17-08-2017 11:11 - Au Sahel, «un effort de gouvernance des pays est impératif pour réduire le terrorisme»

Au Sahel, «un effort de gouvernance des pays est impératif pour réduire le terrorisme»

Libération - La Minusma, opération de maintien de la paix de l'ONU au Mali, a été à nouveau visée par deux attaques terroristes distinctes lundi dans le nord et le centre du Mali, au lendemain de l'attentat de Ouagadougou. Jérôme Pigné, spécialiste de la sécurité dans la zone, analyse la situation du terrorisme dans la zone.

Après l’attentat perpétré dimanche dans un café-restaurant de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, c’était au tour du Mali d’être ciblé par les attaques lundi. Deux raids menés à quelques heures d’intervalle, l’un contre le quartier général de la Minusma, la force d’intervention onusienne, à Tombouctou.

Et l’autre contre le personnel des Nations unies à Douentza, dans la région de Mopti (centre). L’ONU déplore 9 morts parmi les militaires et policiers, et 18 personnes, dont 7 expatriés, sont décédées au Burkina Faso.

Ces nouvelles attaques sont intervenues vingt-quatre heures avant la tenue d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies sur la sécurité en Afrique. A l’ordre du jour de la séance, la mise en place de la force d’intervention de 5 000 militaires des pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Mauritanie et Burkina Faso), prévue à l’automne pour renforcer l’opération française Barkane. Jérôme Pigné, coordinateur du Réseau de réflexion stratégique de la sécurité au Sahel, revient sur cette série d’attentats.

La tenue de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies sur la sécurité en Afrique a-t-elle pu inciter des groupes terroristes à frapper à nouveau ?

Quand il y a une annonce politique ou diplomatique internationale au sujet de la sous-région, il y a souvent un acte terroriste dans la zone dans les jours qui précédent. C’est une manière pour les groupes terroristes radicaux de montrer qu’ils sont au fait de l’actualité et qu’ils ont la capacité d’y réagir.

La série d’attentats qui a frappé le Burkina Faso et le Mali peut-elle être une action coordonnée dont l’objectif est de déstabiliser la zone sahélienne ?

Les attentats n’ont toujours pas été revendiqués, donc il est impossible d’affirmer qu’ils suivent une stratégie commune. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a trois groupes majeurs distincts dans la sous-région [Ansaroul Islam au Burkina, le Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans au Mali et l'Etat islamique au Sahel] et une myriade de groupuscules qui se livrent une compétition pour accaparer l’attention médiatique et accroître leur zone d’influence. Une action, quelle qu’elle soit (attentat, enlèvement) d’un groupe peut entraîner une surenchère de la part d’un autre. Il n’y a pas de volonté de leur part de se substituer au gouvernement, de dominer des territoires comme en Irak ou en Syrie, ils n’en ont pas la capacité. Leur objectif est uniquement d’asseoir leur pouvoir dans les zones où ils sont implantés. Et ça passe par la visibilité.

Y a-t-il une intensification des attaques ciblées au Sahel ces derniers mois ?

On observe un regain des violences des groupuscules radicaux depuis un an et demi, pour atteindre un niveau très élevé actuellement. La Minusma est la mission de l'ONU la plus ciblée. On compte environ 130 à 140 morts dans ses rangs depuis sa mise en place en avril 2013. Il y a un défaut dans la définition des objectifs de cette mission [15 000 militaires et policiers sont déployés pour garantir la stabilité de la zone et soutenir la mise en œuvre des accords de paix au nord-Mali]. Elle n’a pas vertu à lutter contre des mouvements insurrectionnels alors que la situation le nécessite. Cette fonction est laissée aux 4 000 militaires de Barkane et à la force du G5 Sahel.

Certains pays de la zone ont-ils été épargnés ?

Depuis 2012, des cinq pays de la zone, seule la Mauritanie est épargnée par les incursions et attaques terroristes sur son sol. Le pays a un régime fort, bien souvent décrié, mais à la différence de ses voisins, il a fait le choix de se réarmer, de former des troupes militaires et paramilitaires pour assurer sa sécurité. Le Tchad a également opté pour un renforcement de ses forces armées, mais il a un double front à gérer : l’insécurité de la zone sahélienne au sein du G5 et les incursions de Boko Haram dans la région du lac Tchad. La nécessité de la mise en place de ces deux dispositifs diminue sa capacité à lutter contre les actes terroristes. Les autres pays n’ont pas fait ce choix, ce qui leur fait défaut dans la lutte contre les attentats. Au Burkina Faso, la phase de transition démocratique, entamé en 2014, a pu également fragiliser l’appareil sécuritaire du pays.

Quelle influence peuvent avoir ces attentats sur la mise en place de la force du G5 Sahel, prévue pour l’automne ?

Les pays du G5 ont réaffirmé [mardi] leur volonté de mettre en place leur force d’intervention d’ici trois mois. Mais la nécessité de ces troupes est reconnue depuis 2012. Le processus est lent. L’action concrète ne coïncide pas avec le discours politique. Des contingents du G5 sont déjà prédisposés, mais il n’y a pas actuellement de mobilisation accrue des Etats. Le financement est encore un véritable frein [100 millions d’euros financés sur les 423 millions requis] pour qu’ils soient réellement opérationnels.

Est-ce qu’octroyer plus de moyens logistiques et humains sera suffisant pour endiguer la violence terroriste, notamment au nord-Mali ?
La violence dans la zone se manifeste de manière cyclique, avec des phases de regain et de repli. Il est envisageable de voir cette violence décroître, même si un terrorisme résiduel subsistera. Mais pour ce faire, il faut redéfinir clairement les parties prenantes dans les discussions des accords de paix d’Alger [de 2015] et leurs objectifs. La table des négociations a été ouverte à de nombreux acteurs (Union européenne, Union africaine, groupuscules armés), parfois de manière opportuniste pour certains groupuscules de la zone et a rendu plus complexe l’application de ces accords. Surtout, une véritable prise de conscience interne de la part des pays de la zone est impérative. Le problème est structurel, et non conjoncturel. Un effort de gouvernance, de lutte contre la corruption, de gestion des frontières ou de décentralisation est crucial pour faire décroître le terrorisme et en attaquer la source. La véritable problématique de la région n’est pas tant le terrorisme international que le manque de perspectives, en particulier pour la jeunesse.

Cécile Brajeul



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