26-03-2015 01:30 - Burkina Faso/Mauritanie : Volonté de rapprochement après l’insurrection

Burkina Faso/Mauritanie : Volonté de rapprochement après l’insurrection

Sidwaya - Le Burkina Faso a échappé aux sanctions internationales à la suite de l’insurrection ayant emporté le pouvoir tri-décennal de Blaise Compaoré. L’Union africaine (UA) était sortie de ses gonds mais n’a pas donné suite à ses menaces. C’est en partie grâce au président en exercice de l’UA, le chef de l’État mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz.

Compaoré chassé du pouvoir et avec lui Moustapha Chafi, opposant au régime de Nouakchott, Abdel Aziz est devenu fervent défenseur de la cause burkinabè au sein des chefs d’État africains. De Ouagadougou à Nouakchott, à travers des propos et des actes, on a assisté à un regain de chaleur dans les relations naguère glaciales entre son pays et le Burkina Faso.

Le président du Faso, Michel Kafando, veut désormais d’une nouvelle politique entre son pays et la Mauritanie. «Il faut plutôt nous retrouver, nous rapprocher plutôt que de nous séparer», dit-il. Ni plus ni moins, il faut, selon lui, «une nouvelle politique de rapprochement des deux pays». Et pour cause.

Depuis son ascension au pouvoir en 2008, à la suite d'un coup d’État légalisé plus tard par une élection, le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, n’avait jamais mis les pieds au Burkina Faso.

Ce faisant, le «pays des Hommes intègres» et le «pays aux Mille poètes» n’étaient pas seulement éloignés par la distance. Au plan diplomatique, il n’y avait pratiquement rien qui se passait. Mais la chute de Blaise Compaoré, consécutive à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, va changer la donne.

Tout commence le 1er novembre 2014, 24 heures seulement, après le vol aller-simple de Blaise Compaoré vers la Côte d’Ivoire. A Ouagadougou, la confusion est totale sur le nom du successeur au trône de Kosyam.

Mais à Nouakchott, c’est déjà la fête. L’Union pour la République (UPR), le parti de Abdel Aziz fait vite de lever un verre pour honorer la déchéance du «tyran» Compaoré. En effet, dans un communiqué publié ce jour, l’UPR adresse «ses félicitations les plus sincères au peuple frère burkinabè pour la réalisation du triomphe des peuples africains contre la tyrannie».

Le 10 novembre 2014, nombre de Burkinabè questionnent encore les intentions réelles des militaires qui ont pris le pouvoir avec à leur tête, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida. Le président mauritanien, président en exercice de l’Union africaine (UA), lui, s’est fait une idée. A son arrivée à l’aéroport de Ouagadougou, il fait des accolades à Zida.

Le Nachid Al-watani, le poétique hymne de la Mauritanie, retentit à Ouagadougou. D’un ton apaisant, Mohamed Ould Abdel Aziz déclare que «l’Union africaine n’est pas venue pour sanctionner le Burkina Faso, mais pour participer à la recherche de la solution». Evoquant la gestion du pays sans Compaoré, il estime que les acteurs burkinabè «ont déjà fait l’essentiel pour davantage de démocratie dans leur pays».
Ce ton est à l’opposé de celui adopté par l’Union africaine (aux premières heures de la chute de Compaoré) qui enjoignait aux militaires de remettre le pouvoir aussitôt. Piqué dans son vif, Zida avait répliqué que le Burkina Faso n’avait pas de leçon à recevoir d’une institution incapable d’anticiper sur ce qui nous est arrivé.

La hache de guerre était déterrée. Mohamed Ould Adel Aziz l’a enterrée aussitôt lors de sa première visite à Ouagadougou, expliquant qu’il est venu en ami, pour accompagner les acteurs burkinabè à trouver eux-mêmes la solution à leur situation. Dès lors, les portes du Burkina se sont grandement ouvertes à lui. Les rencontres qu’il a eues avec les différentes composantes de la société se sont déroulées, dit-on, dans une ambiance de respect et de confiance.

L’homme fort de la situation d’alors lui avait expliqué combien le Burkina Faso, en ces temps de doute, avait besoin de soutien «et particulièrement de l’Union africaine». C’est à la passation des charges entre Zida et Kafando qu’Abdel Aziz va davantage montrer que les froides relations entre le Burkina Faso et la Mauritanie ont évolué.

Abdel Aziz a aussi permis d’éviter le pire

A l’occasion, il a parlé du remplacement de Blaise comme d’une fête. «C'est pour moi un réel plaisir de partager avec vous, avec les responsables et le peuple du Burkina Faso, dans toutes ses composantes, l'immense joie de participer à cette fête africaine, à cette victoire supplémentaire du peuple du Burkina Faso».

