21-06-2015 17:16 - Leçons d’un vrai-faux débat (2)

Leçons d’un vrai-faux débat (2)

Le Calame - Dans un récent article publié sur le Net, trois intellectuels – deux français et un franco-algérien – étaient appelés à commenter les résultats d’un sondage avançant que 78% des Français avaient une bonne opinion des musulmans. On s’attendait donc à entendre ces doctes personnages évoquer les réalités quotidiennes qui justifient une telle bonne opinion hexagonale.

Ils ont préféré gloser – à moins qu’ils ne fussent, plutôt, incapables de dire quoi que ce soit de ces réalités – sur l’étrange proposition que déduisait le journaliste de ces résultats : « à défaut des Français, c’est donc la France qui a un vrai problème avec l’islam ».
Second volet du décryptage d’un vrai-faux débat dont les protagonistes, probablement conviés à répondre isolément et sélectivement, aux questions du journaliste, ne semblent même pas avoir été réunis pour l’occasion…

Guilain Chevrier ne veut plus voir, dans la sphère publique, de toilettes hommes distinctes de celles des femmes. Cette haine de la discrimination, un tout aussi gros mot, à son oreille, que son alter ego, le communautarisme, il la doit à sa passion pour l’égalité. L’uniformité ? Non pas : quoiqu’il s’inquiète des « manifestations vestimentaires », [hijab et niqab, tout particulièrement], « qui ont rompu avec la neutralité de notre société sécularisée », il nous exhorte à ne jamais oublier que « la France est une terre d’accueil et d’intégration, de tolérance des différences ».

Evidemment, il y a un monde, entre tolérer les différences et les exalter. Mais qui, en celui si bas, si ras des pâquerettes, de notre société numérisée, perçoit encore les sommets du « Je vous ai créés en peuples et nations différentes pour que vous vous portiez mutuellement connaissance » (1) ?

Un tel égalitarisme ne peut se résoudre à toute autre phobie que la sienne. Aussi l’homme est-il un ardent défenseur de la mixité sociale et culturelle, « […] valeur, capitale, de notre république égalitaire, qui ne survivrait pas à une séparation selon les différences ». Une position qui le place, donc, résolument à distance des exclusions identitaires bleu-marine.

Mais, pour réaliser cette mixité, il faut commencer par la promouvoir. Aussi et quoique bien placée au hit-parade des valeurs républicaines ardemment défendues par notre historien – citée quatre fois dans son discours, contre trois, à la liberté, et… zéro, à la fraternité – l’égalité cède-t-elle le leadership lexical à ce qui lui en semble le moteur incontournable : la laïcité, sept fois nominée.

De la laïcité de l’Etat à celle de la société
« La laïcité, qui assure la liberté de conscience de tous les citoyens », nous enseigne-t-il, « culmine, dans la protection des différences, à porter, au-dessus de toutes, le bien commun, assurant ainsi qu’aucune d’entre elles ne prenne le pouvoir sur les autres ». Sibylline proposition qui situe, aussi finement qu’exactement, la dérive de l’actuelle république française.

Non pas, bien évidemment, que l’idée de placer le bien commun au-dessus de toutes les différences soit une errance. Mais qui ou quoi le définit ? Le débat républicain où s’exprimeraient, librement, toutes les différences ? Qui tient alors et où se situe ce pouvoir dont la laïcité – de qui, de quoi ? – assurerait qu’aucune de ces différences ne puisse s’emparer ?

Les quatre premières républiques françaises s’efforcèrent de cadrer ces questions, en précisant, peu à peu et formellement avec la loi de 1905 consacrant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le lieu de cette laïcité protectrice d’un débat républicain ouvert à tous.

Ainsi se construisait un système où l’espace public se distinguait en un forum citoyen riche de tous les points de vue, jusqu’aux convictions les plus partiales, dans la plus grande liberté d’expression possible, d’une part, et, d’autre part, un Etat rigoureusement impartial, tenu, par la laïcité, à une réserve d’expression lui permettant d’assurer, tout à fois, l’égalité des droits de tous les citoyens et l’intégrité des personnes – tant physiques que morales – engagées dans le passionnant débat du forum. Deux notions capitales sur lequel il nous faudra longuement revenir.

J’ai résumé ce potentiel de la dialectique républicaine française dans un précédent dossier (2) : l’Etat, fermement laïc, doit assumer toute la rigueur de l’impartialité, afin que la société civile puisse, à l’inverse, assurer, formidablement plurielle, toute la diversité des partialités.

Mais, le 4 Octobre 1958, l’article 1er du préambule à la Constitution de la 5ème République introduisait une dimension qui allait, d’abord insensiblement mais, bientôt, très concrètement, flouer ce potentiel, en appauvrir la dynamique : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Signe des temps, le vocable « chrétien » disparaît, alors, du vocabulaire des partis politiques soucieux d’accéder à la magistrature suprême. Une éclipse de quelque quatre décennies (3) qui va voir ce reflux (refus ?) d’expression de la pensée politique chrétienne coïncider avec l’apparition de celle, infiniment plus étrange, des musulmans.

