Maître Taleb Khayar Ould Mohamed Mouloud - A cause de ses implications cognitives, le discours identitaire a toujours exercé, depuis la profondeur des siècles, une puissante attraction sur les foules et disposé à leur égard d’une capacité mobilisatrice insoupçonnée.

(Voir l’article du même auteur publié sur Cridem en 2015, intitulé : « le marché politique des crispations identitaires »). Il n’y a donc rien d’étonnant à voir les leaders d’opinion, politiques , religieux et autres, succomber à la tentation de faire de l’identitarisme, une variable pivot dans leur quête de légitimité, pour s’approprier un fauteuil, une voix, une fonction…..

Il en sera ainsi, aussi longtemps qu’on pensera la culture comme un instrument légitime de conquête et de confiscation du pouvoir ; et aussi longtemps qu’il en sera ainsi, aussi longtemps que l’Etat ne sera que l’expression d’une culture au détriment de toute autre ayant en partage le même territoire, chaque pays aura ses ouigours, ses rohingas, ses arabes, ses berbères, ses zones tribales, ses banlieues, ses camps, ses chiites, ses sunnites, ses yazidis, ses coptes, ses kurdes, ses beurs, ses black, ses touareg, ses musulmans, ses chrétiens, ses haoussas, ses peulhs, ses dozos, ses hutus, ses tutsis, ses pygmées, ses albinos, ses métis……

Ce sont les entrepreneurs de violence politique qui, surfant sur les identitarismes, ont eu raison de la pluriconfessionnalité du Liban naguère encensée, occasionnant de la sorte des atrocités toutes à caractère religieux, ensanglantant ce pays durant des décennies et désocialisé à tout jamais ses institutions, causé la partition du Soudan, remis en cause l’unité de la Centrafrique, poussé le Burundi à renouer avec les épurations ethniques, exposé les rohingas de Birmanie, parce que de confession musulmane, à la déchéance de citoyenneté, l’ expropriation de leurs terres, la déportation, devenant ainsi les victimes d’une épuration ethno-religieuse dans un pays qui abrite un Nobel, silencieux comme une carpe devant les atrocités que vit cette communauté, considérée pourtant par l’ONU comme la minorité la plus persécutée au monde, conduit le Nigeria à vivre un processus identique à celui qui a donné naissance à la partition de l’Inde, avec un sud chrétien et riche, un nord musulman et pauvre, et en arrière plan la montée de fondamentalismes religieux (Wahhabisme et chiisme au nord-évangélisme au sud), rééditant de la sorte une situation semblable aux soubresauts qui ont donné naissance au Pakistan en 1947 ; au passage, on retiendra que le mot « Pakistan » signifie en langue ourdou « pays des purs », ce qui n’a rien d’anecdotique dans le lexique identitaire.

Force est de constater que ce qui se passe au Nigéria aura hélas, des conséquences déstabilisatrices sur toute l’Afrique de l’Ouest, considérée déjà comme une zone potentielle de conflits armés d’une grande intensité, tous à connotation identitaire.

Ce sont des entrepreneurs de violence politique qui, surfant sur les particularismes, vont pousser (dans les années quatre-vingt), les mauritaniens dans des conflits intercommunautaires sanglants, des rwandais à assassiner d’autres rwandais dans une hystérie meurtrière ininterrompue qui fera un million de morts en une centaine de jours , des syriens chiites à exterminer leurs compatriotes sunnites, des irakiens sunnites à faire de même avec leurs compatriotes chiites, des Hutus yéménites à liquider des yéménites sunnites et vice-versa, des congolais de RDC à s’en prendre à d’autres congolais dans des affrontements ethniques, ayant entrainé, des indépendances à nos jours, plus de six millions de morts...

Le péril identitaire est à nos portes, sachons lui trouver une solution qui mette en avant notre attachement à l’idéal républicain ; il n’en sera ainsi que lorsque, nous cesserons de privilégier nos appartenances culturelles à celle de notre appartenance à un même territoire.

*Avocat à la Cour

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre