14-04-2020 00:30 - Polémique autour du vaccin contre le Coronavirus, sommes-nous en train de passer à côté de l’essentiel?

Alhousseynou Sall - L’extrait de l’émission diffusée sur la chaine de télévision française LCI le mercredi 1 avril 2020 concernant l’idée de tester l’efficacité du vaccin BCG contre la tuberculose sur le COVID-19 en Afrique, a provoqué une vague d’indignation et de dégoût.
Depuis, des messages largement diffusés sur les médias sociaux prétendent que les africains vont servir de cobayes pour tester un nouveau vaccin contre le coronavirus au plus grand bonheur de ceux, qui depuis longtemps accusent les industries de recherche médicale occidentales de se servir des africains pour tester leurs médicaments.
Je comprends que les propos tenus par les deux scientifiques français aient pu choquer le monde, surtout dans le contexte actuel de panique généralisée. Je me réserve donc de prendre leur défense car je pense qu’ils doivent assumer les conséquences de leur abus de langage et apprendre que le mauvais usage des mots peut causer autant d’erreurs que l’ignorance elle-même.
Je n’ai pas la prétention de maitriser tous les enjeux autour des vaccins, mais je refuse de me passer de mon très humble raisonnement pour aller chercher le bénéfice que les pays africains pourraient tirer de cette étude d’une si grande ampleur. Car il s’agit là de trouver une solution pour combattre un virus qui continue à narguer les plus grands scientifiques de la planète.
Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas de tester un nouveau vaccin. Il s’agit plutôt d’évaluer « l’efficacité croisée » sur le COVID-19, d’un vaccin contre la tuberculose déjà existant, utilisé depuis plus d’un siècle dans les quatre coins du monde, y compris dans les pays africains.
Dans ce contexte tout particulier de la lutte contre la pandémie, des études réalisées sur ce vaccin dans des pays européens et en Australie ont produit des résultats très encourageants. D’où l’idée d’étendre l’étude en Afrique où la tuberculose est endémique. A mon sens, une démarche logique qui crèverait les yeux d’un tout bon scientifique.
Je suis africain et je suis de ceux qui croient fermement que l’Afrique doit se mettre debout contre toute forme de colonialisme, y compris celle scientifique. Toutefois, je me réserve de nourrir cette polémique sur ce vaccin, qui je pense, est en train de prendre beaucoup trop de place dans notre quotidien, au risque de nous faire passer à côté de l’essentiel.
Le combat contre le COVID -19 n’est pas celui d’un pays ou d’un continent. C’est le combat de l’humanité toute entière, dans lequel, l’Afrique doit se faire une place digne et d’en tirer les bénéfices - pas uniquement sanitaires- Il revient alors à nos dirigeants et à nos décideurs, de dompter leur complexe face à leurs homologues occidentaux pour exiger le strict respect des normes éthiques des études scientifiques menées sur le sol africain, sans jamais tourner le dos au reste du monde.
Ils doivent également se rendre à l’évidence que la recherche scientifique est une dynamique incontournable pour le développement de notre continent. Nous devons tirer les enseignements de cette pandémie qui nous rappelle que nous vivons à l'ère de la mondialisation, et que l’Afrique doit accepter sans trop tarder à redéfinir sa place dans le monde en œuvrant dans le « collectif » sans jamais oublier de défendre ses intérêts. Nous devons quitter le statut de victime, prendre en main notre destin pour sortir de notre position d’éternel consommateur.
La semaine dernière, lors de la visite d’Emmanuel Macron, à l’Institut hospitalier universitaire de Marseille, pour échanger sur la chloroquine, le président a lancé la question suivante à l’équipe de recherche du professeur Didier Raoult venue l’accueillir : vous venez d’où? On entendait « Algérie, République Démocratique du Congo, Mali, Sénégal, Burkina-Faso, Maroc, Tunisie… ».
Le moment n’est-il pas venu pour l’Afrique d’aller récupérer ses milliers d’enfants (pas uniquement des scientifiques) qui travaillent pour développer d’autres pays, pendant que l’Afrique s’enfonce de jour en jour dans la profondeur des ténèbres du sous-développement.
Dr. Alhousseynou Sall (BSc, MSc, PhD)
Virologue
Canada
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