Des frayeurs et des incompréhensions, alimentées par un contentieux méditerranéen pluriséculaire, plus récemment colonial (4), envahissent le débat public. La situation est d’autant plus complexe qu’elle chevauche une fracture sociale héritée du traitement trop longtemps approximatif de l’immigration en provenance des espaces naguère colonisés, très largement islamisés et maintenus, tout au long du 20ème siècle, à la périphérie de l’économie-Monde (5).

Historien issu du milieu ouvrier, Guilain Chevrier entend bien le poids des inégalités sociales et territoriales, dans la progression des communautarismes et en quoi les unes et l’autre portent préjudice au vivre-ensemble. Mais ses positions doctrinales l’empêchent de percevoir en quoi la laïcisation de tout l’espace public, en dehors du strict cadre de l’Etat, porte, à ce vivre-ensemble – plus précisément, à la vitalité du bien commun – un coup fatal.

Les musulmans, une chance pour la République française ?

Sur la trentaine de références sémantiques relatives au sujet du « débat », Guilan n’évoque qu’une dizaine de fois les humains qui en sont les acteurs. Or, c’est bien les musulmans et non l’islam qui formaient la question – et la réponse – du sondage à la base de son interview. Peut-être nous objecterait-il que c’était, précisément, l’objectif du site Internet qui sollicitait ses commentaires que de gommer la dimension humaine dudit sondage.

Nous lui répondrions, simplement, qu’il s’y est fort complaisamment prêté. Et pour cause : l’islamophobie, ce sont essentiellement des gens qui la subissent et c’est évidemment gênant, pour un républicain convaincu, d’en ramener la réalité à cette humaine essentialité.

Il s’emploie donc à la zapper, pour la réduire quasiment à des dommages collatéraux d’un conflit systémique : « Il y a, pour toute nouvelle religion », n’hésite-t-il ainsi pas à énoncer, « un chemin à accomplir, pour embrasser les institutions républicaines et trouver sa place ». Mais mesure-t-il la montagne des quatorze siècles, si diversement vécus sur trois continents, qu’il appelle à s’insérer dans les quelques décennies de l’hexagonale 5ème République (6) ?

Sans doute serait-il plus simple et réaliste de parler avec les gens. Car, d’un point de vue républicain, cela signifie par exemple quoi, porter un voile en public ? C’est l’expression d’un rapport de l’intime à ce qui ne l’est pas, tout comme, a contrario, l’exhibition d’un décolleté plongeant ou le port d’une mini-jupe.

Les secondes entretiendraient-elles « la neutralité de notre société sécularisée », alors que la première s’en démarquerait ? Et quand bien même cela serait – je laisse aux lecteurs et lectrices le soin de peser le contenu idéologique de cet amalgame – la liberté d’expression, en France, serait-elle donc, désormais, astreinte à cette fameuse neutralité ?

De quoi donc, alors, le débat républicain serait-il encore porteur ? Serait-ce à la télé-réalité que reviendrait le soin d’éduquer le bien commun ? A moins que celui-ci n’ait été, une bonne fois pour toutes, codifié, garrotté, numérisé, dans une convention entre grands de ce monde, le meilleur de tous, probablement, pour le plus neutre bonheur possible d’une majorité aplatie…

Ecartons, une bonne fois pour toutes, la restriction moraliste, voire pudibonde, où l’exemple du voile semblerait enfermer mon discours. S’il est bien question de morale, c’est, beaucoup plus largement, de l’action humaine soumise au devoir, dans la quête du bien, dont je me fais le chantre. Je crois, en définitive, que les trois compères invités au vrai-faux débat d’Atlantico participent, également ou variablement, à ce chant probablement spécifique à l’humain.

Aucun de nous quatre n’a, cependant, plus de droits que Mélanie, l’ex-Diams pacifiée par sa foi, ou Abdallah, l’imam à peine francophone de la petite mosquée de Vaulx-en-Velin que je fréquentais, au début des années 2000, à définir le ton, le rythme et la clé de partition de cette musique. Mais elle n’est pas pour autant condamnée à la cacophonie. Il existe des pistes, sérieuses, pour nous entendre. Nous en reparlerons prochainement, incha Allah !

(A suivre)

Ian Mansour de Grange

Notes

(1) : Saint Coran, 49 – 13

(2) : « Citoyenneté en islam », op.cit.

(3) : C’est en 2009 que Christine Boutin fonde le Parti Chrétien Démocrate (PCD).

(4) : dont la perception populaire reste très déformée par une présentation historique tronquée, voire carrément falsifiée, parfois. Voir, notamment, mon ouvrage – « Gens du Livre en Eurasie occidentale et Sahel, des premiers siècles de l’ère chrétienne à l’aube de la révolution thermodynamique », Editions de la Librairie 15/21, Nouakchott, 2012 – qui tend à rétablir une vision plus équilibrée des relations islamo-européennes, dans l’Histoire.

(5) :

(6) : Certes héritière de deux siècles de tâtonnements expérimentaux qui devraient lui donner une notable avance, dans la capacité à se remettre en cause… Une expertise que nombre de musulmans serait à même d’apprécier, s’ils étaient réellement admis au débat et non pas, seulement, contraints de s’y soumettre.



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