07-04-2020 19:30 - Riposte à l'épidémie de coronavirus : la Mauritanie, un exemple africain / Par Jean Lévy*

Riposte à l'épidémie de coronavirus : la Mauritanie, un exemple africain / Par Jean Lévy*

La Tribune Afrique - Continent jusqu'ici épargné par le coronavirus, l'Afrique envisage avec anxiété sa propagation. Si elle a eu du temps pour s'y préparer, tout le reste, c'est-à-dire les moyens de le faire efficacement, lui manque. Alors que de nombreux pays assistent, impuissants, aux premiers déferlements de malades, l'un d'eux fait figure d'exception : la Mauritanie, où l'on ne recense que 6 cas, dont deux sont déjà guéris (pour un mort).

Des chiffres qui ne doivent rien au hasard, tout à la gestion de l'administration Ghazouani, qui se distingue depuis le début de la crise par la prise de mesures drastiques. Et si le continent y trouvait matière à s'inspirer ?

L'Afrique se prépare au pire. Alors que le premier cas de coronavirus y a été détecté en Égypte en février dernier, il ne se passe pas un jour, depuis, sans qu'un nouveau pays soit touché. De l'avis du virologue congolais Jean-Jacques Muyembe Tanfum, le continent doit se préparer à un taux de mortalité de 10%, bien supérieur à celui constaté ailleurs dans le monde (entre 1 % et 3 %).

La faute, notamment, à des structures sanitaires défaillantes : privés de gants, de masques et de désinfectant dans des proportions suffisantes, la plupart des pays d'Afrique ne comptent, au mieux, que quelques dizaines de respirateurs. Ainsi de la RDC, dont la capitale Kinshasa ne possède que cinquante de ces machines pour 12 millions d'habitants.

Mais ce n'est pas tout. Le continent africain pourrait également pâtir de la réalité cruelle de sa structure économique.

Comment, en effet, mettre en œuvre un confinement strict, comment pratiquer distanciation sociale et gestes barrières dans des pays où, de l'aveu du Prix Nobel de la paix, le Congolais Denis Mukwege, « les gens sont pauvres, vivent au jour le jour et ont l'impérieux besoin de sortir pour s'alimenter » et boire, faute d'eau courante ? Comment, autrement dit, leur demander de préférer une mort certaine à celle, hypothétique, induite par le Covid-19 ?

C'est si vrai que le président béninois Patrice Talon, n'y allant pas par quatre chemins, a estimé que le Bénin n'avait « pas les moyens » de se confiner, poursuivant : « Contrairement aux citoyens des pays développés d'Amérique, d'Europe et d'Asie, la grande majorité des Béninois ont un revenu non salarial.

Comment peut-on, dans un tel contexte où la plupart de nos concitoyens donnent la popote avec les revenus de la veille, décréter sans préavis, un confinement général de longue durée ? » Le risque, selon lui ? « Déclencher un chaos qui remettrait en cause le minimum impératif de la lutte ».

A cette économie souvent informelle, nécessitant que chacun sorte de chez soi au quotidien pour s'assurer les moyens de sa subsistance, et à l'offre de soin parcellaire, viennent parfois s'ajouter des crises sécuritaires d'envergure.

Le Burkina Faso en sait quelque chose. Pays d'Afrique de l'Ouest le plus touché par la pandémie, il fait face depuis 2015 et l'arrivée de Roch Kaboré au pouvoir à de fréquentes attaques terroristes, ayant entrainé la mort de plus de 800 Burkinabè et la désagrégation de nombreuses communautés locales, jetant sur les routes 780 000 déplacés.

Face à l'incapacité des autorités à répondre au péril djihadiste, plus d'une centaine de centres de soins situés dans des régions à risque ont dû fermer leurs portes. Dans l'impossibilité de se soigner, voire d'accéder à l'eau potable, les populations concernées sont souvent victimes de malnutrition, du choléra ou du paludisme. Un terreau particulièrement fertile pour le virus.

Sur la bonne voie

Nul ne peut, à ce jour, préjuger de l'ampleur de la pandémie sur le sol africain dans les mois à venir. Quelques semaines après son arrivée sur le continent, de premières conclusions peuvent toutefois être tirées, et notamment celle-ci : certains pays, une poignée à peine, semblent moins touchés par le virus.

