01-01-2016 08:29 - Libre Expression : Prosternation ultime

Libre Expression : Prosternation ultime

Mohamed Hanefi - C'était un peu avant le crépuscule. C'était la première fois que je voyais ma mère. J'avais 11 ans. Comme une machine assourdissante, qui vient de s'arrêter, faute d'énergie, tous les bruits du village s'interrompirent soudainement. Les animaux pressentant une catastrophe dans l'atmosphère, se figèrent, telles des statues.

Ils ruminaient, visiblement indécis, hésitants et inquiets de la chose. Les "sak-sak" des pilons dans les mortiers, les coups de haches mordant dans le bois sec de "tazount", stoppèrent net leur cadence acharnée. Même les cris de la marmaille, en général insouciante de choses sérieuses, s'était tu.

Comme mu par une décision suprême, contre laquelle le vouloir de l'homme n'avait plus de choix, le village entier sombra dans le silence. Réveillé par l'opacité de cette inertie insolite, je sorti de la tente de laine et je vis le ciel ocre, qui se précipitait pour ensevelir la terre.

Des montagnes gigantesques serpentaient, se tordaient dans tous les sens et telles un fauve en furie se jetaient sur l'agglomération des petits villages.

Une image apocalyptique, ponctué régulièrement, au fur et à mesure qu'elle avançait, par les grondements sourds et menaçants de tonnerres successifs, qui glaçaient le sang dans les veines.

Le premier moment de frayeur, passé, les femmes sortirent les premières. Le voile, le foulard ou le pagne enroulé autour de la taille, les visages fermés par une détermination teintée de résignation, elles commencèrent le plus téméraire travail que j'aie jamais vu. L'image personnifiée de celles qui étaient prêtes à tout donner pour sauver leur logis et leurs familles.

Comme dans un rêve, ces silhouettes déjà effacées par la fureur de l'orage, le visage couleur de terre se mouvaient comme des spectres. Les piquets et les pieux des tentes furent enfoncés plus profondément dans le sol pour fixer les tentes. A la hâte, les cordes furent tirées à les faire craquer et les tentes baissées à leur plus bas niveau, se prosternèrent devant la Toute puissance divine.

Elles se plieront, mais ne casseront pas. La vieille leçon du chaîne et du roseau. Un travail, méticuleux et parfait, transmis de mère à fille depuis des générations et des générations.

L'ouragan, hors d'haleine de colère, et craignant de perdre l'effet de la suprématie et de la furie, avait déployé toutes ses armes. Il frappait tout et de tous les cotés.

Il cingla les corps, déjà rendus frêles et vulnérables par des vêtements mouillés par les premières rafales, qui épousaient les corps et épuisaient les mouvements irréels de cette gente féminine, animée d'une volonté sublime. Le courroux du ciel avec les matières ramassées sur son chemin, fouettaient les femmes comme des lanières de cuir.

Quelquefois la silhouette furtive et désuète d'un homme ou d'un grand enfant, glissait de dessous une tente, et le dos courbé, comme pour ne pas être emporté par ces vagues, se faufilait dans le rideau des ténèbres pour détendre le licou d'un cabri pris au piège de sa frayeur, ou une chèvre brutalement empêtrée dans les cordes.

Les arbres volaient comme des brindilles et s'abattaient quelquefois sur une tente, vite retiré par des mains résolues à sauver ce qui pouvait l'être. Les ustensiles volaient comme des soucoupes et fauchaient parfois un corps attardé dans le cœur de cette tourmente.

Les vagues rugissantes et mugissantes de cette fureur durèrent toute la nuit. Aucun œil ne se ferma cette nuit là. Un seul bruit défiait maintenant les grondements saccadés du ciel : une rumeur collective entonnée par tous les villageois : "La-ilaha-illallah, La-ilaha-illallah. Mouhamed rassouloullah"
Enveloppé dans le Varou, en peau, les yeux rivés sur le dehors obscure et effrayant, tremblant de tous mes membres je regardais. J'assistais médusé, à un dialogue irréel entre les forces invincibles du ciel et les acquiescements démesurés et soumis des arbres géants qui invoquait la miséricorde divine à leur manière.

Désarticulés, ils s'inclinaient d'avant en arrière, témoignant ainsi, dans une prière ininterrompue de la toute puissance du Tout Puissant et célébrant Sa Gloire.

