05-04-2019 22:30 - Mali : quand Barkhane se déploie près de la frontière du Burkina Faso

Mali : quand Barkhane se déploie près de la frontière du Burkina Faso

Le Point Afrique - ANALYSE. La mort le 2 avril du médecin capitaine Marc Laycuras illustre combien l'opération militaire française contre les groupes terroristes est à haut risque. Illustration.

La guerre se déplace et Barkhane s'adapte. De l'extrême nord du Mali, les combats contre les groupes armés terroristes, les GAT dans le jargon militaire, se déroulent désormais dans le centre du pays. Du coup, le principal camp français qui s'étend sur l'aérodrome de Gao projette ses forces non plus au nord, mais au sud.

Depuis la fin de l'opération Serval en 2013, celle de Barkhane qui lui a succédé a vu son théâtre d'opérations s'étendre au-delà de la boucle du fleuve Niger, malgré les centaines de djihadistes neutralisés chaque année.

Le fleuve constituait une ligne naturelle qui marquait la vaste zone ou étaient contenus peu ou prou les mouvements islamistes armés. Un endiguement contre les groupes islamistes, à l'image de la stratégie utilisée après guerre par les États-Unis pour stopper l'influence soviétique. Un « containment » à la française aujourd'hui caduque, depuis que les djihadistes se sont infiltrés dans le centre du pays.

Une nouvelle base pour la force antiterroriste française

Pour faire face à cette nouvelle situation, l'état-major français installe un nouveau camp à 150 kilomètres de celui de Gao, à la sortie de Gossi, dans la région de Gourma, afin de lancer des opérations jusqu'à la frontière du Burkina Faso. Situé sur la route nationale 16, cet ancien poste de l'armée malienne et des Nations unies est agrandi pour être en capacité d'héberger plusieurs centaines de soldats français. DZ pour le poser d'hélicoptères, protections, baraquements, sanitaires seront bientôt terminés sur la base opérationnelle tactique (BOAT) de Gossi.

Après la région de Liptako, où sont déployés 500 soldats qui se battent depuis la fin 2017 contre l'État islamique du grand Sahara, c'est le Gourma qui voit se déployer la force Barkhane. Des troupes chargées de sécuriser les zones de Gao à Mopti, traversées par la route goudronnée, la RN16. Des étendues où sévissent plusieurs katiba, en particulier du groupe Ansaroul Islam qui sévit dans le nord du Burkina Faso, encore réticent à voir des troupes françaises à s'implanter durablement en brousse pour de longues opérations.

Les tensions communautaires instrumentalisées par des groupes djihadistes

Contrairement au nord du Mali désertique qui permet de repérer les rassemblements de terroristes, le Sud davantage peuplé et couvert par endroits de forêts offre des sanctuaires naturels aux djihadistes. Difficile d'identifier des combattants islamistes qui circulent comme des villageois dans la zone, en dissimulant leurs armes, comme c'était le cas en Afghanistan avec les talibans. Au fil des mois, la propagande djihadiste et l'argent distribué dans les villages isolés pour soutenir la cause islamiste ont porté leurs fruits. Le prêcheur radical peul Amadou Koufa a vu son aura augmentée depuis qu'il a été donné pour mort par les autorités maliennes et françaises.

Réapparu bien vivant sur une vidéo, son groupe continue de nouer des alliances parmi les Peuls, en les convainquant du bien-fondé du djihad pour établir une nation peule au Sahel, où vivent quarante millions de ces éleveurs. Au Mali, près de trois millions peuplent la brousse en poussant leurs troupeaux. Une communauté aujourd'hui prise entre les pressions exercées sur elle par les groupes terroristes liés à Al-Qaïda et les milices dogons, qui refusent la mainmise djihadiste sur leurs terres. Une forme de guerre civile et des tueries qui s'apparentent à une épuration ethnique depuis le massacre fin mars d'Ogossagou, où plus de 160 Peuls, dont des femmes et des enfants, ont été exterminés en une seule nuit.

Depuis plusieurs années, les groupes affiliés à Al-Qaïda misent sur la communauté peule dans leur propagande. Les combattants étrangers, en particulier algériens, qui composaient avant l'intervention française la légion islamiste qui avaient conquis Gao et Tombouctou, ont été tués ou sont rentrés chez eux. Le chef touareg Iyad Ag Ghali qui fédère aujourd'hui les groupes islamistes du Mali, appelle à soutenir ses frères peuls, quitte à plonger le pays dans le chaos, où il espère profiter de la situation.

Le gouvernement malien apparait dépassé par la situation et n'arrive pas à faire appliquer les accords de paix de 2015 censés marginaliser et donc réduire le nombre de djihadistes avec l'appui de la communauté internationale. C'est le contraire qui se produit. Les GAT procèdent à des coups de main contre des camps de l'armée malienne et mènent une guérilla de haute intensité dans le centre du pays, qui vit sous sa coupe. En affrontant désormais grâce à sa nouvelle base de Gossi les groupes terroristes du Gourma, Barkhane prend le risque de se retrouver, au détriment de sa neutralité, dans la spirale des antagonismes meurtriers qui règnent désormais entre les communautés.

Une situation qui encourage les djihadistes à continuer leur travail de sape. Les mines, à la fois rustiques et efficaces, représentent désormais un danger majeur pour la force Barkhane. Le médecin capitaine Marc Laycuras l'a payé de sa vie quand son véhicule blindé a sauté sur une charge enfouie dans la piste sur laquelle il roulait.

Par Patrick Forestier

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