Ciré KANE, le confident et bras droit de Ibrahima Moctar SARR, est un homme au parcours atypique. Après 17 ans passés en France, il lâche tout pour revenir en Mauritanie après le coup d’Etat du 3 août 2005 qu’il voyait comme une réelle opportunité pour instaurer une vraie démocratie si les militaires respectent leurs engagements.

Malgré sa déception par les timides réformes constitutionnelles du CMJD, il consacre toute son énergie pour la victoire de Messoud Ould Boulkheir à la présidentielle de 2007. Cet homme, il le porte dans son cœur depuis le retour au pluralisme en 1991.

Au second tour, il est l’un des rares cadres APP à prôner l’abstention car estimant que les deux candidats en lice, tous anciens ministres de Mokhtar ould Daddah, ne peuvent insuffler un changement véritable. Quand l’APP soutient la candidature de Sidi, il décide de claquer la porte, sans faire trop de bruit.

Gardant un profond respect pour Messoud Ould Boulkheir qu’il qualifie d’opposant le plus farouche à Taya, il ne désespère pas de voir un jour les deux vieux amis et anciens députés d’AC- parti dissout pour avoir osé parler du passif humanitaire et de l’esclavage à l’assemblée nationale - se réconcilier et parler d’une même voix. A deux jours du grand meeting de l’Alliance pour la Justice et la Démocratie/Mouvement pour la rénovation (AJD/MR) prévu pour le samedi 31 janvier au stade de la Sebkha, l’homme a bien voulu répondre aux questions de Biladi.

Biladi : L’AJD/MR réclame une révision du mode électoral existant dans notre pays, qui selon lui, est défavorable au partage du pouvoir entre les différentes communautés mauritaniennes. Avez-vous obtenu gain de cause sur ce point ?

Ciré Kane: D’abord merci de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer dans vos colonnes au moment où le pays vit une situation inédite, qui exige une grande responsabilité de la part des politiques pour servir au mieux les intérêts de la nation. Pour être précis, l’AJD/MR a demandé un redécoupage électoral avant les prochaines élections législatives. Il est donc trop tôt pour crier victoire.

Savez-vous que nous fonctionnons toujours sur la base des circonscriptions dessinées par Gabriel Cymper en 1989, inutile de vous rappeler le contexte et l’esprit dans lequel ce travail a été fait. Les négro-mauritaniens sont sous représentés à l’assemblée nationale. Je vais vous donner un exemple édifiant : Sélibaby, dans le Guidimakha, n’a eu droit qu’à trois députés pour 41134 inscrits. La ville de Bir Moghrein, dans le Tiris Zemour, à droit à un député pour seulement 1473 inscrits.

Pour plus d’équité, il faudrait tenir compte du poids démographique à l’échelle des régions, départements et communes. On peut dépasser cette injustice si on se mettait d’accord par exemple sur le nombre d’habitants représentés par un siège à l’assemblée. Le nombre d’habitants dans la région la moins peuplée de Mauritanie pourrait être retenu comme plancher minimum. C’est une proposition.

Le partage du pouvoir politique que vous évoquez va au-delà des élections législatives. Toutes les communautés doivent être présentes dans l’administration et à tous les niveaux, du Ministre au planton. On remarque que certaines catégories sont en surnombre dans les postes sans qualification. Mais à partir du chef de service, elles se raréfient. Le partage du pouvoir exige aussi d’offrir en amont les mêmes chances à tout le monde d’avoir une bonne formation. L’AJD/MR est pour la création d’un poste de Vice Présidence de la République.

Biladi : Selon une information publiée sur le site d’informations Alakhbar, Sarr Ibrahim Moctar est candidat à la présidentielle de juin. Vous confirmez?

Ciré Kane: Nous sommes nombreux au Bureau Politique qui souhaitions sa candidature mais cela doit être soumis au Conseil National. Ibrahima Moctar SARR a montré en tant que chef de parti son habileté politique et de réelles capacités de gestion de changements soudains et imprévus, avec un regard scrutant des horizons lointains. N’est-ce pas lui qui disait en avril 2006 que si les militaires – CMJD - rendaient le pouvoir à un civil sans régler les dossiers majeurs (cohabitation, esclavage,…), que ce dernier serait dans l’incapacité de gouverner le pays. Cette prophétie s’est réalisée.

Espérons qu’une autre prophétie dite par Martin Luther King se réalise en Mauritanie. Un président noir, c’est possible au pays des mille et un poètes. Et la force de Ibrahima SARR, c’est son discours rassembleur. Nous enregistrons de fortes demandes d’adhésion de l’élément maure, malgré la tentative de certains courants racistes de nous diaboliser.
Ibrahima SARR sera candidat si les militants de l’AJD/MR le veulent. C’est bien eux qui lui ont demandé de constituer un parti pour prolonger la belle idylle de mars 2007, alors nous reviendrons toujours vers eux pour recueillir leurs avis. Cela s’appelle la démocratie.

