04-11-2017 15:57 - Moi Tarba, j’ai décidé d’être : les misères d’une ancienne esclave à Atar

Moi Tarba, j’ai décidé d’être : les misères d’une ancienne esclave à Atar

Le Courrier du Nord - Toujours dans la série des «parcours exceptionnels », le portrait que l’on présente ici est celui de Tarba Mint M’boyrick. Un autre combat pour la survie qui mérite d’être connu.

Vous êtes prévenus : Pour écouter Tarba raconter son histoire, il faut avoir de la patience. J’ai passé une journée avec elle au siège de SOS Esclaves, à Atar, et à « Netteg », le quartier pauvre où elle vit avec ses deux enfants, son mari, et son neveu « El id », qui vient de fuir ses maîtres et se démène pour faire venir sa mère et ses sœurs « de là-bas ».

Tarba parle de son « parcours » : El karkar, une localité qu’elle situe quelque part au Tagant, une région du centre de la Mauritanie. Elle dit avoir été donnée, en cadeau, par son maître, à son fils, à la naissance de celui-ci. Quand ?

Elle ne sait pas. Tarba doit avoir la soixantaine. Peut-on la croire quand elle dit que sa mère a été affranchie par ses maîtres et a préféré partir loin, en Adrar, pour y finir ses jours, quand elle a été maintenue en esclavage ? Elle n’en veut pas à cette mère qui l’a abandonnée, la laissant garder les troupeaux de ses maîtres jusqu’au jour où elle décide, elle aussi, de mettre un terme à sa servitude. C’est sa maîtresse, Mariem Mint N…qui lui mit la puce à l’oreille quand elle parle de sa mère qui vit maintenant à Atar. Toute la nuit, Tarba ne dormit pas. C’est décidé, demain, en allant faire paître les animaux, elle ne reviendra pas. Elle fuira l’enfer d’El guerjam, une localité qu’elle situe dans les environs d’Achram Aftout, en Assaba, assure-t-elle.

Sa fuite la conduit à Al Ghayra et c’est un restaurateur qui la sauva, de justesse, de son maître parti à sa recherche à dos de chameau, raconte-t-elle. Ce « sauveur » la cacha le temps de trouver le moyen de l’envoyer à Nouakchott avec comme seul bagage l’outre qui lui a permis de ne pas mourir de soif lors de sa fuite. Un membre de SOS Esclaves précise que ces évènements se sont déroulés en 1992, trois ans avant la création de l’organisation qui ne sera reconnue qu’en 2005, et qui s’occupe aujourd’hui de Tarba en essayant de l’aider à « bien » finir ses jours en savourant les bienfaits de la liberté, même si elle supporte toujours le poids de la pauvreté et de l’ignorance.

A Nouakchott, Tarba retrouvera sa condition d’esclave, en vivant avec la sœur de sa maîtresse, à Lemzelga. L’esclavage urbain (le travail sans rémunération) lui paraissait pourtant plus supportable que la vie qu’elle menait dans un coin perdu de la « Mauritanie profonde ». Elle vivait avec l’espoir de pouvoir partir un jour rejoindre sa mère à Atar.

Dans la capitale de l’Adrar, en cette fin de 2017, un quart de siècle après avoir fui ses maîtres, Tarba mène un autre combat : survivre. Et aider son neveu El Id à « libérer » sa mère et ses sœurs, toujours esclaves, selon elle, malgré toutes les démarches entreprises par SOS Esclaves. En revenant de son « abri » de Netteg (je n’ose parler de « maison »), elle me montre une immense bâtisse et me chuchote : « c’est là où elles vivent » (en parlant de sa sœur et de ses filles).

Dans sa fuite, elle-même avait abandonné ses enfants (un garçon et une fille). C’est pour les libérer qu’elle avait contacté, à l’époque, SOS Esclaves. Aujourd’hui, sa fille Mbarka est mariée et son fils travaille comme manœuvre.

Libre mais…

A Atar, Tarba s’est essayée comme bonne. Elle a aussi constitué un « semblant » de famille, dit-elle. J’ai compris que c’est elle qui est « l’homme ». Elle qui doit se démener pour faire vivre les autres.

Tarba a travaillé un temps dans le projet de vente de couscous encadré (financé) par SOS Esclaves pour des femmes haratines à Atar. De constitution fragile, elle a fini par abandonner mais continue toujours de bénéficier du soutien de l’ONG sous une autre forme.

Car, sans moyen, les anciens esclaves sont tentés de revenir voir leurs anciens maîtres (ou les cousins de ces derniers). La sœur de Tarba lui reproche d’ailleurs d’avoir fui et résiste à la « tentation » de suivre son exemple.

Tarba suit aussi les cours d’alphabétisation de SOS Esclaves mais voudrait que l’école « vienne vers elle » ! « Les classes doivent être à côté », dit-elle. Car ce n’est pas tous les jours qu’elle a le moyen de payer le taxi pour se rendre au siège de l’ONG qui a ouvert deux classes pour les enfants et les adultes d’une communauté haratine dont le Mal, après les affres de l’esclavage, est l’ignorance et la pauvreté.

Les boutiques financées par SOS Esclaves, sous forme d’AGR (activités génératrices de revenus) sont certes une initiative louable, mais elles ne peuvent être LA solution aux problèmes que l’Etat se doit de considérer comme l’une de ses priorités sociales et humanitaires en guise de réparation pour un préjudice moral et physique de très longue date.

