14-04-2020 13:51 - Horreur et sidération

TB - Le meurtre abominable de Kardiata Oumar Sow est un révélateur de l’état de notre société. On ne peut qu’en être bouleversé et avoir une pensée pour la victime et ses proches. Après la sidération, viennent les interrogations.
Que faisait donc cette jeune fille en cet endroit ? Pour des raisons professionnelles semble-t-il. Une hypothétique ONG aurait été vaguement évoquée. Laquelle? Comment recrutait-elle et sur quels critères? Surtout avec quelles garanties? Le doute est permis.
Autres questions : quel est le profil des assassins? Qu’ont-ils fait miroiter à la victime pour l’attirer dans un traquenard conçu par des énergumènes ressemblant fort à un réseau crapuleux?
Depuis l’annonce du meurtre, le thème générique de la « violence faite aux femmes » a resurgi.
Pourtant, il n’y a, en l’espèce, ni cadre familial ni relation préexistante. Il importe de questionner quelques-uns des facteurs ayant favorisé le crime sans nécessairement l’ «expliquer» totalement, surtout s’ils sont pris isolément.
Les représentations sociales devraient figurer en bonne place sur la liste. La relation femme / homme au sein de notre société est, on le sait, régie par une culture machiste aussi diffuse que communément intériorisée.
(Est-ce inconsciemment ?). Y compris, faut-il le concéder, par les femmes elles-mêmes. Au moins certaines d’entre elles. A l’extrême limite, cette culture peut conduire insensiblement à la banalisation de la violence symbolique voire à la commission de violences réelles. Les brutalités dites conjugales (expression révélatrice s’il en est), qui touchent tous les milieux sociaux, sont perçues comme spécifiques, singulières, distinctes et à ce titre insuffisamment labellisées en infractions.
Ce qu’elles sont pourtant d’abord et par-dessus-tout. Ah ! Un tel, il a l’habitude de battre sa femme entend-on couramment. Le conjoint violent n’en perd pas pour autant sa respectabilité sociale. Pas plus qu’il ne subit la moindre disqualification liée à son comportement.
Les exactions dont il s’est rendu coupable apparaitraient presque comme des modalités particulières de la vie de couple. Le genre d’incident épisodique, certes anormal, mais « sans conséquences ». Une telle banalisation débouche, à moins qu’elle ne s’explique par une culture de l’impunité largement partagée et donc tolérée.
Laquelle ne peut être déconnectée des codes sociaux et du discours dominants. Est-il besoin de rappeler que les pouvoirs principaux sont à dominante masculine et que leurs détenteurs sont généralement empreints d’un traditionalisme quelquefois assumé ou plus souvent inconscient.
D’autres considérations font le reste : reproduction de schémas de conduite intégrés, frustrations, corset social permanent et tous azimuts, laïcité en berne, inertie institutionnelle...
Au risque de choquer, force est aussi de noter qu’en moult circonstances, par leur « acceptation » de schémas relationnels stéréotypés dans lesquels elles s’inscrivent elles-mêmes, des femmes pérennisent voire perpétuent un « ordre » social corrodé. Elles abdiquent ce faisant leur droit à la contestation de cet « ordre » et à sa remise en cause. Elles pourront toujours objecter que, de manière générale, la société ne les aide pas beaucoup.
Ce qui est vrai jusqu’à un certain point. Mais est-ce une raison valable? Pour autant, n’oublions pas l’essentiel à savoir la quête des réponses à apporter. Au moins prioritairement aux situations extrêmes du type violences physiques, viols voire meurtres. Elles sont de plusieurs ordres- préventives et répressives. On n’a pas attendu le signataire de ces lignes pour les découvrir.
D’abord institutionnelles. Je ne sais s’il existe un ministère des droits des femmes au sein du gouvernement actuel. Cet intitulé paraît préférable à celui de la très lénifiante et larmoyante condition féminine.
Même réduit à un affichage, ce signal est ou serait symboliquement important. Evidemment, il est préférable qu’il s’accompagne d’initiatives plus déterminantes : d’ un arsenal législatif et réglementaire, d’une éducation à la sensibilisation et aux discriminations par des campagnes périodiques mais itératives, de l’institution de lieux d’accueil et d’écoute, de la possibilité de recueil anonymisé et sécurisé de plaintes, et surtout de politiques de recrutement plus ouvertes à la diversité, notamment dans des secteurs d’autorité (dans les domaines de la justice, de la police par exemple), de la mise à disposition de numéros téléphoniques dédiés, de la nomination de femmes à des postes de responsabilité tels que ceux de référentes. Peu importe l’intitulé de ces postes (défenseur des droits, déléguée aux droits…). L’action et les compétences comptent davantage…
Les réponses devraient également et évidemment être sociales et/ou sociétales. Les initiatives en la matière devraient venir des femmes elles-mêmes. Il leur revient de jouer un rôle de vigies vigilantes. Tout un spectre d’actions leur est ouvert allant des plus « sérieuses » aux plus ludiques voire caricaturales à l’image du hashtag « vraie femme africaine ».
Il leur appartient de concevoir des démarches et des méthodes adaptées aux sociétés auxquelles elles s’adressent en ayant à l’esprit leur force et les obstacles. Dieu sait s’ils sont nombreux, Le plus grand obstacle au changement des mentalités ce sont les mentalités elles-mêmes dit-on. Pour la malheureuse Kardiata Oumar Sow, ce sera hélas trop tard.
T.B
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