C'est ce que nous apprend la carte interactive mise en ligne par le John Hopkins Institute. Si l'on met de côté ceux dans lesquels aucune collecte de données fiables n'est possible faute d'infrastructures de santé assez développées (Libye, Somalie, Soudan du Sud, etc.), un pays, en particulier, sort du lot : la Mauritanie, pays d'un peu moins de 4,5 millions d'habitants dont, il est vrai, seuls 3,8 % de la population a plus de 65 ans.

Mais tout de même : on n'y recense que 6 cas, tous importés, dont deux sont déjà guéris (pour un décès). Comment expliquer de tels résultats ?

Dès la confirmation, le 13 mars, de la présence d'un premier malade sur le sol mauritanien, les autorités ont pris des mesures drastiques, fermant les frontières routières, aériennes et maritimes du pays.

Réponse préventive forte, cette batterie de mesures, si elle devrait avoir pour mérite de contenir la propagation du virus, ne saurait l'endiguer totalement, tant il a fait la démonstration, ailleurs dans le monde, de sa capacité à se jouer des frontières.

Aussi les autorités ont-elles également opté pour la distanciation sociale : fermeture des écoles et universités, mise en place d'un couvre-feu de 18h à 6h du matin, fermeture des marchés dont celui, très fréquenté, de téléphonie mobile de Nouakchott, ouverture de centres d'appels gratuits afin de répondre aux interrogations de la population, etc.

Comment, alors que de nombreux pays africains se refusent à contraindre leurs populations au confinement, la Mauritanie compte-t-elle faire respecter cette invitation à rester chez soi ?

A l'aveu d'impuissance de Patrice Talon, Mohamed Cheikh El Ghazouan, président mauritanien fraîchement élu, oppose un volontarisme fort. Dans un discours à la Nation prononcé le 25 mars, l'ancien ministre de la Défense a annoncé le déblocage d'une aide de 70 millions de dollars afin de combattre la pandémie, ainsi qu'une aide financière à l'usage de 30 000 familles dans le besoin.

A ces soutiens ciblés viennent s'ajouter d'autres mesures : prise en charge, pendant deux mois, des factures d'eau et d'électricité des familles ne pouvant les honorer ; versement d'une allocation mensuelle aux familles ayant perdu leurs sources de revenu ; surpression des frais de douanes sur certains produits importés ; distribution gratuite d'eau à tous les villages éloignés ; exonération de tous les impôts locaux imputés aux petites entreprises et aux pêcheurs artisanaux jusqu'à la fin de l'année.

A l'instar du reste de l'Afrique, la Mauritanie n'est pas un Etat providence. Le système de santé y est, on s'en doute, perfectible. Pour autant, cette réalité ne doit pas justifier l'inertie.

S'il est trop tôt pour mesurer la viabilité ainsi que l'impact réel de ces mesures, elles ont, comme on peut l'imaginer, été accueillies favorablement par une majorité de Mauritaniens. En plus de dresser du pays l'image d'un rempart contre la propagation du virus, elles envoient un signal fort au reste de l'Afrique : la pandémie et son lot de décès, de drames humains, ne sont pas des fatalités.

Le continent, s'il ne possède pas les mêmes armes que d'autres régions du monde, ne doit pas se résigner à attendre une hypothétique aide internationale, mais peut revendiquer sa souveraineté sanitaire, moyennant des décisions lucides et volontaires.

Le reste du monde pourrait également tirer profit de l'exemple mauritanien, tant il est vrai que nous formons, en la matière, une communauté de destin : tant que le virus n'aura pas été battu partout, il restera une menace pour tous.

*Jean Lévy est un ancien ambassadeur de France et ancien conseiller diplomatique adjoint de François Mitterrand







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Commentaires (10)

  • Shatye86 (H) 08/04/2020 12:26 X

    Bravo et merci à ce monsieur Levy, et honte aux pisse-froids qui laissent ces commentaires désabusés. Pour une fois qu'on parle de notre cher Pays en bien, ne boudons pas notre plaisir

  • ouldsidialy (H) 08/04/2020 11:22 X

    A la lecture des commentaires,il semble que la diplomatie d’influence« de Papa », ne fonctionne pas au moins pour une situation de catastrophe, où les gens n’obéissent plus à ce qui les flatte ou ce qui les clive habituellement.

  • dauphin (H) 08/04/2020 01:54 X

    un article plus que tendacieux. ces retraites de la diplomatie francaise qui se pretendent expert en AFRIQUE passe tout leur temps a lecher les bottes des dirigeants africains eceveles. Les mauritaniens connaissent la réalite du terrain qui est tres loin de ses mensonges.