Biladi : L’AJD/MR pense que les militaires doivent rentrer aux casernes, est-ce à dire que vous ne participeriez pas à la présidentielle programmée pour juin, au cas où le général Aziz se porterait candidat à cette joute électorale?

Ciré Kane: Dans son mémorandum présenté pendant les Etats Généraux de la démocratie, l’AJD/MR dit que tout citoyen éligible selon les lois actuellement en vigueur doit pouvoir se présenter. La candidature d’un militaire ne nous gêne pas, dès lors que le scrutin est transparent, que les moyens de l’Etat ne sont pas utilisés au profit d’un candidat et qu’on garantit l’égalité des chances à tous les postulants au fauteuil présidentiel.

Biladi : Candidat de dernière minute à l’élection présidentielle de mars 2007, l’AJD/MR était tout de même parvenu à récolter environ 8% des suffrages exprimés au premier, mais aujourd’hui des responsables politiques et des militants ont quitté le parti, n’avez-vous pas l’impression que vous avez dilapidé votre capital de sympathie en prenant «acte du coup d’État » du 6 aout dernier ?

Ciré Kane: Vous savez, ce regard qui scrute des horizons lointains dont je parlai plus haut, c’est lui qui nous a dicté notre position sur le coup d’Etat du 6 août. Il aurait été plus confortable pour nous de suivre les réactions de la communauté internationale pour un retour à la légalité constitutionnelle.
La plupart des membres du Bureau Politique ont fait campagne pour le NON au referendum sur la constitution qui consacre l’arabe comme seule langue officielle de la Mauritanie. Et vous voulez qu’on se batte pour l’application stricte de cette constitution qui nie l’existence d’une bonne partie des citoyens de ce pays ? Soyons cohérents.

Tant que la question nationale ne sera pas réglée, on tournera en rond. Condamner ou pas un coup d’Etat ne changera rien à cette réalité têtue. La classe politique guinéenne a pris acte du coup d’Etat. Et pourtant, le Professeur Alpha Kondé, est un grand homme politique.
On me dira que Lansana Konté n’avait pas été élu démocratiquement. Jamais une élection libre et transparente n’a prémuni contre un coup de fusil. Les nations africaines sont encore très jeunes, on ne peut pas rivaliser avec les vieilles démocraties occidentales, il faudrait d’abord qu’on trouve les modèles adaptées au socle africain. Personnellement, je ne crois qu’il soit possible d’avoir les mêmes normes démocratiques sous tous les cieux.

Vous dites que des responsables politiques ont quitté le parti, permettez-moi de rectifier. Ce sont huit membres du Bureau Politique sur trente sept qui ont été exclus par notre Conseil National pour atteinte grave aux intérêts du parti. Depuis, notre parti a repris un fonctionnement normal, grâce à la volonté des militants. J’en profite pour adresser mes félicitations au Mouvement des Jeunes, véritable poumon de l’AJD.MR.

Notre objectif est de rassembler tout le monde derrière l’AJD/MR et Ibrahima SARR, les brebis égarées qui reconnaîtront leurs fautes seront accueillies à bras ouverts. L’erreur est humaine. Nous militons pour l’Unité Nationale, ce combat commence par le resserrement de nos propres rangs. Il n’y a pas de place à la division, aux querelles personnelles ou toute autre dispersion qui nous dévierait des objectifs du parti. Il faut être pyromane pour dilapider son «capital sympathie» comme vous dites.

Biladi : Vous organisez un meeting, le samedi 31 janvier, à Sebkha votre fief, est-ce là un signe que vous allez annoncer une grande nouvelle, et si tel est le cas quelle est cette nouvelle ?

Ciré Kane: Le fief de l’AJD/MR c’est Sebkha, mais c’est aussi El Mina, Dar Naim, Ryad…Partout où il est difficile de joindre les deux bouts, d’éduquer ses enfants, de réussir ses examens, d’avoir un travail, une maison sûre. Ce meeting a surtout pour objet de renouveler notre pacte avec la base.
Les descentes du bureau Politique dans les quartiers étaient devenues une tradition malheureusement stoppée pendant le gel de nos activités à cause de certains membres de cette instance qui empêchaient le bon déroulement de nos travaux. Il y aura une grande nouvelle, mais comprenez bien que si je vous la livre, le stade de Sebkha risque d’être tristement vide et …froid !

Propos par Samba Camara