Comme un fauve repu, toute la nuit de terreur de menaces et de destruction, le monstre commença à montrer des signes de faiblesse. Ses grondements qui semblaient s'éloigner peu à peu, furent couverts à l'aube pointant, par la voix chevrotante du vieux Mohamed soula, qui poussait le muezzin.

Les hommes sortirent des tentes pour constater la destruction incroyable. Un champ de bataille n'aurait pu offrir un tel spectacle de désolation. Ils se regroupèrent dans la petite mosquée. Le vieil homme se prosternait longtemps et récitait ce que des générations entières ont récité avant lui, pour demander l'aide du Dieu du ciel, des astres et de la terre, "le maitre de l'aube naissante, contre le mal des êtres qu'Il a crées.

Contre le mal de l'obscurité quand elle s'approfondit. Contre le mal de celles qui soufflent sur les nœuds (les sorcières) et contre le mal de l'envieux quand il envie."


Nous priâmes le fajer derrière lui. En se tournant vers les prieurs, après le Salam, il avait le visage en larmes. Je compris que ce n'était pas le corps qui se prosternait, mais le cœur. Quand le cœur se prosterne vraiment, il ne s'en relèvera que dans le Paradis. Paix sur Mohamed Soula.

Quelques décennies plus tard, cette aventure me rappelle à se méprendre l'ouragan qui plane sur notre pays en ces jours sombres. Je me demande souvent, si à l'image de cette prosternation derrière le vieil imam, rahimehoullah, toute la Mauritanie ne doit pas se prosterner aujourd'hui pour conjurer les amoncèlements de nuages qui pèsent sur son ciel.

Devant la menace imminente, les hommes et les femmes, restent passifs, inertes et aphones. Il est vrai que le bruit de machines nouvelles a tout couvert. Et le ciel éclipsé par les infrastructures modernes possède plus de moyens de camouflage, pour frapper sans crier gare. Si autrefois il drainait les surfaces de la terre pour la punir avec, aujourd'hui, il peut s'épargner cette peine.

Les matériaux sont nous-mêmes. Tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, sont autant de projectiles que la pédagogie cosmique, qui ne souffre pas le faux, nous est jette au visage. Les tonnerres grondent en nous et nos foudres nous carbonisent. Tant il est vrai que le Meilleur de tous ceux qui parlent a dit "Ils oublièrent Dieu, et Dieu lui fit oublier leurs âmes."

Des débris solidifiés d'égoïsme, d'envie, de haine, de racisme de tout calibre, de mensonge, de mépris, de folie des grandeurs de convoitise et d'amour invétéré des biens périssables de cette vallée des larmes assombrissent notre ciel et constituent une épée de Damoclès, suspendue sur les carotides de la tente nationale.

Contre de misérables menus fretins insignifiants, et qui ne durent pour personne, nous consentons à vendre la mère. J'ai peur que cet ouragan là, ne s'arrête pas et que nous serions réduits à chercher fiévreusement dans l'avenir des solutions que nous avions à portée de la main. Quand la paix s'envole dans la tourmente de tsunamis violents, elle connait rarement le retour.

Nous avons quand même la possibilité de répéter ensembles :

Pas de division maudite, pas de racisme abjecte, pas de tutorat tyrannique. Nous sommes TOUS les fils de la Mauritanie. Nous sommes TOUS attachés à son destin en bien ou en mal.

Peut-être que la détermination légendaire que les anciens nous ont léguée, nous permettra t-elle une solution pour fixer la tente. Allah Seul peut savoir.

Mohamed Hanefi. Koweït.



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Source : Mohamed Hanefi
Commentaires : 12
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Commentaires (12)

  • Gorkovitch (H) 01/01/2016 19:47 X

    @ Agent Mie! (Ma sœur)! Je suis loin d'être raciste comme tu penses et suggères. Et tu ne mets pas de gants en avançant que j'ai abandonné ma Famille (à moins que les antidépresseurs ne te jouent des tours. Je pense que tu me confonds avec une autre personne, à coups sûrs. Ma Famille je m'en occupe bien de près ou de loin. La hache de guerre sera-t-elle déterrée? Avec tes propos! elle le sera.

