19-07-2018 01:00 - Voyage dans le sillage «LA MEDUSE», de son célèbre RADEAU et sur les traces de ses rescapés

Voyage dans le sillage «LA MEDUSE», de son célèbre RADEAU et sur les traces de ses rescapés

Ahmed Boubacar - Jeune collégien, j'ai assisté, tous les soirs, aux conférences de l’éminent Pr. Théodore Monod sur recommandation de mon professeur de Sciences Nat, durant une bonne semaine.

Il s’agit d’une série de conférences que Monod a bien voulu dispenser à Nouakchott pour fêter avec nous la célébration du quinzième anniversaire de l'indépendance de la Mauritanie, en 1975, sur invitation de l’ISM (l’Institut Scientifique Mauritanien). Depuis lors, le Pr Monod me fait rêver. Ce savant était à l'aise dans tous les domaines scientifiques. Il aimait le désert. C'était un marcheur infatigable.

Rien ne pouvait échapper à son œil de maitre. Il collectionnait tout objet d'intérêt scientifique en arpentant, à pieds, des terrains inconnus des hommes, au fin fond du Sahara. L'homme a traversé ce siècle (1902-2000) en savant d'abord, en voyageur toujours, en humaniste aussi. Il sera le dernier naturaliste au sens de savant-es-toutes-disciplines des temps passés.

J'ai donc écouté, religieusement, sa voix suave, parlant de plusieurs domaines scientifiques tels la paléontologie, la géologie, la préhistoire, l’histoire, la botanique, l’ichtyologie de la Mauritanie devant un parterre de spécialistes. Mon pays était le jardin de Monod et il le connaissait mieux que nos vénérables bédouins. A l'issue de ces conférences, l'homme m'a marqué à vie. On pouvait être un savant de renommée mondiale et rester simple dans ses propos, humble dans sa vie.

Aussi, abordant l’histoire de notre cote atlantique, raconta-t-il le drame consécutif au naufrage de la frégate "La Méduse" en 1816 sur les hauts fonds du banc d'Arguin en Mauritanie, en rapportant des témoignages écrits par MM. Corréard et Savigny, deux survivants du radeau de la Méduse.

Ce radeau a été construit, à la hâte, pour être chargé de colis lourds afin d’alléger et renflouer le navire échoué puis, par la suite des événements, il a servi à transporter 150 passagers qui y connaitront une fin tragique. Drame immortalisé pour la postérité par un peintre de génie (Théodore Géricault – voir tableau ci-haut) et depuis, exposé au Musée du Louvre. Ces témoignages accusaient les habitants de la cote Trarza, mon ensemble tribal, de ne pas avoir bien reçu les naufragés. Ma fierté en a pris un coup. Quelle honte ! Même si nos concitoyens nous taquinent quelquefois pour notre discutable hospitalité, les miens, devant leur conscience et leur honneur, ne pouvaient pas se soustraire à aider des hommes qui échouent sur leurs rivages dans les conditions pénibles décrites dans ce récit !

D’autres tribus cousines du nord ont captivé ou échangé contre des pacotilles de malheureux naufragés, à l’occasion, mais les Trarza n’avaient-ils pas, depuis des siècles, signé des accords commerciaux avec les Nations Européennes et savaient, en conséquence, qu’assister les équipages en difficulté leur était plus profitable et plus sécurisant à la fois ? Rien ne pouvait convaincre mon prof et les autres petits bédouins d’autres régions qui trouvaient là l’occasion de me taquiner ! Il me fallait des preuves écrites sur ce naufrage qui laveraient l’honneur des miens… Je devais donc prendre la mer sur le sillage de la Méduse et reconstituer son histoire vraie après 159 ans.

J’ai décidé à cette fin de tronquer mon statut de petit bédouin saharien contre celui de marin pour aller trouver tout ce qui peut nuancer la mauvaise publicité que nous fait ce témoignage paru dans le récit des deux survivants du radeau par recoupement avec d’autres témoignages écrits par d’autres survivants. Je me suis fortement passionné pour tout ce qui concernait ce drame maritime et particulièrement tous les écrits anciens ou récents qui en relatent quelques faits historiques. Devenu Officier navigant, j’ai fait et refait, des années durant, le même tracé de parcours du dernier voyage de la Méduse (Route maritime France- Mauritanie Allers/Retours) et j’ai par la même occasion fouillé toutes les bibliothèques et les librairies d’Europe sans négliger les récits de notre tradition orale et écrite qui m’ont permis de reconnaitre les hommes rencontrés par les naufragés.

Par la suite, aux commandes d’un navire de pêche, j’ai, intentionnellement, dangereusement approché la zone pour en relever les difficultés et écueils en dressant des plans personnels car, jusqu’à présent, aucune carte maritime, aucun pilote fut-il natif de la région ne peut aider à accéder au point du naufrage. A bord d’une pirogue, à l’aide d’un GPS et d’un sondeur, j’ai pu découvrir l’entrée et la sortie de la muraille qui ferme l’accès de la zone du naufrage.

Enfin, j'ai été sur les lieux du naufrage, à plusieurs reprises, après avoir prouvé et donné à mon équipage la certitude de pouvoir remplir en un temps record les cales de notre navire en poisson des accores du banc car le lieu où se trouve le reste de l’épave est un refuge à poisson et ce dernier y prolifère toujours en abondance. Cette approche me permettait de créer, patiemment, une route menant à l’épave afin de remonter des objets appartenant à la Méduse, en toute discrétion.

Pêcher en zone interdite et dangereuse de surcroit était un risque calculé et un jeu du chat et de la souris, disons de bonne guerre, avec notre marine qui me faisait monter l’adrénaline mettant à l’épreuve mes talents d’archéologue sous-marin amateur tout en m’exhibant à de fortes amendes car nos informateurs qui nous jurent que les gardes-côtes étaient à leur base ont trompé plus d’un de mes collègues. Mes bonnes captures, ma maitrise du slalom dans les hauts fonds ont fini par rassurer mes amis mécaniciens sud-coréens les plus récalcitrants et qui n’hésitaient plus à me pousser à l’aventure en voyant les taux de leur prime de pêche multipliés par une exponentielle, ces derniers aidaient techniquement l’expédition en cas d’accroche avec les roches du plateau continental de notre chalut de fond.

Maintenant, et après 37 ans de recherches, j'ai assemblé tous les détails de l’histoire vraie du naufrage mais aussi des preuves écrites des mains d’autres survivants du naufrage qui attestent que les habitants de la cote Trarza ont bien reçu les rescapés qui ont eu à débarquer sur leur rivage. La réputation d’hospitalité des miens est sauve ! Mieux !

Ces témoignages écrits par plusieurs naufragés attestent que les maures ont porté assistance en offrant nourriture, boissons, montures et poussé la gentillesse jusqu’à escorter, en toute sécurité, les rescapés qui marchaient vers St-Louis du Sénégal, leur destination finale. Contrairement à la source de Monod écrite par les deux auteurs Corréard et Savigny (qui sont restés sur le funeste radeau) et qui ont écrit des choses pour donner encore plus de fantasmes à leurs lecteurs. Leur récit pourtant en revendait déjà, par les descriptions des horribles scènes de combats et de cannibalismes auxquelles ils se sont livrées. C’était aussi l’air du temps, les premiers colons se doivent de diaboliser les colonisés pour prouver ou justifier leur domination.

La Méduse, navire amiral, a refusé de couler suite à un quelconque événement de mer… A la tête d’une Armada, composée de trois autres bâtiments, envoyée par le roi Louis XVIII (qui venait de récupérer son trône de l’aigle impérial après Waterloo) pour transporter le Gouverneur-colonel Schmaltz et les colons français devant reprendre aux Anglais l’Ile de St-Louis du Sénégal. La frégate du roi a échoué en plein jour et par mer calme, le 02 juillet 1816 vers 15 Heures, heure locale, comme pour narguer les lois et la logique de la navigation maritime ! Mon étonnement fut grand, après avoir lu à peu près tout ce qui concerne ce naufrage.

J’allais être comblé par des témoignages d’importance capitale pour la connaissance de l’histoire coloniale de mon Trarza natal mais j’ai constaté que la vérité sur ce drame a été déformée intentionnellement par les motivations et les intérêts des différents auteurs. La dramatique histoire du naufrage a été transformée en rapports circonstanciés aux relents politiques. Les royalistes et les ultras se devaient de convaincre l’opinion française par communiqués ou articles de presse alarmistes ou rassurants relatifs à ce naufrage. Le peuple de France aime la polémique, il la nourrit et s’en nourrit. Dès lors, les faits historiques de ce drame seront travaillés par chaque camp pour mettre l’opinion publique de son coté.

Pourtant ce naufrage, véridiquement reconstitué, est passionnant ! Je vous invite donc à une pensée pour devoir de mémoire à tous les naufragés à l’occasion du bicentenaire de leur échouage (1816-2016). «Combien de marins, combien de capitaines sont partis joyeux pour des courses lointaines» afin de rapprocher les peuples. Mais aussi je désire vous proposer de marcher avec moi sur leurs traces, sur la belle plage de sable fin de la Mauritanie ou d’aller en mer dans les lanches artisanales en reconstituant les scènes qu’ils ont réellement vécues.

Vous pourrez alors siroter le thé traditionnel dans un environnement resté le même, depuis la nuit des temps, où des milliers d’espèces d’oiseaux nichent en paix grâce à Monod qui a insisté auprès de notre gouvernement pour faire de la zone un parc national protégé où les dauphins continuent de rabattre les bancs de poissons pour en faire profiter leurs amis, les pêcheurs Imraguens, les schirméyros décrits par les portugais lors de leur débarquement sur cette plage sous le soleil radieux d’une journée de l’an 1445.

Ahmed Boubacar

Marin.





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Source : Ahmed Boubacar
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