Les Burkinabè ne sont pas restés indifférents face à l’attitude du président mauritanien. Se confiant à ses compatriotes vivant en Mauritanie, à la veille du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays participant au Processus de Nouakchott, soit le 17 décembre 2014, Kafando n’a pas tari d’éloges à l’endroit d’Abdel Aziz. «Il est venu à Ouagadougou en personne nous apporter son salut et son soutien. Il faut prendre note de cela», dit-il.

Au sein des membres du gouvernement burkinabè, le déplacement du président en exercice de l’UA à Ouagadougou et son refus de sanctionner le Burkina, sont l’expression de sa «bonne volonté» et de son souci réel pour les Burkinabè. C’est l’avis du ministre burkinabè délégué à la Coopération régionale, Moussa B. Nébié.

Avec lui, on apprend que les autorités de Transition redoutaient les sanctions internationales qui auraient eu pour conséquence de démobiliser des bailleurs de fonds, les investisseurs internationaux et opérateurs locaux. «Si vous avez des sanctions de la communauté internationale, vous en avez pour une année.

Il aurait fallu attendre après la fin de la Transition pour que le nouveau pouvoir se mette en place et pour qu’au moins deux ou trois mois après, on lève la sanction»
, explique-t-il. Le Mauritanien a œuvré à éviter aux insurgés, la désillusion qui les auraient frappés. Voilà pourquoi les autorités transitoires ne pouvaient «qu’aller dans son sens», convaincues de sa «bonne volonté». On sait que le dossier Moustapha Chafi lui seul suffisait à éloigner Ouagadougou de Nouakchott.

Moustapha Chafi est en effet présenté comme un opposant farouche de Abdel Aziz et de son prédécesseur, Ould Taya. Plus que cela, il les déteste et les qualifie d’usurpateurs de pouvoir sans étoffe. Sous Ould Taya, il avait été poursuivi pour tentative de coup d’Etat. Sous Abdel Aziz, un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui, pour financement du terroriste et appui à des groupes terroriste.

La pression de la menace terroriste

Accuser Chafi, conseiller personnel de Compaoré comme terroriste, c’est aussi accuser Kosyam d’accointances avec un terroriste ; ce qui ne pouvait pas plaire à l’enfant terrible de Ziniaré. L’inimitié intime s’était donc exacerbée entre Compaoré et Abdel Aziz. Initié, le président Michel Kafando en sait quelque chose.

Il le dit sans langue de bois. «Il faut dire les choses clairement! Jusqu’à cette année (2015), les relations entre la Mauritanie et le Burkina n’étaient pas véritablement au beau fixe». «Entre les deux pays, ajoute-t-il, ce n’était pas des relations teintées de grande chaleur». Sur certains sujets comme le terrorisme au Sahel, les deux pays ont généralement adopté des positions proches, dans des cadres multilatéraux comme l’Union africaine, les Nations unies et bien d’autres organisations.

Mais c’est tout. Plus que pour dépeindre les tensions entre deux hommes, le président burkinabè a voulu juste que ses compatriotes sachent à quoi s’en tenir en Mauritanie. Sa lecture est partagée du côté des observateurs mauritaniens.

Isselmou Ould Moustapha, directeur de publication de l’hebdomadaire mauritanien Tahalil, journaliste politique, a confié, le 20 décembre 2014 au sortir du sommet du G-5 Sahel à Nouakchott que: «les relations étaient détériorées, parce que le président Blaise Compaoré a abrité chez lui un opposant supposé être radical vis-à-vis du régime du président Adel Aziz». Et bien avant Adel Aziz, a-t-il poursuivi, "il y avait des antécédents, même du temps de Ould Taya".

C’est vrai que Blaise Compaoré et Adel Aziz ont tenté un rapprochement d’intérêt au début de 2014. La lutte contre le terrorisme les avait convaincus de la nécessite d’unir leurs forces. Adebl Aziz, en officier militaire général, avait pris la juste mesure que la réalité des menaces terroristes ne saurait être l’œuvre de Chafi, soit-il connecté, ou des opposants radicaux à son pouvoir.

En tous les cas, il avait accueilli Blaise Compaoré, en février 2014, pour parler de coopération et de partage d’informations en matière de sécurité dans le Sahel, dans le cadre du G-5 Sahel. Les deux officiers militaires, ex-putschistes, avaient ainsi entamé un timide rapprochement face à des terroristes revigorés depuis la chute de Mouammar Kadhafi.

Peut-être que l’équation malienne, dans laquelle le Burkina Faso et la Mauritanie jouent le rôle de pays de champs et médiateurs attitrés et occasionnels, a eu un effet sur les deux hommes. Il n’en demeure pas moins, que la posture du président mauritanien vis-à-vis du Burkina Faso, a changé radicalement après la chute de Blaise Compaoré.

