18-07-2020 15:57 - Le sort possible du Président de la République et du Gouvernement: entre Haute Cour de Justice et juridictions ordinaires

Le sort possible du Président de la République et du Gouvernement: entre Haute Cour de Justice et juridictions ordinaires

RMI INFO - Dés que la commission d’enquête rend son rapport, l’ Assemblée nationale en pléniere va décider de la suite à donner aux conclusions qui y figurent.

Si le rapport était en faveur de l’engagement de poursuites contre les autorités concernées par les enquêtes ( en particulier le Président de la République et les membres du Gouvernement), l’ Assemblée nationale décidera alors de la voie à tenir concernant la mise en accusation. Le President de l’ Assemblée nationale saisira le Procureur Général en lui transmettant la résolution de mise en accusation.

Cette procédure de saisine du Procureur Général prévue par la loi relative à la Haute Cour de Justice est valable également même pour la saisine des juridictions autres que la Haute Cour de Justice ( juridictions dites de droit commun). Plusieurs questions sont ici posées et méritent d’ étre clarifiées.

1. La saisine de la Haute Cour : pour qui et pour quels faits ?

La compétence de la HCJ est celle qui pose le plus de débats et de malheureuses confusions. L’article 93 de la constitution détermine les conditions de fond dans lesquelles elle peut être saisie aussi bien pour le Président de la République que pour les membres du Gouvernment

A. Pour le Président de la République

Il est étonnant de lire que la Haute Cour n’ est compétente que pour un Président de la République actuellement en exercice et non pour un ancien Président. Cette erreur qui fait tâche d’huile ne repose sur rien si ce n’ est sur une mauvaise lecture du texte de cet article 93. Ce dernier, faut-il le rappeler, renvoit à la Haute Cour de Justice, tout Président qui aura accompli des actes susceptibles d’ être qualifiés de Haute trahison au moment oû il exerçait ses fonctions présidentielles. Il s’ agit ici d’un cas classique d’ application du droit dans le temps.

L’ exemple type est celui du fonctionnaire dont on aura découvert aprés son départ à la retraite qu’il avait accompli certaines infractions liées aux fonctions qu’il exerçait. Il est certain que malgré qu’il soit hors de la fonction publique au moment de son incrimination, le droit qui lui sera appliqué et la juridiction qui serait compétente, sont ceux en vigueur avant son départ à la retraite. Pour le cas du Président de la République, couvert de surcroît, par l’immunité durant l’ exercice de son mandat pour les actes susceptibles d’ être qualifiés de Haute trahison, il ne pourrait être jugé que par la Haute Cour de Justice au titre de cet article 93 de la constitution.

L’ exercice du mandat paralyse l’ action de Haute trahison pour diverses raisons juridiques et politiques. La fin du mandat libère cette action et ouvre toute grande la porte de la justice naturelle du Président: celle de la Haute Cour. Mais il s’ agit des actes que le Président a accomplis dans le cadre de ses attributions présidentielles et à l’occasion desquelles il trahit sa fonction présidentielle. A bien voir le libellé et la logique même de l’ article 93 on voit bien que ce ne sont pas TOUS LES ACTES émanant du Président de la République qui constituent des actes de Haute trahison et qui donc sont du domaine de la Haute Cour de Justice.

Pour qu’un acte soit qualifié de Haute trahison, il faut qu’il soit rattachable à la fonction présidentielle. Il faut que cet acte puisse être identifié comme fondé sur l’ exercice de la mission du Président de la République et non de l’individu agissant comme n’importe quel autre, dans la sphère privée de ses intérêts particuliers, guidé par ses désirs, ses passions ou ses délires personnels. Bref, un acte de haute trahison est par définition rattachable à la fonction présidentielle justement parce qu’il trahit la mission de protection et de promotion de l’intérêt général qui est son fondement. On peut considérer que les violations sytematiques de la constitution et des lois, l’organisation d’ un dispositif de corruption généralisé qui écarte les régles de procédure, même à supposer que le Président n’en tire pas directement un bénéfice personnel immédiat constituent autant d’ exemples de haute trahison.

Sans parler de cas plus classiques comme l’intelligence avec l’ ennemi, l’atteinte à l’ intégrité territoriale ou à l’unité nationale etc. Donc pour les actes de cette nature et à cette échelle ( ” Haute” trahison, ” Haute” Cour de Justice), accomplis par un citoyen pendant qu’il était aux affaires, ce ne sont pas les tribunaux ordinaires mais une juridiction d’ exception: la Haute Cour de Justice. On déduit de ce qui précéde que tous autres actes constitutifs d’infractions “ordinaires” commises par le Président durant son mandat, ce seront les juridictions ordinaires qui seront compétentes pour juger.

A l’inverse de la premiere categorie d’ actes, ceux qui relevent de la justice ordinaire sont tous ceux qui sont détachables par leur nature même, de la fonction présidentielle. Tous les actes qui entrent dans la définition des crimes et délits ou des contraventions ” de droit commun” sont de cette catégorie dés lors que les circonstances de leur accomplissement ne renvoient pas à la définition des actes de Haute trahison sus visés.

Un Président de la République qui ne paye pas ses factures d’ eau et d’ electricité dans son domaine privé est justiciable de la justice ordinaire. De même que s’il commet un crime ou délit sur la personne ou les biens d’ autrui, ou s’il s’ adonne à des trafics divers ( d’influence, de drogue…), à la corruption active ou passive ainsi qu’ à tous actes susceptibles d’ etre commis par un citoyen ordinaire, mû par ses instincts, ses passions, ses calculs ou par toutes autres pulsions de la vulgarité quotidienne.

Il va de soi qu”une telle distinction juridique entre 2 catégories d’ actes qui peuvent en soi être identique de par leur nature est difficile à établir. Un même fait est susceptible d’ être considéré soit comme un acte de trahison soit comme un crime ordinaire et donc renvoyer à des juridictions distinctes, suivant les circonstances et suivant les critères à la base du choix de l’organe compétent pour incriminer.

En l’occurrence, c’ est au Parlement de décider dans sa résolution d’accusation, de qualifier les faits ( de maniére sommaire d’ ailleurs) et d’ en trasferer le libellé au Procureur de la République. La Commission d’instruction ( composée de juges désignés par la Cour Suprême) s’assure de la réalité des faits et donc de leur qualification ( la Commission étant habilitée à rendre une décision de renvoi appréciant si les faits énoncés incriminés ont été suffisamment prouvés dans la résolution de mise en accusation du Parlement.).

En définitive, c ‘ est au Parlement de choisir sur quel terrain il entend se situer concernant la mise en accusation du Président de la Republique: Haute Cour de Justice ou juridictions ordinaires ou les deux à la fois suivant la nature et la qualification des faits retenus. Quitte à ce que, pour la réalité de ces faits, il revienne à la commission d’Instruction de la Cour Suprême de veiller au grain…

Voilà pour le Président de la Républque. Qu’ en est- il du Premier Ministre et des Ministres? ( A suivre)

Lô Gourmo Abdoul





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Commentaires (8)

  • le rat du coin (H) 19/07/2020 00:02 X

    tout ce qui est du temps de Aziz est vicieux comme toutes cours qui tentera de juger son cas si cela arrive. Nous sommes tous assez grands pour savoir que cet injustifiable politique de la canoniere digne de siecles revolues n'est en fait qu'une polemique pour le plaisir de la polemique. Et ce qui est dangereux c'est que cela ouvrira la porte a de nouveaux problemes dont les consequences peuvent etre desastreuse pour le pays tout entier. Le mal est passee et ce qui compte maintenant c'est de le faire cesser. Je n'ai personnellement aucun mal pour Aziz ou Ghazouani mais un ex-militaire au pouvoir n'est pas ce qui a de mieux pour un pays comme le notre et l'histoire peut en temoigner. Merci

  • Ibadou (H) 18/07/2020 19:05 X

    Merci Grand Professeur, merci du fait que je vois bien le jeune étudiant donnant des cours de droit à ses collègues dans un café au 16 bis de l'avenue Biurguiba de Tunis. Tout est clair, avec Med Mahmoud Salah, vous avez mis tous les éléments d'éclairage dans les dossiers du CEP. Les parlementaires n'ont qu'à aller au bout,et, InchaAllah l'honneur de la partie sera sauve avec en plus les sous revenant à leur place.

  • Salubritéali (H) 18/07/2020 17:51 X

    Il faut relever que l’alinéa 1 de l’article 93 est flou voire très vague car La question fondamentale est de savoir de quelle responsabilité s'agit -il ? Pénale, délictuelle (civile) d'une autre ? La réponse à cette question nous permettra d’appréhender la notion de haute trahison. Autrement dit la détermination des faits pouvant être considérés comme haute trahison dépendra de savoir 1. S'il s'agit-il d'une responsabilité pénale (les faits pénaux sont déterminés et classifiés par le code de procédure pénale et le code pénal) ou s’il s'agit d'une responsabilité délictuelle ou civile (les faits délictuels ou civile sont précisés par le code des obligations et contrats).ou 2. S’’agit -il d'une responsabilité qui résulte d’une infraction politique c’est-à-dire celle qui porte atteinte aux affaires de l’Etat, (commise ou omisse par le président de la république ). La réponse à ces questions sera apportée dans notre prochaine publication ! Pour l'heure je demande aux juristes retraité de s'abstenir à certaines sorties hasardeuses. Juriste /politologue

  • Ahmedatar (H) 18/07/2020 16:37 X

    Suite...pour une bonne mise en place d une haute cour de juridiction inclusive participative et constructive.

  • medabdul (H) 18/07/2020 16:35 X

    bon c'est une question de lecture et de bonne lecture;apparemment celle la serait la bonne.

  • Le Titan (H) 18/07/2020 16:31 X

    Mais Pr Lô, Wata-wate, A warimou Professeur, il faut sauver le soldat Aziz, suivant cette logique juridictionnelle imparable, Aziz n’échappera a aucune des deux juridictions, que cela soit la haute cour de justice pour haute trahison durant l’exercice de ces fonctions de président de la république, comme il n’échappera pas aux juridictions ordinaires, ce monsieur est mouillé partout et souillé partout sur ces actes, pauvre Aziz, il croyait bien faire et gouverner avec passion pour finir en prison, comme a demandé le président de la CENI qui a les vrais résultats de l’élection présidentielle 2019.

  • Ahmedatar (H) 18/07/2020 16:30 X

    Pr. Lo d imminents juristes mauritaniens et étrangers francophones et arabophones se sont penchés et se penchent encore sur ce thème. Votre contribution comme tant d'autres ne fera qu objet de réflexion pour une bonne mise en place à la fois inclusive ,participative et constructive.

  • mdmdlemine (H) 18/07/2020 16:19 X

    Je suis comblé par le savoir inépuisable de nos hommes de droit Lo GOurmo et Ould Mohamed Saleh ont épuisé toute polémique sur l'inextricable juge du Président prouvé coupable entre haute cour de justice et juridictions de 1er dégré Je suis flatté par toutes ces encyclopédies restées immergées longtempsen raison des futilités de nos systèmes maintenant qu'ils sont interpellés ils défoulent tout leur grand bagage et n'ont rien à envier à leurs collègues d'outre mer Grand chapeau il faut aussi que Me Ebetty, Fatimata Mbaye et bouhoubeiny ( droit de réserve en raison de la CENI) illimuent nos cervelles J'ai posté le commentaire suivant en ma qualité d'intelelctuel non juriste, relativement économiste sur l'opinion de Saleh mais tardivement que le propose comme contribution à cette controverse partant cette fois non pas de la loi mais de la jurisprudence quand les lois n'arvvient pas à demeler les choses: mdmdlemine (H)18/07/2020 12:08X je poste tardivement ce commentaire aprés avoir félicité Me Salah Je dirai alors que la force majeure impose par exception qui confirme la règle la comparution d'un dictateur devant la Haute Cour de Justice dés lors où sous son mandat, l'Etat, les institutions sont dérobés, victimes du despotisme et faibles Autrement dit qui pouvait s'opposer au sein de l'Etat à Aziz en son temps au risque d'être jeté en prison ou d'aller en exil en l'absence d'un Etat fort, pour juger les présidents actifs, cette exception doit trouver une explication dans le droit pour habiliter la haute cour de justice à juger les présidents despotes une fois sortis du système dés lors où ils ne peuvent être jugés quant ils sont en fonction en raison de leur puissance Il faut SVP Me Salah éclairer nos lanternes sur ce paradoxeVoir moins