23-01-2013 10:11 - Les militaires maliens coupables d'exactions à Sévaré - [Video]

Les militaires maliens coupables d'exactions à Sévaré - [Video]

C'est un corps nu, grossièrement enfoui; seuls le bras gauche et les fesses sont visibles, à la surface de la terre meuble. Il gît dans un recoin, au centre de Sévaré, une ville de quelque 30 000 habitants où stationnent les militaires maliens, et dont l'armée française contrôle l'aéroport.

Nous sommes à deux pas du "quartier des millionnaires", Million-Kin, un lieu qui doit son nom au fait que les maisons y sont construites "en dur". La mort est toute récente: à l'exception d'une partie des doigts de la main, le corps semble intact.

Un riverain, qui réclame l'anonymat, s'est décidé à montrer la dépouille, en pleine nuit, à un journaliste étranger. "Vendredi, ma mère a entendu des détonations, explique-t-il. J'ai attendu une nuit, et puis je suis allé regarder..."


Les forces maliennes suscitaient espoir et fierté à Sévaré, une ville proche de la frontière virtuelle qui sépare le Sud du pays, sous le contrôle de Bamako, et le Nord, aux mains des islamistes. Mais aujourd'hui, certains habitants éprouvent surtout de la terreur face aux soldats de l'armée nationale.

Chasse à l'homme à Sévaré

La hantise des djihadistes infiltrés, dans cette région qui s'apparente à une ligne de front, a donné lieu à une campagne populaire de dénonciation des "suspects". L'attaque, le 9 janvier, de la ville voisine de Konna -dont l'accès reste interdite aux ONG et aux journalistes- semblait justifier cet appel à témoins. Mais celui-ci s'est mué, semble-t-il, en chasse à l'homme.

"Depuis l'attaque des islamistes, la population s'est montrée solidaire avec les autorités, affirme le maire de Mopti, Oumar Bathily. Nous avons insisté sur le besoin de collaborer avec la police et l'armée et notre demande a été bien comprise." Avec des conséquences meurtrières.

A Sévaré, selon les témoignages recueillis sur place par L'Express, des exécutions sommaires ont eu lieu dans trois secteurs, outre le camp militaire dans lequel, semble-t-il, un meurtre a été commis la semaine dernière. L'un d'eux s'appelle "Tchétchénie", à deux pas du centre de tir. C'est là que sont égorgés les "suspects". La jeune Miriam témoigne d'un corps sans tête, jeté dans le puits vendredi dernier. Le même jour et le lendemain, dans le quartier de Waillhirdé, non loin de l'hôpital, des soldats en uniforme ont jeté dans un puits, aux yeux de tous, des cadavres présentés comme ceux de "rebelles".

"J'étais là! ", s'exclame Moussa S. "Les morts étaient des rebelles!", ajoute cet ancien militaire, qui ne cache pas sa haine des "peaux-rouges", le surnom donné ici aux Touaregs. "Ils les ont jetés dans le puits. Les soldats ont achevé les rebelles blessés, ramenés de Konna. Les vivants ont été exécutés. Puis ils ont recouvert les corps de pneus et d'essence et les ont brûlés." Du sang macule la margelle du puits, qui a été partiellement bouché par des gravats.

A proximité, l'odeur est nauséabonde. Les témoins parlent de 25 à 30 corps enfouis dans ce secteur. Des chasses à l'homme, il y en a eu beaucoup. "Etre arabe, touareg ou habillé de façon traditionnelle, pour quelqu'un qui n'est pas de Sévaré, cela suffit à le faire disparaître", témoignent deux jeunes. "Porter la barbe, disent-ils, c'est un suicide."

Vendredi dernier, un père et son jeune fils, originaires du Nord et de passage à Sévaré, auraient été tués. Machette et balles, avant de finir dans le puits. Un proche parent des victimes, gendarme à Sévaré, est parti à Bamako, afin de trouver le militaire coupable. "Il veut des explications, confie un ami. Et il portera plainte, c'est certain..."

Des militaires maliens humiliés par la défaite

"Si on n'est pas en mesure de présenter sa carte d'identité, on est amené à la gendarmerie", affirme un jeune de la ville. "Et si aucun habitant de Sévaré ne reconnaît le suspect, on l'exécute." La gendarmerie confirme les deux premières étapes de la procédure, mais assure qu'ensuite, les suspects "avérés" sont envoyés à Bamako afin d'être jugés. Des procès qui, curieusement, n'ont pas grande presse...

La hantise des habitants de Sévaré -paniqués à l'idée de subir le même sort que ceux des villes du Nord, aux mains des islamistes- a, semble-t-il, donné un sentiment d'impunité à des soldats maliens. Beaucoup, parmi eux, ne pardonnent pas à des militaires "peaux-rouges" d'avoir retourné leurs armes au printemps 2012 contre leurs "frères", exécutés à Aghelock, lorsque des rebelles touareg puis des groupes islamistes se sont emparés du nord du territoire. Humiliée par sa défaite et non préparée au respect des droits de l'Homme, l'armée malienne semble décidée à se venger - à huis clos, loin des journalistes et des ONG.

Depuis plusieurs jours, la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH), Human Rights Watch et Amnesty International dénoncent des cas d'exécutions sommaires par l'armée malienne. Interrogé par L'Express, le colonel Didier Dacko, responsable, pour quelques jours encore, des opérations à Sévaré, assure n'avoir entendu parler de rien. Ce dimanche, les accès à la ville de Sévaré ont de nouveau été fermés aux journalistes.

Par Dorothée Thiénot


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Commentaires (7)

  • ouldmboka (H) 25/01/2013 00:00 X

    La France a bien fait d intervenir, on deplore les exactions commise mais n oublions pas que ces criminel jihadistes ont terrorise pendant longtemp toutes une population noire sans que personne n en parle. C est vrai que la france nous a colonise mais aujourdhui dans cette sous region ce sont des exclavagistes qui y resident.

    Il faut chasser ces criminels jusqu au bord du Nil, labas ils ont leur place. Il faut vivre africain c est la seule facon de vivre digne et libre (SANKARA). La patrie ou la mort nous vaincrons.

  • antipervers (H) 24/01/2013 15:36 X

    La France n’est pas responsable de l’état moyenâgeux des identités tribales des populations du Sahel. Elle n’est pas responsable des haines ancestrales entre tribus, qui ont précédé sa venue dans la région. Haines que les brimades et exactions des « seigneurs » du désert ont inscrites dans l’esprit des maliens, au Sud de la boucle du Niger, avant l’avènement de la colonisation. Haines que la brutalité et le racisme des noirs envers les mêmes « seigneurs » déchus du désert, ont crées chez ces derniers, à la faveur de l’avènement de la « république bambara » de Bamako.

    La France n’est pas responsable de l’incapacité des noirs hégémoniques au Mali, à faire évoluer leur pays vers un esprit national. Pas plus que les bidhanes ne savent le faire dans la Mauritanie voisine.

    Dans cette guerre et pour le moment, on ne peut accuser la France d’être contente d’exactions qui entachent la légitimité de son intervention. La France, à son corps défendant, a bien entendu sa part de responsabilité dans la libération de la sauvagerie de la soldatesque du Mali. Il est attendu d’elle une action énergique pour prévenir et limiter ses effets.

    En attendant, et durant tout ce conflit, en lisant ce site, aucun signe d’espoir de progrès des mentalités chez les mauritaniens : Des haal puular, soninké et wolof sans opinions sur la situation au Mali qui ne soit compréhensible par le clivage « raciale » avec les bidhanes de leur pays. Des bidhanes qui ne font guère mieux, sans se rendre compte que l’échec des maliens a promouvoir un Etat ethniquement pacifié, est identique au leur, en Mauritanie.

  • YEHESS (H) 23/01/2013 13:33 X

    Et on dit que la guerre c'est bon, que la France est revenu en liberateur. Depuis quand les colonisateurs sont t-il devenus des liberateurs?

    La tuerie perpetrée par une armée malienne commandée par des criminels à Diabali dont ont été victimes de paisibles precheurs mauritaniens est un "avant gout" de ce dont elle est capable.

    Concernant ce qui se passe actuellement la France est entièrement responsable des crimes de cette armée malienne supletive.

  • Barbossa (H) 23/01/2013 12:24 X

    ce qui est sur, c'est qu'ils ne s'en arreteront pas là. Pour qui connait le malien de souche saura que l'animosité n'est qu'une de ses multiples facettes. D'aucuns diront "ils l'ont cherché, nous ne faisons que répliquer" tout simplement ce qui nous amène a conclure que armée malienne et terroristes sont kif-kif. Qu'elle le veuille ou non, la France est en partie responsable de ces exactions pour n'avoir pas pu tenir en laisse ces "toutous rancuniers"

  • hachmi (H) 23/01/2013 11:46 X

    Hannefi;
    Avec tout le respect que j'ai pour votre intelligence, dire que la haine est causée par ''l'attaque'' française n'est pas la vérité. Tu sais bien l'animausité entre ces peuples qui ont été mal décolonisés dont l'histoire est jalonnée d'exactions entretenues par des politiciens de leur état failli.

    Précisément le cas du Mali est patent avec des milices qui existent depuis 1986; crées après les troubles entre habitants du nord, les français n'étaient pas là !

  • hachmi (H) 23/01/2013 11:38 X

    Nous avons craint ces massacres et ce n'est que le début. Le problème comme pour l'armement de la Libye disparu dans la nature qui fait sujet à des discussions du genre: les attaquants n'avaient rien préparé pour mettre cet armement à l'abri des pilleurs; attendons - nous à la même rhétorique sur ce ''génocide'' qui aura certainement lieu au Mali en prenant de l'amplification quand les villes du nord seront libérées.

    Et puis après, on dira qu'on n'avait (les français) rien fait pour prévenir ces tueries avant d'attaquer. Malheureusement ça sera trop tard.

  • mohamed hanefi (H) 23/01/2013 11:09 X

    On ne rétablit pas la justice en perpétrant les crimes. La France aussi est responsable. S'il s'avère juste que ce genre d'exactions sont commis sous la houlette de son action militaire, alors adieu la "mère des arts des armes et des lois."

    Les américains ont fait la même chose ici au Golfe. Ils ont éternellement semé la haine contre leur genre dans les esprits et les cœurs de millions de personnes.