03-05-2016 22:30 - Niger, Une littérature en marche

Niger, Une littérature en marche

Traversees-Mauritanides - Chaïbou Dan Inna, écrivain et ancien ministre

Le Niger a abrité, du 11 au 17 avril dernier, la 4e édition de Rencontres Littéraires de Niamey organisées par le Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch. Sous le thème Les littératures des sables, l’Algérie était le pays invité.

Venus de l’Algérie, de la Côte d’Ivoire, de la France, de la Mauritanie, du Benin, écrivains, éditeurs et artistes ont sillonné écoles, lycées et scènes culturelles. Entre débats et représentations théâtrales, le public a accompagné les échanges.

Mais si le Niger est le pays de Hamani Diori, un des pères fondateurs de la Francophonie, Idé Oumarou, ancien Secrétaire de l’OUA, et du grand homme de culture Boubou Hama, sa littérature et ses hommes « fondateurs » restent méconnus malgré d’incontestables friches.

Avec Chaïbou Dan Inna, écrivain, enseignant-chercheur au Département Lettres, Arts et Communication de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Université Abdou Moumouni de Niamey, nous avons en savoir un peu plus ! Auteur d'Une vie de cent carats (1993), de Yazi Dogo et l'art du théâtre populaire au Niger, Paris, L'Harmattan 2015, de L'Eloge dans les créations poétiques des griots haoussa (Montréal Editions Passerelle 2015), de l'Anthologie bilingue de la poésie orale haoussa (en collaboration avec Abdoulsalam Niang), Editions Gashingo 2014, et d'une Bibliographie de la littérature nigérienne, avec le Professeur Jean-Dominique Penel en 1988, Dr Chaïbou Dan Inna, qui fut par ailleurs ministre des Enseignements professionnels et techniques de 2013 à 2016, mise sur la renaissance.


"Une maison d’édition locale est nécessaire"

Vous venez d'assister à la 4e édition des Rencontres littéraires de Niamey. Qu'avez-vous tiré de ce rendez-vous?

Chaïbou Dan Inna : Cette rencontre a été à mon avis très importante pour le public nigérien, notamment pour les chercheurs, enseignants, élèves et étudiants. Ces rencontres leur ont permis de mieux connaître la littérature de leur pays très souvent publiée en France et pas toujours disponible sur place, au Niger.

Elles ont été aussi l'occasion de connaître, à travers certains auteurs, la production littéraire des pays frères et voisins. Je pense à la littérature mauritanienne avec Bios Diallo, à la littérature ivoirienne avec Véronique Tadjo, la littérature algérienne avec Haja Bali... Il y avait aussi la présence des chercheurs en littérature africaine comme le Professeur Jean Dominique Penel dont je salue le travail remarquable qu'il a entrepris depuis plus d’une vingtaine d'années pour la promotion de la littérature nigérienne.

Avec ces auteurs il y eut des échanges fructueux avec leurs collègues nigériens comme Adamou Ide, Sani Bouda, Edouard Lompo et la très jeune Adelle Barry qui a moins de trente ans ! Ces moments, vous en conviendrez, sont rares et donc ne peuvent qu’être salués.

Quel regard portez-vous sur la littérature nigérienne? Et pourquoi est-elle méconnue ?

La littérature nigérienne commence à sortir de l'ombre avec le travail remarquable du Professeur Jean Dominique Penel, que je viens de citer, en aidant l'édition de textes nigériens à l'extérieur dans des maisons d'édition connues comme l'Harmattan en France.

Le principal problème, qui se pose aux écrivains nigériens, c’est en effet celui de l'édition. Heureusement qu'une maison locale, Les Editions Gashingo, vient de naître. Nous sommes sûrs qu'elle contribuera significativement à l'essor de la littérature nigérienne.



Quels sont les sujets de prédilection des auteurs nigériens ?

A l’image d’une grande part de la littérature africaine, la littérature nigérienne fait une large place aux problèmes politiques ou sociaux posant la question de la justesse ou du bien fondé de certains comportements dans la société nigérienne contemporaine.

Il s'agit très souvent de la dénonciation de certaines attitudes jugées contre le progrès social. Autrement dit la dénonciation de conduites rétrogrades dans le mariage, des injustices à l'endroit des plus faibles ou encore les mauvaises gestions des affaires publiques. Ainsi les thèmes les plus fréquents sont sociaux ou politiques.

La littérature nigérienne fait, tout de même, une large place au récit véridique, chez Boubou Hama, Léopold Kaziende, Zada, entre autres. Cela à côté du récit fictionnel qu’explorent Ide Adamou, Abdoulaye Mamani, Hélène Kaziende.

Que pensez-vous de la nouvelle génération ?

Ces dernières années les auteurs nigériens accordent une attention particulière aux procédés esthétiques. C'est une très bonne chose, car ce qui fait la littérature c'est avant tout le style. Celle qui illustre le mieux à mes yeux, cette évolution positive de la littérature nigérienne, est Hélène Kaziende à travers son roman Les fers de l'absence publié en 2011 aux Editions l'Harmattan. Je recommande ce livre à tous les amoureux de la littérature africaine.

A travers l'évocation des sociétés africaines contemporaines, marquées par le multipartisme et la lutte pour la démocratie, Hélène parvient à atteindre une certaine universalité. Et le texte est d'une langue poétique rare, alliant les références à la poésie orale aux innovations stylistiques propres à l'auteur.



Nécessaire de renforcer l’enseignement de la littérature nigérienne, non ?

La littérature nigérienne était ignorée des programmes universitaires, jusque dans les années 1980. Elle figure, désormais, à travers différentes unités d'enseignement au programme du département lettres, arts et communication. Mais elle a besoin davantage d’affermissement !

On a beaucoup parlé de Boubou Hama, un orgueil ou un juste retour sur cet homme ?

Je dirai qu'il s'agit des deux. Boubou Hama est, pour tous les Nigériens, objet d'une fierté légitime car il a joué dans notre pays un double rôle. En tant qu'homme politique d’abord. Il était de la génération d'Houphouet Boigny, de la Côte d’Ivoire, Modibo Keita du Mali et autre Diori Hamani son compatriote.

Avec eux, il a lutté pour les indépendances au sein du RDA (Rassemblement Démocratique Africain). Et, en tant qu'intellectuel et homme de science, il est comparable à Cheikh Anta Diop. Critique, Boubou Hama a été à l'origine de la création de l'antenne nigérienne de l'IFAN, Institut Français d’Afrique Noire, qui est devenu l'Institut de Recherches en Sciences Humaines, IRSH de Niamey.

On lui doit aussi le Musée national, qui porte aujourd'hui son nom, et même le CELTHO, Centre d'études linguistiques sur les traditions historiques orales. Sans oublier que Boubou Hama, né en 1906 et mort en 2006, a laissé de nombreux ouvrages de littérature et d'histoire. Il est donc plus que légitime de le célébrer et de faire connaître son œuvre !



L'Etat nigérien participe-t-il à la promotion de la littérature nigérienne et à la recherche?

L'Etat et l'université pourraient faire mieux ! Mais il faudrait déjà saluer l'attribution du Prix Boubou Hama qui encourage la création littérature. Mais on pourrait faire plus, par une organisation plus fréquente de rencontres littéraires, de colloques, d'ateliers d'écriture, d'attribution de prix d'encouragement. Ce qui permettra la célébration régulière des figures littéraires les plus éminentes, et pas seulement.

Propos recueillis par Bios Diallo



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