  • Marathon International de... (F) 01/01/2016 17:27 X

    @Gorkovitch, merci pour tes mots encore courtois. Je remercie infiniement et eternellement les habitans de Garak, Tounguene, Rosso et Satara qui non seulement m'ont élevé mais ont participé à ma CULTURE. GLOIRE A ALLAH le Tout PUISSANT qui nous a créé en peuples et en tributs pour que nous nous connaissons. Votre HAIDARA Dg Marathon de Nouadhibou

  • Gorkovitch (H) 01/01/2016 17:03 X

    @ Agent Mie (Ma sœur), je suis loin d'être raciste comme tu le soutiens et d'avoir abandonné ma Famille. Là vous ne mettez pas de gants en ce début d'année. En tous cas le jour où nous nous rencontrerons tu sauras que je suis de tout amour envers mon prochain.

  • Gorkovitch (H) 01/01/2016 16:57 X

    @ DG marathon NDB! Allons, qu'Est-ce que tu as contre les gens de Tounguène-Garack-Rosso qui ton couvé comme un des leurs? Donner son opinion sur un sujet bien déterminé ne veut pas dire qu'on est contre ce que vous faites. Inchaa' ALLAH, un jour nous nous rencontrerons et par mes propos, tu sauras qui est devant toi.

  • Gorkovitch (H) 01/01/2016 16:52 X

    @ mohamed hanefi! Allons, allons, où est passée ton intelligence. Si tu cherches tu trouveras, si tu veux mon adresse. Pour l'invitation, je suis désolé car au mois d'août prochain (inchaa' ALLAH), je serai au Nunavut (Pôle Nord du Canada) plus précisément dans la ville de Baker Lake. Pour l'instant je me contente du méchoui et du thé que nous sert le Restaurant La Khaïma (ce n'est pas de la publicité).

  • sallabarry (H) 01/01/2016 15:37 X

    Bonne et heureuse à tous les musulmans du monde à tous les Mauritaniens et plus particulièrement à tous les cridemiens une année pleine de bonheur de prospérité (lou waye beug yalla na la co yalla maye)

  • Agent Mie (H) 01/01/2016 11:33 X

    @Gorkovich que faire avec vous ? Étant musulman je ne peux que mettre les compteurs à zéro (00) et vous souhaitez une bonne et heureuse année 2016 !!! Ici tu n'es pas le @Gorkovich raciste, arrogant, impoli qui croit détenir la solution à tout et aussi détenir la vérité absolue de tout. Bonne et heureuse année à ta famille abandonnée que tu negliges en Mauritanie et à toi. S'il t'arrive de rencontrer Mr HANEFI ou Mr HAIDARA dis leur que tu souhaites me voir. Agent Mie

  • hitman (H) 01/01/2016 11:06 X

    @Hanefi, Merci pour cette joie que vous me procurez a chaque lecture. Puisse Allah vous preserver de tout mal.

  • bouleibabs (H) 01/01/2016 11:01 X

    MERCI HANEFI Encore une fois vous nous rappelez nos devoirs envers notre patrie au moment ou l'argent devient notre seul preoccupation,que les haines prennent possession de nous, que la solidarité sociale a quitte nos cœurs. Nous sommes devenus un peuple de zombies que rien n'émeut même en voyant mourir de faim son voisin

  • Marathon International de... (F) 01/01/2016 10:39 X

    @GORKOVICH merci de vos voeux et enfin de vous des mots tendres ce qui veut dire il de l'humain, de la tolérée et de la gentillesse si vous le voulez S'il vous arrive de passer par Touguene (ROSSO) soyez le bienvenu au Marathon de Nouadhibou. En attendant si vous avez envie de me contacter je suis au : marathon.nouadhibou@yandex.com J'ai déjà une réponse pour vous suite à vos demandes souvent pas musulmanes. Bonne et heureuse année 2016 !!! HAIDARA Dg Marathon International de NOUADHIBOU

  • mohamed hanefi (H) 01/01/2016 10:36 X

    Bonne année Gorgovich. mon ami boudeur. Comment t'envoyer une invitation? Je n'ai pas ton adresse. En retour je t'invite en aout prochain à Nouakchott pour boire un thé et déguster un méchoui de chez nous ensemble.

  • Gorkovitch (H) 01/01/2016 09:41 X

    Bonne année à mon frère Hanefi, à Agent Mie, à Dg Marathon NDB, à Moutali, ... @ Hanefi j'aimerais être ton ami sur Facebook! Envoie-moi une invitation!