Les femmes haratines que SOS Esclaves aident s’occupent mais surtout apprennent. Elles se réalisent aussi. Les anciennes esclaves comme Tarba et Khira Mint H… « se voient » comme les autres. Elles « se libèrent » progressivement. Par le travail et rien d’autre. En attendant que l’éducation aide leurs enfants à retrouver leur qualité d’homme.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.



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Commentaires (8)

  • foutatoro (H) 04/11/2017 20:03 X

    Je suis un halpular malheureux dans ce pays. Mais cependant, je ne connais pas un peuple plus malheureux sur terre que les haratines. Esclave (ça existe encore ici) ou pas, la vie d'un haratine est un TERRIBLE TRAGÉDIE INSUPPORTABLE !!! C'est une honte, pas seulement pour la Mauritanie mais pour l'humanité toute entière.

  • NDIEWO (H) 04/11/2017 18:13 X

    Il faut dénoncer ce kemeth-seth, t inquiètes, on saura bientôt tu es. A bientôt, lâche.

  • NDIEWO (H) 04/11/2017 18:07 X

    Kemet-seth, je suis un divin, mais tu finiras mal, même le pardon ne te sauvera pas. Allah est témoin, il te punira dans moins d une année, tu n auras même pas la force de pleurer.

  • Noirhartani (H) 04/11/2017 17:08 X

    A lire ces histoires d’esclavages qui ont marqué ce pays, on se demande a quoi nos prières vers Dieu vont nous sauver de l’enfer carcérale du jour dernier, l’histoire de cette femme n’est qu’une toute petite partie de racontée accidentellement par les meneurs de la Mauritanie vers l’Abîme internationale, la Mauritanie est indexé d’être le seul pays au monde à entretenir l’esclavage et à soutenir les esclavagistes. Notre diplomatie n’a plus de discours pour convaincre qui que ce soit, notre président fuit les tribunes internationale, nos ministres sont vu comme des vampires et des suceurs de sang humains, notre croyance en Islam est mis à rude épreuve parce que nous pratiquons encore l’esclavage ancienne et moderne, nos érudits temporels et inexistante dans leur milieu ne peuvent pas condamner ni dire une fatwa sur l’esclavage. L’esclavage ce crime contre l’humanité est toléré par les Nations Unies en Mauritanie comme un fait divers simple et banal à la portée de tout celui qui a la force et les moyens de disposer de ses esclaves, l’état et le système esclavagiste protège les pratiques du genre. Ma question est de savoir ; Sommes-nous vraiment des musulmans pour permettre à certains de perpétrer l’esclavage et de se nourrir aux dos des pauvres. Kemet-Seth88 (H) est un esclavagiste ancien et moderne, je suis sûr que sa mère la pondu avec l’assistance d’une esclave qui vit encore sous son toit. Pov-Type.

  • KANTAKI (H) 04/11/2017 16:57 X

    Chaque mauritanien une histoire à raconter, Tarba est sans doute femme ayant une histoire ou même des histoires à raconter, n'empêche que cet article à été bien meublé à souhait, notamment l'intermède de El Ghayra où et est cachée par quelqu'un pour fuir le maître parti à chameau à sa recherche ! Et quelle fin ! Elle tombe sur la sœur de sa maîtresse un moindre mal à supporter par rapport à l'esclavage tout court... La misère touche aussi ceux que de visu on veut considérer comme des anciens maîtres, la chose étant ramenée à la couleur de la peau! Pauvre Mauritanie devenue un vivier pour faussaires d'esclaves et de trafiquants de haine raciale ! Cela suffit !

  • Agriss (H) 04/11/2017 16:39 X

    il faut un peu de respect pour la dignité humaine:la femme ne pond pas,ce verbe est utilisé pour les oiseaux donc moderons notre langage

  • mohamed hanefi (H) 04/11/2017 16:38 X

    Je vous assure que j'ai vécu toute ma vie, presque avec ces couches démunies. Ce n'est pas autant un problème d'esclavage, que la résultante d'un accouchement d'une période révolue, réactionnaire et primitive (ou presque) à une autre période dilettante et molle, qui ne veut pas faire face à cet héritage hideux. Le problème ici est un problème de classe et une injustice persistante de naissance. Il y a beaucoup de maures (blancs), selon certain, qui sont beaucoup plus démunis et qui n'ont pas eu la chance d'avoir "leurs défenseurs". Ceux qui entretiennent ces régurgitations amères du passé ne rendent aucun service à ce pays. Et ceux qui en ignorent les conséquences ne sont pas moins nocifs. La question réelle est : "Peut-on laisser mourir l'esclavage au risque de couper la ration aux uns et émousser l'arrogance des autres ?" Si l'esclavage a pour titre la misère, alors les trois quart et poussière de ce pays sont esclaves. NB. Kemet-Seth88 (H). ce n'est pas bien de traiter vos mères, sœurs et tantes de poules.

  • habouss (H) 04/11/2017 16:23 X

    @Kemet-Seth88, honte à toi ! Même pas de respect pour ta mère qui t'a alors pondu pour être aussi vulgaire. On peut être libre, exprimer ses idées, mais rester poli qui plus est encore vis à vis de sa propre maman.