin répond seul pénalement de son forfait. Ici ou dans l’au-delà. Sur ce point, nul n’a besoin des lumières d’un juriste, fut-il quelqu’un qui a décroché son diplôme en levant le coude sur le comptoir d’un bar.
Mon capitaine, le passif humanitaire est un problème particulièrement sérieux pour qu’il soit abordé sous des angles peu droits. Il s’agit d’un dossier, pour vous, qui émane d’une raison d’Etat et dont les causes principales sont l’histoire, la géographie, les relations heurtées avec le voisin du Sud, le « système poulo-toucouleur »…
A ces causes, vous ajoutez ceux qui « ont fui vers le Sénégal constituant ainsi le bras armé des Flam, et ont retourné leurs fusils contre leur propre pays, la Mauritanie ».
Mon capitaine, l’Etat, s’il doit faire face à ceux qui « ont retourné leurs fusils contre leur propre pays », doit-il déporter ses propres enfants dans un pays voisin ? Doit-il dépeupler des régions en chassant ses habitants ou installer une soldatesque qui se livre au meurtre et aux pires exactions que la bonne morale réprouve ? Non, mon capitaine, aucune raison d’Etat ne peut justifier une telle ignominie, ni cacher celle-ci sous les oripeaux du mensonge et de la dénégation. Exercice dans lequel les suppôts du déni ont excellé jusque-là ; suppôts qui s’évertuent à enterrer la vérité comme on enfouit les cadavres dans des fosses communes…
Puisque tout le monde est d’avis qu’il faut trouver une solution au passif humanitaire, autant il ne faut le simplifier au risque de le rendre « simplet », autant il faut se garder de le complexifier pour ne pas le rendre insoluble. Et surtout éviter de heurter l’honneur des victimes en parlant « d’indemnités colossales » ou de « beurre et l’argent du beurre », comme si on pouvait solder la dignité de ces victimes à l’encan. Si tel était le cas, croyez-moi, une commission n’aurait pas fait presque 4 ans à discuter avant de s’entendre car ici, dans un pays où marchander est le métier de tous, les protagonistes passeraient pour des dupes ou pour des oies.
La Mauritanie a besoin de vaincre ses démons. La Mauritanie a besoin d’unité. Aujourd’hui que les mots « dialogue » et « citoyenneté » sont sur toutes les lèvres, ceux qui savent parler doivent le faire pour passer le message et ceux qui savent écrire doivent bien nommer les choses et non retourner le couteau dans la plaie.
Sur ce point, mon capitaine, quand on est quelqu’un qui fait l’opinion et éclaire la religion du public, on ne doit verser dans l’amalgame, encore moins se complaire dans l’oxymore. L’idée répandue que les négro-africains détestent l’arabe n’est qu’un justificatif de la propension de certains à gommer la diversité mauritanienne et la réduire en une uniformité factice que l’on nommera « identité nationale ».
A ce que je sache, les Poulo-Toucouleurs, pour reprendre ce nouveau et tout beau concept que vous venez de créer, ne sauraient être les adversaires de la langue du Coran, eux dont les ancêtres – à l’image du prince Laba (ou Lebi) fils du souverain War Diabi du Manna – ont combattu avec les Almoravides en Espagne à la bataille de Zellaqa ; eux qui descendent de valeureux propagateurs de l’Islam, tels que Malick Sy le Grand, contemporain de Nasr Eddine al-Deymani, Souleymane Ball (qui « a cassé le moudo horma »), El Hadj Oumar Tall ou encore Ousmane Dan Fodio… Non, mon capitaine !
Ce que les Poulo-Toucouleurs détestent c’est cet « arabisme » que certains, à coups de marteau, ont voulu imposer à tous au point de transformer la langue arabe, non pas en outil d’acquisition de connaissances, de savoir, mais en un instrument de discrimination et de minorisation des autres. S’il faut donc regarder du côté de « celui qui est au Qatar », il sied tout autant de montrer du doigt Aflaq, Bitar et El-Arouzi…
Mon capitaine, l’idée propagée par certains qu’il faut mettre fin à l’influence, au suprémacisme du Sénégal qui ferait de notre pays « son arrière-cour » ou que « certains militaires, tous grades confondus, imbus de leur chauvinisme, ont été poussés à la faute morale », n’est qu’un argument-massue et un savant amalgame : ceux qui étaient aux manettes avaient déjà préparé « les choses », bien avant les évènements Mauritanie-Sénégal de 1989.
De grâce, mon capitaine, la gravité de ce qui s’est passé ne devrait pousser à chercher des excuses aux auteurs ; ce ne serait que faux-fuyants et formules alambiquées. Il faut appeler le chat par son nom. Soignons donc la plaie au lieu de manier le couteau.
A ceux qui, pour une raison ou pour une autre, cultivent autre chose que la paix et l’entente, embouchant la trompette de la discorde, je dis « Vade retro Santanas !! » (« Laa hawla wa laa quwwata illaa billaahi »).
Rachid LY