  • alhagh (H) 08/04/2020 00:27 X

    De plus, des responsables aussi informés, avertis et prudents que MM. Antonio Guterres (SG ONU) et Tedros Ghebreyesus (DG OMS)pensent que le pire reste à venir et que l'Afrique, si elle n'y prend garde, risque de devenir le prochain épicentre de la pandémie. A ce moment, nous vivrons un enfer pire que celui des USA ou de l'Europe, tous pays confondus. Adopter les bonnes pratqiues éprouvées ailleurs et recommandées par l'OMS et les vrais scientifiques et non pas par nos nombreux charltans et ceux des autres, restent le meilleur moyen pour mitiger les conséquences fatales du COVID 19 pour des pays économiquement, techniquement, socialement et médicalement fragiles. N'ecoutez pas ceux qui vous font rire, écoutez ceux qui vous font pleurer dit l'adage Quel pays Al Hagh

  • alhagh (H) 08/04/2020 00:04 X

    Franchement, à la lecture de cet article on peut se poser la question: que compte demander M. Levy à Gazouani ou à son Gouvernement (licence de pêche? construction de 'grands moulins'?). En effet, même si le président et son gouvernement mènent une action louable, mais qui fait partie du devoir de tous les gouvernants, pour lutter contre le COVID 19, nous qui vivons ici savons que si le COVID 19 ne s'est pas encore répandu dans notre pays (affirmation un peu hâtive) cela est dû à des facteurs que nous ignorons encore (rigueur du climat? population peu nombreuse empêchant une grande promiscuité? peu de liens avec le monde exterieur?...) et nous ne sommes pas mieux que, par exemple le Sénégal ou le Mali si on ramène le nombre de contaminés ici au nombre de population par rapport à ces deux pays! De plus, n'oublions pas que le Sud Soudan (un pays très fragile) vient de connaitre son premier cas; le Yémen et la Syrie, pays fragiles presque en faillite, sont encore officiellement exempts de COVID 19. L'article est donc à la fois tendacieux, voire dangereux car il peut faire croire aux autorités qu'ils ont remportés une bataille qu'ils n'ont pas encore livrée. Nous esperons que la sagesse prévaudra et que nos autorités et les autres acteurs ainsi que les populations resteront sur leurs gardes et renforceront les mésures de prudences, de barrière et en particulier le confinement et la distanciation sociale. Si des mesures simples pouvaient prémunir contre le COVID 19, les pays européeens n'en seraient pas à la triste situation actuelle. Quel pays Al Hagh

  • CLNMYN (H) 07/04/2020 23:07 X

    La méthode de lutte contre le corona virus en Mauritanie et que les résultats sont a ce stade dieu merci c’est dit surtout a la lecture du coran continue dans les mosquées et presque dans toute les maisons. Allah nous protége et nous protégera Incha Allah

  • CLNMYN (H) 07/04/2020 22:58 X

    C’est quoi cette histoire de masque docteur(s) avant aujourd’hui le masque n’était pas nécessaire ou obligatoire sauf pour les malades et les médecins traitants le Maroc n’est plus de cet avis pour quoi le Maroc qui un exemple des pays africain … des explication s SVP logiques et scientifique pas de politique ni philosophie

  • Marathon NDB (H) 07/04/2020 21:21 X

    Aucune objective personne ne peut nier l'excellent travail fait en Mauritanie pour gérer la pandémie du COVID 19. Si le mauritanien était discipliné et responsable nous n'aurions jamais eu besoin de confinement et de couvre-feu. Il y'a lieu de FÉLICITER et de REMERCIEMENT tous ceux qui sont mêlés de près ou de loin dans la gestion de cette pandémie. Mohamed HAIDARA Dg du marathon International de Nouadhibou

  • chos (H) 07/04/2020 20:57 X

    Si le Gouvernement mauritanien accepte l'initiative orginale de ses fils en Agriculture mécanisée au Delta et éducation cerveaux Oasis gratuite proposée dans l'Etude du 15 Mars 3020, il guidera l'Afrique dans la propulsion du développement économique et sanitaire la vitesse de la lumiére. cheikhany_ouldsidina@yahoo.fr .

  • leguignolm (H) 07/04/2020 20:41 X

    Plus tôt riposte contre Corona Biram ; comme disait l’autre ; on vous offre, vous continuez à quémander.