Abdel Aziz avait, sans doute, une revanche à prendre sur Compaoré et son protégé Chafi. Surtout, il aurait pu avoir besoin de prendre la tunique abandonnée par Compaoré. Devenu incontestable en Afrique de l’Ouest, le fin stratège burkinabè laissait vacant le siège de leader sous-régional, en termes d’influence et de gestion de crises. Le farouche opposant aux islamistes qu’est Abdel Aziz, peut se sentir le mieux placé pour succéder à son ennemi juré. Auquel cas, il lui fallait donc se montrer bon père envers le peuple burkinabè.

Kafando à Nouakchott

Pour leur part, les autorités de la Transition du «pays des Hommes intègres», ont vite fait d’accepter cette bienveillance du Mauritanien. Surtout, si cela évite des sanctions internationales et offre un allié de taille comme Abdel Aziz, homme d’expérience.

Investi président consensuel le 21 novembre 2014, Michel Kafando est encore balbutiant à son poste, lorsqu’il arrive en Mauritanie, du 17 au 20 décembre 2014. A Nouakchott, la capitale mauritanienne, le président Kafando prend part au tout premier Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays participant au «processus de Nouakchott», sur la coopération sécuritaire au Sahel.

Puis, il participe à la Conférence au sommet du Groupe des 5 pays du Sahel (G-5 Sahel). Le G-5 Sahel, dernier-né des organisations sous-régionales, a pour but de concrétiser la renaissance sahélienne. Il a vu le jour en février 2014, en présence de Blaise Compaoré et de ses pairs de l’époque. Mais depuis son arrivée à l’aéroport, il a bénéficié d’un accueil chaleureux et réconfortant.

Son homologue mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, est venu en personne l’accueillir à sa descente d’avion, «avec les honneurs dus à son rang». Il le tient par le bras, lui chuchote à l’oreille et l’accompagne passer en revue la troupe. Et quand Abdel Aziz n’est pas en concertation avec son hôte burkinabè, celui-ci est en compagnie du Premier ministre.

Ce dernier va l’accompagner à l’aéroport pour le vol retour, avant de repartir gratifier d’un large sourire et d’un geste de main plein de reconnaissance de la part de Kafando. Tout au long des deux sommets présidés par le président mauritanien, le chef de l’Etat burkinabè et sa délégation ont bénéficié d’une attention particulière de ses hôtes qui n’attendent que des occasions pour prouver quelque chose.

«Je tiens à rendre un hommage mérité au peuple frère du Burkina Faso et aux acteurs de la vie publique de ce pays frère pour la sagesse, la maturité et la perspicacité avec lesquelles ils ont su gérer, dans un esprit consensuel, la transition politique». Enthousiaste, le chef de l’Etat avait ajouté qu’il demeurait «convaincu que le grand peuple burkinabè et les autorités de la Transition réussiraient avec le même esprit à parachever les étapes futures de leur feuille de route».

Pour le séjour de Michel Kafando à Nouakchott, tout a été mis en œuvre pour que les petits plats soient dans les grands. Les agents de sécurité en charge de la délégation du Burkina semblaient être sélectionnés pour leur bienveillance et leur sympathie pour les Burkinabè. Invariablement, les chefs d’Etat des deux rencontres se sont réjouis des avancées significatives enregistrées par le Burkina dans ses efforts de retour à la normale.

Ils ont appelé «tous les partenaires afin qu’ils accompagnent les efforts du Burkina Faso vers la tenue d’élections libres, crédibles et transparentes en novembre 2015». A la communauté internationale, ils ont demandé d’apporter «tout le soutien nécessaire» aux Burkinabè.

Jusqu’où ira le redoux?

Cette attention du président Abdel Aziz à l’endroit d’un Burkina Faso post-insurrectionnel, sera-t-elle situationnelle ou va-t-elle changer durablement les relations entre les deux ex-colonies françaises? Le président Kafando pense qu’une page est tournée définitivement. Les relations vaguement tendues entre les deux pays, «c’est fini», a-t-il déclaré.

Il entrevoit déjà de «réactiver» la coopération entre les deux pays. «L’ambassadeur (Aline Koala, ndlr) est là, je crois qu’elle va y veiller, voir comment à partir de maintenant, puisque nous avons compris qu’il faut plutôt nous retrouver, nous rapprocher plutôt que de nous séparer, qu’est-ce qu’on peut concrètement mettre en place par le biais d’accords, d’ententes, comme nouvelle politique de rapprochement des deux pays», lance le président à ses compatriotes, au nombre de 300, pressés de voir les choses évoluer pour leur meilleure intégration en Mauritanie.

Après avoir pris bonne note, Kafando a promis, «en tous les cas», de travailler dans le meilleur sens possible pour que les relations mauritano-burkinabè puissent s’accroître et «devenir beaucoup plus positives». Pourvu que les deux Nations établissent de solides relations qui résistent aux intérêts et aux humeurs des individus appelés ou parvenus à la tête des Etats.

Aimé Mouor Kambiré
De retour d’un séjour
à Nouakchott



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